Quatre Sans Quatre

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Chronique Livre :
3 MINUTES 7 SECONDES de Sébastien Raizer

Chronique Livre : 3 MINUTES 7 SECONDES de Sébastien Raizer sur Quatre Sans Quatre

Quatre Sans... Quatrième de couv...

Au crépuscule, le vol MU 729 a quitté Shanghai pour rejoindre Kyoto. Mais tandis que l’appareil survole la mer de Chine, un missile balistique nord-coréen prend le Boeing 777 pour cible.

L’information est transmise au pilote. Dans quelques instants, l’appareil sera détruit. Aucune échappatoire.

À bord de l’avion, trois cent seize passagers vivent leurs derniers instants. Il ne leur reste que 3 minutes et 7 secondes pour savoir quel sens donner à ces ultimes moments.


L'extrait

« À bord du vol MU 729 reliant Shanghai Pu Dong à Osaka, les systèmes radar de surveillance et les systèmes anticollision émirent une alerte. Sagawa, l'officier pilote, ouvrit de grands yeux et laissa échapper un cri de stupéfaction, le dos soudain raide et glacé.
Nomura respirait rapidement pendant que le service de circulation chinois hurlait dans son casque un message d'alerte en anglais. Il écouta l'agent le lui répéter trois fois, sans broncher.
Sagawa avait immédiatement compris la catastrophe à trois paramètres qui s'abattait sur eux : missile, changement de trajectoire et d'altitude, délestage de carburant.
D'un geste assuré, Nomura coupa la communication pour se connecter au poste d'alerte de l'aéroport international d'Osaka. L'opérateur se présenta et le commandant abandonna immédiatement l'anglais pour le japonais. Il eut la confirmation de l'information chinoise : un missile Hwasong-14 tiré depuis un site militaire nord-coréen proche de Pyongyang se dirigeait droit vers le vol MU 729. Leurs trajectoires devaient se croiser trois minutes et sept secondes plus tard. » (p. 44-45)


L'avis de Quatre Sans Quatre

Causes et conséquences, la théorie des (bushi)dominos...

Une suite de facteurs totalement déconnectés les uns des autres, des hasards malencontreux, ou les prémices d'un quelconque volonté cosmique que cette rencontre ait lieu, toujours est-il que le vol MU 729 va entrer en collision avec un missile balistique nord-coréen, ou le contraire. La faute à un retard au décollage dû à des difficultés dans le chargement des bagages, aléa courant à l'aéroport de Shanghai Pu Dong, au typhon Talim qui s'approche de la côté japonaise et dont l'avion pourrait croiser le route à cause de ce retard qui pousse le commandant de bord, Namura à changer légèrement de route et à se délester d'une partie de son carburant, la faute au jeu de mort auquel se livrent USA et Corée du Nord... Peu importe finalement, le résultat est là et, un à un, le personnel naviguant et les passagers vont apprendre la nouvelle par différents canaux, la stupeur, dans un premier temps, l'incrédulité, puis chacun mettra à profit ce bref moment de répit selon ses croyances et les événements de sa vie.

Ce récit est bref et puissant, précis comme un tsuki, un coup d'estoc au katana, le missile est calé sur sa cible, il n'en déviera plus. L'arme et le but sont parfaitement alignés, il n'y a pas d'échappatoire. Pour ceux qui vont mourir, reste à donner un sens à cette tragédie, à la faire coïncider avec le parcours entamé depuis la naissance, à se retrouver avant de se perdre dans un néant de feu. Glen Wang, par exemple, développeur de jeux vidéos, va se projeter dans une réalité virtuelle où il intègre la prochaine collision comme un élément d'une réalité qui n'est qu'un reflet, Yann Van Welde, photographe hollandais, parcourant le monde d'ouest en est pour le fixer sur ses images afin de publier un livre, travaille au texte qu'il voudrait voir accompagner ses clichés, bien qu'il n'y ait aucune chance que qui que ce soit puisse lire ses notes... La carlingue devient une bulle-monde, un paradoxe dans lequel s'ouvrent des possibles dont on ne sait s'ils sont réalité ou rêves illusoires. La technologie ne peut rien pour éviter le drame, alors, dans l'appareil, les frontières s'abolissent, la folie la plus extrême peut côtoyer la lucidité pure et absolue pendant 3 minutes et sept secondes. L'un voudra contempler une lueur d'amour pur dans un regard dut-il fouiller les chairs pour cela, l'autre voudra voir dans cette catastrophe l'occasion d'un sacrifice suprême, une forme de seppuku qui permettra à son pays de régler enfin lui-même le sort de Kim et de mettre un terme à ses menaces...

De nombreuses références plus ou moins directes à Mishima Yukio émaillent ce court roman : le chef de cabine se prénomme Hiraoka, le véritable prénom de l'écrivain qui a accompli le seppuku un 25 novembre en direct à la télévision nippone, espérant également un sursaut nationaliste et un retour à l'ordre impérial, ou la mention de l'Incident du 26-février, une tentative de coup d'état militaire en 1936, sur lequel ce même auteur a écrit un roman, Patriotisme, et comment ne pas penser à son autobiographie, Le soleil et l'acier, en songeant à l'explosion de ces deux masses de métal fonçant l'une vers l'autre. L'histoire elle-même, recèle une part de l'ambiguïté propre à Mishima, son pessimisme exalté ouvrant sur des mondes inexplorés de la conscience.

On retrouve ici la fascination de Sébastien Raizer pour la perfection du geste, en l'occurence la trajectoire du missile, et l'impermanence, source de mutation, deux des thèmes de sa trilogie des Équinoxes, l'alignement idéal de plusieurs facteurs, une inéluctabilité écrasante autorisant toutefois une foule d'issues virtuelles. On peut y voir tout autant une allégorie du Japon lui-même, secoué régulièrement de tremblements de terre violents, un volcan en son centre, victime de typhons et tsunamis, sujet au chaos donc, mais au sein duquel est né la forme la plus élaborée du zen, l'amour de la perfection codifiée depuis la nuit des temps.

3 minutes 7 secondes, ce n'est rien, un éclair par rapport à une vie, pourtant cet instant insignifiant peut se muer en un univers foisonnant sous la plume de Sébastien Raizer, l'éternité naît de l'abolition du temps, pas de sa profusion. Un roman inclassable, comme un ralenti des derniers moments de centaines d'êtres humains pris au piège de circonstances exceptionnelles qui les ramènent au plus profond d'eux-mêmes, à leur propre métaphysique.


Notice bio

Sébastien Raizer est né en 1969. Il vit aujourd'hui à Kyôto. Il est le cofondateur des Éditions du Camion Blanc, qui ont publié des cargaisons d'ouvrages sur le rock, et de la collection Camion Noir transportant une littérature plus sombre et sulfureuse. Il a publié un premier roman, Le Chien de Dédale en 1999 aux éditions Verticales. Il est l’auteur de la trilogie transréaliste des « Équinoxes » à la Série Noire : L’alignement des équinoxes, Sagittarius, Minuit à contre-jour, ainsi que Petit éloge du zen paru aux éditions Folio.


La musique du livre

L'hymne japonais


3 MINUTES 7 SECONDES – Sébastien Raizer – La Manufacture de Livres – 107 p. novembre 2017

photo : Pixabay

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