Bande Dessinée :
LE CHIEN DE DIEU de Jean Dufaux et Jacques Terpant

Publié par Dance Flore le 08/12/2017
les auteurs :
Jean Dufaux est né en 1949 et a écrit des séries comme Murana (dessin de Delaby), Djinn (dessins de Mirallès ) ou Vincent (avec Jamar), il a écrit les scenarii de presque 200 albums. Il a succédé à Jean Van Hamme pour les aventures de Blake et Mortimer.
Jacques Terpant est un illustrateur, dessinateur et scénariste de bandes dessinées né en 1957, comme Sept cavaliers ou Le Royaume de Borée.
Le Belge et le Français s'associent pour la première fois aux Editions Futuropolis.
Céline ou Louis-Ferdinand Destouches ?
« On ne délire jamais assez, et il ne faut jamais oublier que la vérité de ce monde, c'est la mort. »
- Le chien de Dieu, Dance ? Je ne savais pas qu'il en avait un. Pas bien lu la Bible, peut-être... Je savais pour le serpent...
- Mais c'est une image, voyons ! Oh, le petit esprit !
« Oublier cette misérable pesanteur qui nous courbe, nous avilit... J'en ai connu une dans le temps qui dansait également... Une fée... Une vraie fée... Avec de longues jambes qui vous accrochaient le cœur. »
Il est donc question ici de Céline, l'homme, le médecin, l'amoureux, le romancier, l'ami...et bien sûr aussi l'antisémite et l'ami de vrais salauds.
On retrouve Céline dans son pavillon de banlieue, médecin plus tellement, écrivain au travail, en pleine rédaction de Rigodon, dans les années 60.
Oui, Rigodon, l'autre aspect de la production littéraire de Céline, pas Voyage au bout de la nuit de 32 ni Mort à crédit de 36, on n'est plus avec Bardamu et son cri fraternel contre la grande saloperie de ce monde, on est en 44, le nazisme est passé par là et, à choisir son camp, on choisit aussi son destin.
« Et depuis, je travaille... Je travaille... Le cou plié, le dos qui taraude, une misère ce dos. 1300 pages de sueur, de tâtonnements, de rebuffades pour quelques 600 pages qui passeront à l'imprimerie. De toute façon, j'ai pas à m'en faire, ils impriment tout et n'importe quoi. »
Peu d'écrivains français suscitent pareille admiration et pareil écoeurement à la fois, à croire qu'il y a deux Céline. L'un, génial, incroyable de maîtrise verbale, qui bouleverse tous les codes narratifs, écrit comme on crie, comme on rit, comme on renaude. Une vraie brèche dans la littérature compassée et molle, un geste inoubliable de vérité, de noirceur ricanante, de sincérité nue qui dépouille jusqu'à l'os. Le Voyage, moi je l'ai fait plusieurs fois avec lui, on n'en revient pas. Puis Mort à Crédit, plus intime, un roman d'apprentissage et de quelle façon !
Ici, Céline habite à Meudon avec Lucette, sa femme, danseuse, fidèle compagne dans l'exil comme dans le relatif anonymat de la banlieue. Il travaille son manuscrit pour Gallimard et se souvient du passé et d'Elisabeth Craig, une jeune danseuse qui partage un temps sa vie, libre et sans tabou. Parfois, Céline croit voir un cavalier, un maréchal des logis, un autre avatar de lui-même, rescapé de la grande boucherie, un type qui s'est laissé avoir comme les autres. Parfois, il croit voir une galère peuplée de morts, squelettes ou blessés en tenue de soldats, guidée par La Vigue, un ancien camarade frappé d'indignité nationale et parti se réfugier en Argentine.
Dans cette grande maison, au jardin dépenaillé, Céline écrit, assis à son bureau, en compagnie de son perroquet. Quelquefois, Lucette et Céline reçoivent des amis, pas n'importe qui, n'est-ce pas, Arletty et Michel Simon, et tous se mettent à vitupérer la connerie humaine, entre contempteurs de l'espèce humaine on se comprend, quelles qu'en soient les raisons, on en trouve toujours, et Simon de préférer sa guenon à une femme, ou alors les prostituées. Oh, ça parle cul, c'est le cas de le dire, puisque Céline, enfin le docteur Destouches, y va de sa recommandation de la sodomie, plus hygiénique, selon lui. Ah ! On en apprend, des choses ! Une fois les sujets de conversations épuisés, ils passent à la mise en voix des écrits de Céline, un passe-temps ma foi peut-être moins hygiénique, mais sans doute tout aussi agréable.
« Ah ça ! Ca les agace, mes points suspension, cette petite musique que j'ai trouvée, qu'est pas la leur, non monsieur, c'est la mienne, c'est toujours ça qu'ils ne m'ont pas pris. Ils aimeraient bien, remarquez, c'est même imité, mais ça ne tient pas la route, j'ai pas à m'en faire. »
C'est qu'il a bien failli avoir le Goncourt, Céline ! Il a dû se contenter du Renaudot, mais ce n'est pas faute d'avoir eu un éditeur enthousiaste en la personne de Robert Denoël, fervent admirateur du Voyage. Maintenant, c'est à Gaston Gallimard qu'il a affaire, un homme qu'il ridiculise et pourfend de son mépris quand Roger Nimier vient chez lui en ambassadeur de l'éditeur : « Je me fous énormément de ce que l'éditeur peut penser de mes livres. Il n'est même pas question de solliciter son avis. Son goût est mauvais forcément. Autrement, il ne ferait pas ce métier de semi-épicier semi-maquereau. »
Le manuscrit de Rigodon n'est pas achevé, Gallimard s'impatiente. Mais Céline est avant tout méfiant et cynique car des manuscrits, on lui en a détruit en 44, en particulier la suite de Casse-Pipe, pendant l'épuration. Il a dû fuir, parce que d'un coup, les soirées avec à l'ambassade d'Allemagne avec les copains Drieu, Benoist, Méchin, Paul, ça sent très très mauvais. Les flics et les autorités de tous poils, il les évite, trop de mauvais souvenirs et aucune confiance. Pour faire ce taf, faut déjà pas être un type comestible, pense-t-il.
Depuis la première guerre, on ne la lui fait plus, à Céline. C'est fini, l'espèce humaine est, à peu de choses près, une vermine qu'il abhorre. Il ne cesse de l'agonir de sarcasmes et d'injures, la roulant dans la fange de ses propos incessamment cyniques et rageurs.
Le Docteur Destouches est ce pauvre type si sale et d'apparence si miséreuse qu'on le chasse de la terrasse d'un café parisien et que certaines bonnes âmes lui font l'aumône... qu'il accepte dans un rire. Comme la bêtise des gens et leurs préjugés l'amusent, finalement ! Ils sont bien tels qu'il se les figure, rien ne le surprend plus désormais.
Sous le rire et la hargne, on trouve aussi l'homme, l'amoureux d'Elisabeth et de Lucette, celui qui va aider une gosse malade et un couple de très jeunes gens en fuite, qui se cachent et dont le garçon est extrêmement mal en point. Leur venir en aide, gratuitement, c'est tout naturel pour lui, ces mômes-là, ils sont plutôt de son bord, des exclus, des affamés de la vie qui en ont déjà pris plein la gueule.
L'histoire est un continuel va-et-vient entre le passé et le présent, la rencontre avec Lucette, les guerres, les tragédies intimes et collectives, la vie somme toute simple et routinière à Meudon.
Mais c'est Céline, tout de même, l'immense écrivain du Voyage au bout de la nuit et de Mort à crédit, ce type loqueteux et qui n'a que des imprécations à la bouche. Un Céline aigri par la vie, qui se sent encore incompris, mal aimé, rejeté. Ses positions antisémites et ses fricotages collaborationnistes n'ont pas aidé à le faire aimer, c'est vrai.
«La vie d'un homme, c'est juste une malédiction. »
Dans ces temps où l'on ne sait plus si l'on doit ou non s'autoriser à aimer l'oeuvre de personnes à la morale défaillante, ce livre oblige à prendre parti.
Je ne veux garder de lui que ses gestes d'humanité pour les humbles qui souffrent et son écriture à vif, magnifique, qui a, à jamais, éclairé ma route de son éclat.
Le reste, je le sais, mais je ne veux pas le savoir.
Les paroles attribuées à Céline sont extraites de ses lettres et de ses œuvres, c'est un remarquable travail d'avoir réussi à les mettre ainsi en scène, de façon si réaliste et vivante.
Un peu de musique ?
et de littérature, bien sûr, même Céline va vous en chanter une ou deux...
Arletty et Michel Simon - Comme de bien entendu
Michel Simon lit l'incipit du Voyage au bout de la nuit
Arletty lit Céline
Michel Simon - Elle est épatante cette petite femme-là
Céline - Règlement
Céline - À Noeud Coulant
LE CHIEN DE DIEU - Jean Dufaux et Jacques Terpant - Futuropolis - 70 p. novembre 2017
illustration tirées de la bande dessinée (Futuropolis)