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Chronique Livre :
Au fer rouge de Marin Ledun

Chronique Livre : Au fer rouge de Marin Ledun sur Quatre Sans Quatre

 photo : logo de l'ETA (Wikipédia)


L'extrait

« N'importe qui faisait ce qu'il voulait ici. Le Pays basque était un repère pour une bande de corrompus, de soudards et de chercheurs d'or qui se prenaient pour des rois et fabriquaient l'histoire. Le Pays basque, c'était le Far West européen. Depuis qu'ETA et l'État français avaient déclaré forfait, la région avait besoin d'un sérieux coup de balai. Malgré tout, elle n'était pas certaine d'aimer ce qu'elle trouverait une fois le ménage fait. »


Le pitch

Le lieutenant Simon Garnier et le commandant Axel Meyer ont prix du galon après leur enquête particulièrement complaisante suite aux disparitions plus que suspectes décrites dans L'homme qui a vu l'homme (Ombres Noires 2014). Nous sommes en 2014 et la marée charrie un bien macabre colis sur une plage landaise : un corps ficelé, visiblement torturé, inconfortablement coincé dans une valise probablement immergée au large. Garnier, premier sur place, commence à avoir des sueurs froides, ce supplicié ne lui est pas inconnu...

Qu'est ce qu'un petit dealer massacré, sans réelle importance, peut bien avoir à faire dans une valise flottante ? Apparemment, ETA et les États espagnols et français observent une trêve fragile qui ne plait peut-être pas à tout le monde. L'argent coulait largement et sans question pendant la lutte contre le terrorisme. La crise et la fin de la lutte armée semblent vouloir mettre une terme à cette période bénie pour des hommes de la trempe de Javier Cruz, flic espagnol, barbouze, truand et assassin sans scrupule, impliqué dans les disparitions de militants basques et d'autres affaires moins patriotiques.

Le lieutenant Emma Lefebvre, victime des attentats de Madrid du11 mars 2004, vient juste d'intégrer l'équipe de Meyer . Restée bloquée sur les premières déclarations de l'État espagnol qui voyait, à tort, la main de l'ETA dans ces attentats a un solide compte à régler avec les indépendantistes basques. Elle voit l'ombre de l'organisation partout et met, à l'occasion de cette enquête, le nez là où il ne fallait pas.

Pour ne rien arranger, un ouvrier d'un entrepôt de stockage de minerai radioactif de Bayonne meurt d'un cancer. Son fils va vouloir demander des comptes au patron et mobiliser des activistes mais le terrain hyper pollué de l'usine intéressant de sombres personnages, l'écologie va vite être reléguée au second plan et les militants mêlés à des manœuvres qui peuvent les broyer.

Entre flics corrompus, complices obligés de barbouzes, dealers, politiciens opportunistes, hommes d'affaire sans conscience, les lignes de la loi et de l'éthique flottent ici plus qu'ailleurs et tout le monde doit regarder en permanence derrière son épaule, tout le temps...


L'avis de Quatre Sans Quatre

Au fer rouge n'est pas vraiment une suite de l'excellent thriller L'homme qui a vu l'homme. Certes, on y retrouve quelques personnages déjà vus, mais l'angle de prise de vue est totalement différents et la situation politique locale a complètement changé. Les militants basques et la sale guerre qui leur est livrée sont bien évidemment évoqués mais ils ne sont plus, comme dans le précédent roman, ni vraiment présents, ni réellement actifs, ils sont devenus des prétextes.

Marin Ledun pose crument la question du devenir de ces policiers, agents des gouvernements, délinquants de droits communs employés comme nervis. L'habitude de la transgression et de l'impunité ne s'efface pas d'un claquement de doigts. La corruption, aussi grimée qu'elle soit, prend toujours le même chemin, meurtre, argent sale, came, trafic, injustice...

Quand les états jouent avec les limites de la loi, les transgressent au prétexte d'efficacité, les couvrent à grands renforts de « secret défense », alors, il n'y a plus ni justice, ni sécurité. Quand une autorité donne tous les droits et l'impunité à des hommes, elle ne peut plus faire machine arrière et doit perpétuellement essayer de limiter la casse et se couvrir elle-même.

Au fer rouge présente une magnifique galerie de personnages, vivants, réalistes décrits un style net, sans superflu qui va droit au but avec justesse et efficacité. Mention spéciale pour Aaron Sanchez, truand perdu dans son costume de chef d'entreprise, Yaiza, la prostituée futée prise dans une histoire qui n'est pas la sienne et Javier Cruz, le flic/barbouze/truand qui ne sait plus où il se trouve...

Un thriller très politique, au sens noble du terme, terriblement réaliste et crédible, parfaitement écrit et construit. Les hommes sont broyés par la terrible machine de la violence d'État, la corruption, l'ambition et la rapacité certaine d'être impunie.

Du suspense plus qu'il n'en faut, aucun protagoniste ne suivant réellement le rôle que lui donne la société, le lecteur ne peut être que surpris. Encore une plongée totalement passionnante dans les nauséabondes habitudes prises au Pays basque, un terrible constat à découvrir vite...


Notice bio

Marin Ledun est né en 1975. Il est docteur en sciences de l’information et de la communication et a été chercheur à France Télécom de 2000 à 2007.

Auteur de nombreux romans et essais, il a reçu, entre autres, le Prix Mystère de la Critique en 2011 pour La guerre des vanités (Gallimard – Série noire) et Grand Prix du roman noir du Festival de Beaune, toujours en 2011 pour Les visages écrasés (Le Seuil - Romans noirs). Il est aussi l’auteur de plusieurs pièces radiophoniques pour France Culture. Au fer rouge est la suite de son précédent polar, L'homme qui a vu l'homme, déjà paru chez Ombres Noires en janvier 2014 et couronné par le Prix Jean-Amila Meckert.


La musique du livre

Musique locale pour débuter avec de la Txalaparta joué par Igor y Harkaitz, Paco de Lucia et Entre dos agua ensuite qu'écoute Yaiza/Macrina en bouclant ses valises.

Le très espagnol Manolo Escobar, Que viva Espana, fredonnée par Emma au cours de son enquête, et, pour finir, toujours Yaiza qui voit Bobby Bland chantant Further up the road sur LCI à la fin du roman.

Au fer rouge – Marin Ledun – Ombres Noires – 460 p. janvier 2015

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