Quatre Sans Quatre

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Chronique Livre :
ANTONIA de Gildas Girodeau

Chronique Livre : ANTONIA de Gildas Girodeau sur Quatre Sans Quatre

 photo : Massif du Simien, merveilleux paysages d'Éthiopie qui plurent tant à Antonia (Wikipédia)


L'extrait

« Fuir...
La nouvelle était tombée depuis le rutilant poste de télévision en noir et blanc récemment installé Chez Emilio, le bar de la Via Pagano où Antonia, quant elle était seule et ne travaillait pas , avait coutume de terminer son après-midi du dimanche. Chez Emilio jouxtait le parco Sempione, au cœur de Milan, un endroit qu'elle fréquentait jadis, du temps de son enfance au sein de la bourgeoisie milanaise, sorte de retour en arrière pour mesurer le chemin accompli et comprendre comment elle en était arrivée là. Ce bistrot jouait le rôle de sas de décompression entre sa vie d'avant et celle d'aujourd'hui ; passage obligé pour voyager d'un univers à l'autre, lien fragile avec un passé dont elle ne parvenait pas à se détacher totalement. Une faiblesse, elle le savait, signifiant que tout ceci n'était pas irrémédiable.

Après le traditionnel latte macchiato, parfum d'enfance dont sa grand-mère était spécialiste elle prenait le tram pour retrouver la vie, la vraie, celle du quartier populaire de Lorenteggion où elle occupait une chambre mansardée. Mais maintenant tout ça était fini. »


Le pitch

Milan 1974 : Antonia est une jeune militante des Brigades Rouges plus connu de la police sous le pseudonyme de la Pistolera. Le vent tourne et la répression s'abat durement sur son mouvement, Antonia doit fuir et vite, sans un regard en arrière, sans passer par le protocole mis en place dans cet éventualité. Elle passe par son cousin Anselme, membre du clergé assez haut placé au Vatican qui lui indique un havre potentiel en Suisse au siège d'une ONG tenue par des religieuses. Poursuivie par les autorités italiennes et la CIA, elle risque très gros, voire sa vie, si elle se fait prendre.

Antonia devient Astrid, accepte de travailler comme laïque dans l'organisation et part en Afrique comme enseignante. En Éthiopie, elle assistera aux convulsions de la chute du Négus et à la révolution dégénérée par Mengistu, puis, plus tard, aux prémices du dernier grand génocide du siècle dernier au Rwanda.

Histoires d'amour, de guerres, d'engagement et des malveillances du monde...


L'avis de Quatre Sans Quatre

Antonia n'est ni un polar ni un livre d'aventures, c'est le récit de la vie d'un témoin impliqué et privilégié de notre histoire récente. En pleine guerre froide, la CIA et ses alliés réactionnaires du Vatican sont prêts à tout pour contenir la lutte des peuples, leurs demandes d'émancipation et l'avancée du communisme. La lutte est rude et mortelle avec la frange réformiste et tiers-mondistes de l'église qui souhaite, au contraire, apporter de l'aide à l'autonomie des paysans pauvres et à l'essor de la démocratie.

Gildas Girodeau parvient à captiver son public avec une écriture vive et précise, sans pour autant lasser par une accumulation de détails inutiles. Antonia n'est pas un pamphlet ou un essai, les faits sont connus et documentés par ailleurs, il raconte avec force cette femme courageuse, obstinée, lucide qui s'est engagée au mépris de sa vie, loin des beaux discours vides, dans le concret des terrains les plus difficiles et dangereux. Elle aime, elle se révolte, s'indigne, doute mais ne cède ni ne regrette jamais. Une héroïne à la Camus, qui démontre par son exemple même la pertinence de ses arguments.

Athée, alliée de circonstances avec des sœurs à la foi en béton, Antonia a la modestie d'apprendre, la force de transmettre et l'humanité de rencontrer sans dévier de sa route. Une empathie hors du commun, insubmersible mais perméable aux autres. Au milieu des complots les plus sordides, des compromissions les plus viles, ces femmes et ces hommes engagés auprès des plus démunis du continent africain vont aller au bout d'eux-mêmes, insouciants des risques que font peser sur leurs vies les tueurs de la CIA et les nouveaux potentats locaux, souvent alliés les uns aux autres d'ailleurs...

Un très beau livre, passionnant, édifiant, une épopée au milieu des peuples et des secousses terribles et meurtrières des années soixante-dix et quatre-vingt. Antonia éclaire d'obscures périodes, des règlements de comptes secrets et des interventions clandestines ayant modifié le cours de l'Histoire des hommes, sans pathos ni lyrisme, un témoignage littéraire capital sur une lanceuse d'alerte au tempérament de feu.


Notice bio

Gildas Girodeau est né à Collioure en 1953. Il tire son inspiration dans le bouillonnement politique et culturel engagé. La plupart de ses histoires font voyager dans le temps et au cœur des conflits humains qui agitent le monde. Militant de l'agriculture biologique dans le sud de la France, cet ancien marin est aussi auteurs de polars et d'héroic fantasy. Antonia est son dixième roman.


La musique du livre

Tout commence par le passage de la frontière suisse en Spider Fiat et une cassette (éh oui, 1974;-) de Olivia Newton-John, I Honestly Love You.

En Éthiopie, Antonia fait la connaissance de Jordi, militant catalan attendant que Franco ait fini d'agoniser, il lui fait découvrir Bob Marley and the Wailers et, notamment, Get up Stand up ainsi que the Skatalites, When I Fall in Love.

Plus tard, au Rwanda, avec son amie Soeur Constance, elles parlent de rédemption et reviennent à Bob Marley et à sa Redemption Song.

ANTONIA – Gildas Girodeau –  Éditions Au-delà du raisonnable – 249 p. juin 2015

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