Chronique Livre :
ALBUQUERQUE de Dominique Forma

Publié par Psycho-Pat le 06/02/2017
photo : Pixabay
Le pitch
Décembre 2001, Albuquerque, Nouveau Mexique, Jamie Asheton est gardien de parking. Voici l’instant qu’il redoutait depuis un après-midi poisseux de septembre 1990, lorsqu’ils avaient, sa femme Jackie et lui, déserté leur appartement de Manhattan. Après avoir balancé un parrain de la mafia new yorkaise, Jamie a en effet tout lâché, gommé sa réalité et son passé pour une nouvelle identité : les hommes du programme de protection fédérale des témoins (WITSEC) lui ont garanti une vie grise et pesante. Ils n’ont pas menti, mais ils ont oublié de mentionner cette peur sourde qui ne l’a pas quitté pendant onze ans, et voilà que cette décennie inexistante s’apprête à voler en éclats.
Une Pontiac Firebird avec deux hommes à bord s’approche de sa guérite. Il va falloir faire vite, très vite pour s’échapper du traquenard et aller chercher Jackie. Ensuite il faudra fuir vers Los Angeles à cette adresse de la dernière chance, le bureau du WITSEC. Mais la route est longue jusqu’à la cité des anges…longue pour un couple traqué, longue pour un homme que sa femme n’aime plus mais qui est condamnée à partager sa vie
L'extrait
« Voici venu l'instant singulier. Le moment de basculement que Jamie redoutait depuis cet après-midi de septembre 1990, lorsqu'avec sa femme il avait déserté l'appartement situé dans l'Upper West Side, à Manhattan.
Tout avait pourtant été réglé comme du papier à musique. Suffira de suivre la partition, lui avait-on raconté. Le programme fédéral protégeant les témoins impliqués dans des affaires criminelles fournissait la seule solution valable. Toute trace de documents officiels et administratifs concernant Jamie Asheton et son épouse avait été effacée. On avait créé pour chacun d'eux un nouveau numéro de sécurité sociale, un nouveau permis de conduire,une nouvelle identité. Leur casier judiciaire était vierge. La justice américaine leur donnait la possibilité de recommencer une nouvelle vie dans une autre ville.
Il faut croire que ça ne suffit pas. Ce matin, le rempart de leur protection s'effondre. Il y a une fuite dans le système, et une sérieuse, pour qu'on retrouve sa trace après onze ans et qu'on veuille lui faire la peau.
D'un mouvement rapide du genou, Jamie fait bâiller l'ouverture du sac ; la tablette l'abritant tremble. Le conducteur réalise que quelque chose se trame, mais un peu tard. Jamie agrippe la crosse de son Beretta Cheetah, un simple modèle 86. » (p.22-23-24)
L'avis de Quatre Sans Quatre
Albuquerque, c'est une volée de coups, une suite de swings et d'uppercuts qui laissent le lecteur groggy. Le récit commence dans un parking, point de départ tumultueux et soudain du road movie, et se poursuit pied au plancher sans une minute de pause dans l'attente de la rafale fatale ou d'un havre de plus en plus improbable. Jamie et Jackie se sont aimés follement, sous un autre nom, dans une autre vie. Elle ne peut plus l'encadrer et se prépare à prendre la tangente sans lui quand les tueurs qu'ils pensaient avoir semés grâce au programme de protection des témoins pointent le bout de leurs flingues.
« Jamie n'est pas mort, pas tout à fait, pas encore. »
Cette histoire n'aurait pu être qu'une banale et longue course-poursuite entre Albuquerque et Los Angeles. Une de plus. Des balles qui fusent, des moteurs qui surchauffent, des pièges soigneusement tendus et évités par des héros aux abois. Et, écrit comme l'est ce roman bien noir profond, elle aurait déjà valu le détour. Dominique Forma balance du suspense à la pelle, d'une écriture haletante comme essoufflée par le marathon épuisant dans lequel sont embarqués ses personnages. Chaque phrase est une embuscade, une chausse-trappe à contourner, chaque paragraphe tend un peu plus le fil qui ne demande qu'à casser depuis le premier mot du premier chapitre. Mais elle n'est pas que ça, loin de là ! C'est une belle, émouvante, étonnante histoire d'amour. Une boucle qui se ferme au moment où ces deux êtres changent encore une fois de vie, la mort aux trousses et le monde entier comme ennemi, abandonné par le seul allié qui leur restait, trahis par les leurs. Eux contre l'univers. Une hostilité palpable, redoutable de Jackie envers Jamie dès le début de la traque se transforme, au fur et à mesure, en une complicité obligée et complexe,
« La vérité est une poudre piquante qu'on laisse fondre sur le bout de la langue. »
Cette love story, on ne la voit pas venir. Eux non plus. Elle est là, latente,comme un germe qui peine à sortir de terre, discrète, furtive, à peine quelques signes fugaces. Seul Jamie a la foi, celle du charbonnier, inoxydable, Jackie a cessé de l'aimer, le hait, il la dégoûte. Il n'est plus celui qui l'a séduite, il est gras, mou, d'une prudence de souris dans un congrès de chats. Ils ont tout perdu, elle lui en veut, elle ne reconnaît plus l'homme qu'elle a aimé. Ce couple est déjà mort. Mort quand s'est mis en place cette vie artificielle dans le programme de protection des témoins, mort quand il a fallu renoncer à leur ancienne vie et exister vaille que vaille en clandestins permanents, enterrés vivants au Nouveau-Mexique.
« Les hommes sont plus petits que ce qu'on pense. »
Il n'y a plus le choix, leurs destins sont liés par la proximité de la faucheuse, par cet ennemi présent partout, omniscient, tout-puissant qui profite de la déliquescence de l'état et du redéploiement des effectifs après les attaques du 11 septembre pour mettre en œuvre sa vengeance. Le danger peut venir à chaque instant, de partout et nulle part, plus personne ne se soucie d'eux, ils n'existent plus.
Très cinématographique, ce récit propulse son lecteur dans le sillage des fuyards, fait battre son cœur au rythme de la peur et des balles qui sifflent, de l'angoisse des ombres et des apparences. Ce petit bouquin est un shot, il brûle la gorge, déchire l'estomac et les tripes par l'acidité des rebondissements et des péripéties captivantes du couple pourchassé, il s'avale cul-sec, sans respirer.
Ne laissez pas partir Jamie et Jackie sans vous, sautez dans la voiture, baissez la tête, ça flingue souvent, mais allez jusqu'au bout du voyage avec eux, vous irez de surprise en surprise !
Notice bio
Dominique Forma est un réalisateur, écrivain, critique de cinéma et historien de cinéma français. En 2001, il réalise le film La Loi des armes (Scenes of the Crime) avec Jeff Bridges. Le film est présenté au Festival du Cinéma Américain de Deauville. Il est notamment l’auteur de Hollywood Zéro, roman. éd. Rivages Noir, 2013 et Amor, roman, éd. Rivages Thriller, 2015.
La musique du livre
Un seul titre, en page de garde, les paroles de James Osterberg (plus connu sous le nom d'Iggy Pop) très légèrement modifiées, il s'agit de 1969, tiré sur premier album des Stooges. À noter que Jamie, le héros du roman, porte le nom d'Asheton, comme Ron et Scott, les frères fondateurs du groupe, aujourd'hui décédés, respectivement batteur et guitariste.
ALBUQUERQUE – Dominique Forma – La Manufacture de Livres – 171 p. janvier 2017