Bande Dessinée :
AU BOUT DU FLEUVE de Jean-Denis Pendanx
Publié par Dance Flore le 13/02/2017
Jean-Denis Pendanx est né en 1966, illustrateur et dessinateur français de BD, il travaille aussi pour les albums jeunesse, les magazines et surtout en collaboration avec Christophe Dabitch, Kris et Stéphane Piatzszek, chez Futuropolis. Au bout du fleuve est sa première BD à lui tout seul !
Kémi, un adolescent béninois, peine à survivre depuis la mort de son père survenue dans l'explosion de sa moto alors qu'il transportait de l'essence de contrebande. Cette mort violente l'a laissé criblé de dettes et il va prendre à son tour tous les risques pour gagner de l'argent au plus vite.
Il est également tourmenté par la disparition de son frère jumeau...
Kémi veut connaître la vérité, et, comme toujours, le prix à payer est exorbitant
Kémi c'est un jeune homme, un adolescent encore au corps frêle et au visage marqué par la fatigue. Il vit seul et les souvenirs terribles le poursuivent jusque dans ses rêves et il faut dire qu'il est marqué par le destin. Parce qu'il est pauvre bien sûr, parce qu'il est seul aussi. Sa mère est morte, son père aussi est mort, il devait de l'argent qui reste à rembourser, son frère jumeau a disparu, il est maltraité par les adultes qui le forcent à travailler et le brutalisent sans cesse. De plus, il s'est cassé le bras en jouant au foot et, en l'absence de soins appropriés, l'os s'est mal ressoudé.
Il a commencé des études, pour être docteur, mais la mort du père a stoppé net son élan émancipateur. Il a dû revenir s'acquitter de ses dettes et vendre sa force de travail aux trafiquants d'essence. Même le cercueil n'est pas payé, non plus que la cérémonie d'enterrement. C'est l'engrenage, Kémi n'a pas les moyens de dire non, pas les moyens non plus de travailler autrement que pour ceux-là même qui exploitaient son père et le contraignaient à jouer le jeu dangereux dont il est mort.
Pour retrouver son frère jumeau Yao, Kémi part sur ses traces. Le chemin vers son frère est long et Kémi traverse tous les cercles de l'enfer mais, selon un marabout, perdre un jumeau, c'est perdre la moitié de son âme, alors Kémi n'a pas le choix. Surtout qu'il se sent coupable, car il n'a pas su défendre son frère.
Les maux qui dévastent les pays que parcourent Kémi sont innombrables et à chaque fois un peu plus odieux. La pollution de l'air à Cotonou, la wédouma, jacinthe d'eau sur le lac Nokoué qui attire les moustiques et donc favorise la propagation de la malaria, le racket, l'exploitation de la misère des plus démunis... Le fleuve Niger a été vidé de ses poissons, les pêcheurs se sont reconvertis dans le trafic et le siphonnage des pipe-lines. Se rebeller contre « les gros du pétrole » n'a servi à rien, les raffineurs continuent à brûler la forêt et à détruire les ressources du pays. La police locale est corrompue jusqu'à l'os, on vole et tue impunément... Au fur et à mesures de ses déconvenues, le joli visage de Kémi se fane, se marque pour ressembler à celui de Yao, le mal aimé, la victime déjà presque cadavérique.
Pour trouver Yao, Kémi doit perdre toutes ses illusions, se faire frapper et être humilié, la vérité est à ce prix.
A la fois road-BD et chemin initiatique, le constat est terriblement amer : polluée, corrompue, exploitée, l'Afrique que parcourt Kémi est violente et vaincue par les pires de nos exportations. Seule les femmes sont douces, accueillantes et tendres, elles offriront un peu de tendresse et de répit à Kémi.
Jean-Denis Pendanx connaît bien l'Afrique, ses croyances dans le surnaturel, les conversations avec les esprits, les fétiches puissants... Hélas leur protection sera insuffisante, il faut plus encore que l'invisible pour s'opposer aux puissances du fric et de la misère.
AU BOUT DU FLEUVE - Jean-Denis Pendanx – éditions Futuropolis - 110 p. janvier 2017