Chronique Livre :
Après la Guerre de Hervé Le Corre, le temps de régler les comptes

Publié par Psycho-Pat le 28/04/2014
Pour solde de tous comptes, Hervé Le Corre ne badine pas dans Après la Guerre, il règle les arriérés de la participation de la police française à la Shoa, de la collaboration et de la guerre d'Algérie qui était tellement honteuse qu'elle ne voulait pas dire son nom.
Vaste sujet que l'auteur réussit le tour de force de ramasser en 524 pages en les incarnant dans une dizaine de personnages principaux. Il est souvent reproché, à juste titre, à la France de ne pas savoir regarder son passé plus que douteux, c'est un peu moins vrai avec des œuvres comme ce livre magnifique.
Un travail de mémoire aussi pour ceux qui comme le héros, Jean Delbos et comme Rimbaud dans le Bateau Ivre disent "J'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir" tant ce qu'ils ont vécu était indescriptible...
Le pitch
Fin des années cinquante, le commissaire Darlac règne sans partage sur les bas-fonds de Bordeaux. Ancien collabo, il a les truands à sa botte, tient les notables en respect grâce à ses dossiers rebondis et est passé à travers des gouttes de l'épuration de la fin de la seconde guerre mondiale.
Entre deux magouilles, il enquête sur des meurtres commis sur d'anciens collabos proches de lui ou de ses anciens compères. Daniel, jeune mécano dans un garage attend son incorporation pour partir en Algérie, pour savoir, pour voir ce qu'il s'y passe, sans grande conviction mais sans partager l'anti-colonialisme de ses amis.
Un homme d'allure jeune mais au visage marqué vient au garage faire réparer une moto, cet homme est là pour Darlac et aussi pour Daniel, il va faire sortir des histoires enfouies, ranimer des mémoires mortes ou mourantes, il va demander des comptes à Darlac même si, comme le dit Jean Delbos, « tout est révolu, irréversible, et la mémoire n'est qu'une invocation sans réponse d'un au-delà fictif et lacunaire ».
L'avis de Quatre Sans Quatre
Après la Guerre n'est pas un thriller banal, c'est bien plus que cela, lui accoler un genre ne peut que nuire à sa portée, en minimiser l'importance.
C'est un livre magistral sur cette période floue des trente glorieuses, cette après-guerre où tout était possible mais où les conflits impérialistes se poursuivaient en Algérie après la défaite en Indochine, celle où le « raton » a remplacé le « boche » en tant qu'ennemi fondamental, nous y sommes, hélas, encore.
La politique et les affairistes étaient déjà passés sur les résolutions du Conseil National de la Résistance, les anciens vichystes toujours en poste ont pris de l'âge et du grade. Hervé Le Corre analyse sans concession toute la faune qui s'est nourrie de la collaboration avec la gestapo, plus par opportunisme que par idéologie souvent et puis ceux qui ont résisté comme ils pouvaient, par un simple coup de main, le recueil d'un enfant ou juste le refus de la délation.
Les mots choisi de l'auteur nous mettent naturellement dans l'ambiance, des mots disparus comme « la bascule à Charlot » pour la guillotine mais qui sont impeccablement placé pour tisser un décor de Bordeaux la bourgeoise et tranquille ville confrontée à son passé.
La jeunesse étudiante qui s'émeut aux vers de Baudelaire ou Rimbaud, qui va mettre dix ans à s'enflammer mais qui, déjà, doute du bien-fondé du conflit algérien, veut voir du pays, veut vivre de l'inconnu est également un acteur important d'Après la Guerre, c'est elle qui doit bousculer le train-train, qui doit poser les questions qui ont été balayées sous le tapis de l'histoire.
Hervé Le Corre est un grand auteur au style précis et efficace, Après la Guerre est un grand et important roman à lire attentivement, notre Platoon ou Apocalypse Now à nous, français qui savons si peu regarder nos errements. Si vous n'avez pas vu « Avoir vingt ans dans les Aurès » ou « L'ennemi intime », il est encore temps de rattraper cela avec ce beau livre !
La notice bio
Hervé Le Corre est né en 1955 à Bordeaux, il est professeur de Lettres dans un collège de Bègles. Grand lecteur de polar, il s'est mis à l'écriture la trentaine venue avec un succès immédiat qui en fait l'un des auteurs français les plus primés : Grand Prix de la Littérature Policière pour Les Cœurs Déchiquetés entre autres et Prix Le Point du polar européen pour Après la Guerre.
La musique du livre
Celle de l'époque, celle que diffusait les radios évidemment. Dean Martin et Sinatra pour les jeunes, Edith Piaf, Gilbert Bécaud. Un hommage aussi à Rimbaud dont le Bateau Ivre joue un petit rôle dans le livre, alors quoi de mieux que de passer par Ferré pour l'écouter?
Après la Guerre – Hervé Le Corre – Rivages/Thriller – 524 p. avril 2014