Chronique Livre :
AU NOM DU PÈRE de Éric Maravélias

Publié par Psycho-Pat le 21/03/2019
Quatre Sans... Quatrième de couv...
Plus de vingt ans après que Dante Duzha a quitté la Macédoine en raison des bouleversements politiques que connaît le pays, un incident imprévu fait vaciller l'empire qu'il s'est construit en France.
Dans un Paris crépusculaire, au bord de la guerre civile, gangrené par les crimes et les trafics, l'insidieux poison des secrets de famille nourrit les rancœurs et les haines les plus tenaces. Alors quand entrent en scène l'amitié trahie, les amours impossibles, les ambitions démesurées...
C'est le vent furieux des passions humaines qui se déchaîne ; puis la violence s'installe, entraînant inexorablement les personnages de cette tragédie moderne vers un destin tragique.
L'extrait
« Norheq s'approcha du portail en claudiquant, déverrouilla et ouvrit les battants.
Son moral n'était pas au beau fixe, mais presque. Falcone s'était révélé prudent. Norheq avait mis plus de temps que prévu à le convaincre, à le pousser à franchir le pas et s'attaquer de front à Alkan. Mais enfin... il y était parvenu.
Falcone avait changé depuis la Macédoine. Désormais, lorsqu'il avait trop bu ou qu'il avait pris de la coke, il avait tendance à être bavard. Il n'avait pu s'empêcher de cracher sa rancoeur et dé »blatérer sur Dante. Entre Falcone, Dante et Alkan, le feu couvait depuis un bail. Depuis cette sombre histoire de trahison en Macédoine. Alkan, son élève, son associé, presque un fils, l'aurait donné aux flics, le forçant à s'enfuir et quitter le pays en quatrième vitesse. Norheq ne savait pas si c'était vrai ou pas et il s'en foutait. Mais il y avait de quoi l'avoir en travers de la gorge. Alors Norheq, depuis, l'aiguillonnait. Il attisait sa vindicte, stimulait son ambition. C'était la stratégie du duo. Trois des douze Secteurs Nord étaient enfin à leur portée, et ce n'était pas Slaig, ce connard d'infirme coincé dans le coffre, qui viendrait dire le contraire.
Il fit signe à Falcone de rentrer la voiture.
Il était impatient de voir comment tout ce cirque allait tourner. Falcone n'avait pas encore ouvert la bouche à propos de son rendez-vous avec Alkan un peu plus tôt. L'Albanais avait joué leur joker et Norheq craignait qu'il n'y ait eu un problème. Il sourit en pensant à la tête qu'Alkan avait dû faire en voyant les photos et en entendant ce que l'autre avait à lui dire. » (p. 32-33)
L'avis de Quatre Sans Quatre
1998 : Dante Duzha est un stratège, une tête pensante de la pègre, dans sa ville d’Orhid, en Macédoine. Pour ses affaires, il s’est acoquiné avec Falcone, un Albanais, ami d’enfance, son homme de confiance. Macédoniens et Albanais ne s’aiment guère, et c’est un euphémisme, pourtant ces deux-là se complètent et fonctionnent plutôt bien puisqu’ils sont au sommet de la chaîne alimentaire de la mafia locale. Dante dirige, Falcone exécute. Dante anticipe les conflits qui vont embraser la région et confie à Falcone ses affaires et l’éducation de son fils, Alkan. Celui-ci vit avec sa mère et son mari, qui n’est autre que le frère de Dante. Une histoire d’honneur et de traditions sauvages. Alkan pense que Dante est son oncle et nul ne doit lui divulguer la vérité sur sa filiation.
Vingt-cinq plus tard, Dante habite dans une France dystopique, ravagée par la corruption, dans laquelle les milices font régner un ordre fascisant, imposé par une espèce d’aristocratie du crime dont les caïds ont repris les codes à l’ancienne noblesse. Les chefs truands sont barons, comtes, ducs selon leur rang dans l’organisation, et le Macédonien est sur le point de franchir encore un échelon dans la hiérarchie. Vieillissant, malade, il manoeuvre toujours dans l’ombre avec autant d’habileté. Falcone et Alkan sont également arrivés dans le pays, ils travaillent sous ses ordres et contrôlent trois secteurs pour lui, des zones à problèmes multiples qui leur donnent pas mal de difficultés. Dante partage sa vie avec une très jeune femme, Cristal, qui n’est pas insensible aux charmes d’Alkan, lui-même marié avec la fille du tout-puissant chef de la mafia.
Contrairement aux prescriptions formelles de Dante, Falcone n’a pas su empêcher Alkan de tomber dans la came à Orhid, ni de se faire prendre. Le jeune homme passera cinq longues années en prison mais ne sortira pas assagi pour autant. Une fois émigré en France, Dante lui confie une partie de son organisation et compte bien en faire son héritier prochainement, en lui avouant, avant de passer la main, la vérité sur leur lien réel. Poussé par son homme de main, Norheq, Falcone pousse de plus en plus ses propres pions et compte se venger des humiliations subies depuis des années sous les ordres de Dante. Pas encore prêt à le combattre de front, les deux hommes travaillent à éliminer les obstacles qui se dressent devant eux. Les cadavres fleurissent comme les jonquilles en mars, ajoutant encore à la confusion.
Dans le sillage de Dante et Falcone traînent les prédictions d’une voyante, des rancoeurs, des jalousies et des secrets jamais purgés. Tout est en place pour une tragédie shakespearienne dont le décor et l’atmosphère n’est pas sans rappeler le Macbeth de Jo Nesbo. (Série Noire 2018). Une ambiance de fin de civilisation, dans laquelle le vice domine tout, impose ses vues et conduit immanquablement à la catastrophe. Éric Maravélias assemble dans un premier temps, avec habileté, un à un, tous les rouages du drame pour ensuite décrire avec soin les résultats inévitables de sa construction. On comprend vite que l’issue ne sera pas, en aucun cas, un happy end, chacun agit au mieux de ses intérêts, ou de ce qu’il croit être ses intérêts, les inimitiés, voire les haines, font le reste pour précipiter le désastre.
Fin de règne, trahisons, coups bas, calculs malveillants et rapacité ne pavent pas la route de pétales de rose. Surtout si l'on ajoute la disparition d'un énorme paquet de fric. Peu importe l’anticipation que le dénouement sera cataclysmique, c’est le chemin qui y mène qui est ici passionnant. Le suspense est constant dans un récit truffé de rebondissements et surprises. Intrigues de palais, calculs savants de joueurs d’échec, chaque chapitre de ce polar est miné. Le lecteur peut suivre chacun des personnage dans ses manipulations, manoeuvres et prises de risque. Cristal, Alkan, Dante, Falcone jouent gros, dernière mise, derniers espoirs, ce sont des personnages en équilibre sur une corde raide et sans filet qui peuplent ce roman, chacun de leur mouvement peut être le dernier.
Un style sous tension qui sied particulièrement bien à l’atmosphère apocalyptique du livre, des protagonistes bien campés, solides, avec de la chair, lâchés dans une histoire où la filiation, la descendance joue le rôle de détonateur à retardement, tout est là pour un excellent polar, captivant et sombre foncé.
Notice bio
Éric Maravélias est né dans la banlieue sud de Paris et vit aujourd'hui dans le sud de la France. Son premier roman, La faux soyeuse était paru en 2014, déjà dans la collection Série Noire.
La musique du livre
Bruno Mars – Uptown Funk
Maroon Five - Sugar
Benedict Kloeckner & Anna Fedorova - Frédéric Chopin – Sonate Opus 65 – piano et violoncelle
Pablo Olivares - En el Camino
AU NOM DU PÈRE – Éric Maravélias – Éditions Gallimard – collection Série Noire – 374 p. février 2019
photo : Orhid - Wikipédia