Chronique Livre :
AU NOM DU FRIC de Pascal Thiriet

Publié par Psycho-Pat le 26/05/2015
photo : le parvis de la Défense, temple des adorateur du fric (Wikipédia)
L'extrait
« Chez les du Tylleux, l'anniversaire du chef de famille, c'est la grosse affaire. Le premier de l'an, Noël, la fête nationale, tout à la fois. Ça se prépare longtemps à l'avance. En plus cette année on fête les cinquante-cinq ans d'Hercule. Un millésime symbolique. Ses deux cinq, chiffres fétiches qui rappellent à tous que du Tylleux, c'est une galaxie de sociétés, un trou noir de la finance avec en son centre : « 5/5 », la banque qu'Hercule a mené jusqu'au Top Ten des établissements financiers d'Europe. Les fistons n'allaient pas s'en sortir avec un cendrier en plâtre ou une vulgaire montre, même suisse !
Le patriarche s'avança jusqu'au bout de la terrasse. De là, on voit la foule des invités. Et surtout, de là, on est visible de tous. Aymé et Dante se placent à droite et à gauche de leur père. Le ministre est resté un peu plus loin, un peu gêné. À l'ENA, il n'aurait jamais pensé être un jour le cadeau d'anniversaire dans une fête de famille. Même si la famille en question, c'était les du Thylleux, il aurait aimé un peu plus de discrétion. »
Le pitch
Hercule du Thylleux a décidé que son empire financier ne serait pas divisé à sa mort entre ses fils, il ne peut se résoudre à voir ses précieuses sociétés et montages douteux amoindris. Il organise donc une sorte de duel où ses deux fils, Dante, digne image de son père, froid et venimeux comme un scorpion, devra affronter son frère Aymé, homosexuel méprisé peu enclin à se mêler aux affaires de la famille, vont s'affronter. Ils recevront un demi milliard chacun et devront le faire fructifier dans un délai de treize mois, celui qui aura le plus valorisé son avoir sera le seul et unique successeur d'Hercule.
Marie-Bernadette Laparoisse, troisième fortune de France par ses parents, et, accessoirement, épouse d'Hercule, ne l'entend pas de cette oreille. Elle décide de favoriser Aymé en rallongeant sa dotation. Ce n'est pas par une quelconque volonté de venir en aide à son fils ou amour maternel qu'elle ne pratique pas, son action n'a pour but que d'emmerder Hercule, de fausser son stupide challenge.
La garde rapprochée de la famille, Blasphème, magnifique jeune femme, redoutable financière, et Sun Tzi, alcoolo-informaticien de génie, sans compter Diane, la bien nommée épouse de Dante et maitresse d'Hercule, va entrer dans une danse du ventre autour du pouvoir et du fric.
Bien entendu, personne ne respectera quelque règle que ce soit, les coups les plus tordus seront de mise, la partie va être rude...
L'avis de Quatre Sans Quatre
Nous voici sur l'Olympe, dominé par Hercule, demi-dieu vieillissant, mâle dominant au pouvoir sans limites, qui use et abuse encore, malgré l'âge et le dédain, des femelles du clan, hormis son épouse, et qui décide pour se distraire et préparer ses arrières d'un jeu sournois où s'affronteront Dante et Aymé. Nul ici n'est soumis à la loi des hommes (traduire les pauvres). Toutes les ignominies sont permises, meurtres, viols, vols, arnaques, le système judiciaire est là pour glisser sous le tapis les frasques un peu trop voyantes. Un monde où nous ne mettrons jamais les pieds mais qui, loin de sentir de divins parfums d'Orient, respire profondément la charogne, celle où les rapaces aiment à enfoncer le bec.
AU NOM DU FRIC n'est pas qu'une farce sordide sur les mœurs des autoproclamées élites de l'oseille, c'est une étude entomologique des mœurs de cette faune dangereuse. Hercule pense avoir tout prévu, tous les pions sont en place, c'est son propre triomphe qui se joue ici et il y travaille ardemment. Dante s'y emploie également, il fraude autant qu'il le peut le fisc, les douanes, la bourse et tout ce qui est fraudable. C'est à celui qui pissera son blé le plus loin, pathétique mais d'une drôlerie irrésistible. L'auteur ne me semble pas porter les instituions financières et leurs dirigeants dans son cœur mais il a une manière tordante de s'en moquer et de réduire leurs grands mots complexes d'économistes savants à de petites manœuvres sordides et tordues.
Ce polar distille un acide puissant qui ronge les dernières illusions que le lecteur aurait pu conserver sur ce milieu à travers un ensemble de personnages savoureux, caricatures géniales aux traits, à peine forcis, d'une férocité jubilatoire. Les ruines de la civilisation, de l'empathie et de tout ce qui peut représenter le fameux vivre-ensemble s'écroulent sous les coups cyniques de Dante, Hercule et la sublime bande de salauds (salopes) qui les accompagne. Seul Aymé tente de construire, d'imaginer mais sans le vice de Blasphème et de Sun Tzi, il serait vite noyé et éliminé.
Remarquable polar par le ton et le sujet, Au nom du fric, n'en néglige pas pour autant le rythme, le suspense et l'action. Pas de temps mort, il y a toujours une bourse ouverte quelque part et une bassesse à commettre, un piège à poser, une enveloppe à glisser ou un concurrent à buter, ces gens-là ont une vie de dingue, pauvres riches...
Notice bio
Pascal Thiriet est né au début des années 50 d’une mère corse et d’un père pied-noir. Il passe une enfance tranquille en banlieue parisienne. C’est après que ça se gâte… puisqu’en soixante-huitard précoce il abandonne très vite ses études, part en stop aux États-Unis et au Guatemala où il passe quelques jours en prison pour une raison non encore élucidée à ce jour… Dès son retour, et pêle-mêle, il fabrique des milliers de santons, fait des convoyages de bateaux, fonde une communauté proche des situationnistes, travaille dans un garage puis entreprend une carrière de typographe tout en vendant La Cause du Peuple sur les marchés dominicaux… Il a ensuite trois enfants, prépare un Capes de maths et devient prof à Toledo USA. Il lit tout et n’importe quoi, mais sans cesse. Il déteste la chasse mais adore canoter sur le lac Michigan ou laisser son voilier filer tout droit autour de la Méditerranée… Il écoute Phil Glass, Moussu T et Monteverdi… mais pas que ! Il va souvent au cinéma mais n’a jamais eu la télé… ! Et puis il écrit, beaucoup et tout le temps…(Bio piquée évidemment sur le site de Jigal Polar ;-)
La musique du livre
Davaï, l'amant du mal Aymé, écoute Funnel of Love, version Wanda Jackson, lorsqu'il « est déjà bien attaqué au bourbon et à la poudre. »
Sun Tzi se décide pour un tango de La Chicana alors qu'il voyage en métro, Juguete Rabioso.
Hercule connait le penchant de son fils pour la musique classique, en particulier Luigi Nono, Liebeslied.
Pour finir, comme il y a quelques enterrements dans cette histoire de dingues du pognon, il y a forcément un requiem, tant qu'à faire celui de Gabriel Fauré, Pie Jesu, parce qu'il est chanté par un enfant et que c'est plus de circonstance...
AU NOM DU FRIC – Pascal Thiriet - Jigal Polar – 238 p. mai 2015