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Chronique Livre :
Aux animaux la guerre par Nicolas Mathieu

Chronique Livre : Aux animaux la guerre par Nicolas Mathieu sur Quatre Sans Quatre

photo : Senones dans les Vosges (Wikipédia)

« Les braves gens sont des salauds comme vous et moi, c'est tout. A peine s'ils ont des circonstances atténuantes, comme les pauvres, les malades ou les vieux, quand ils sont méchants et bêtes. » (Rita)


Le pitch

Une vallée des Vosges comme une réserve d'indiens, une des dernières enclaves du peuple ouvrier, le seul, le vrai. Celui qui croyait, il n'y a pas si longtemps encore, qu'on pouvait faire table rase du passé et se débarrasser des Césars et tribuns...pas si longtemps mais c'était avant. Avant que la direction de l'unique usine pourvoyeuse d'emploi du coin ne décide de fermer les portes.

Par dessus bord, les générations qui se sont crevées sur les machines, oubliés les gigantesques profits accumulés, le sacrifice des ouvriers et de leurs familles. Reste plus qu'à tuer le temps, à choper une pré retraite ou magouiller comme on peut pour survivre dans l'attente de la lettre signifiant votre inutilité et votre mise au rencard de la vie. Reste la trouille, les souvenirs des luttes, du temps où on se serrait les coudes, du temps où on était un interlocuteur.

Faut bien un responsable, ce sera, tour à tour, les intérimaires, les arabes, les patrons, les autres quoi, mais pas eux, parce qu'ils ont tout donné, tout encaissé et qu'il n'y a rien à leur reprocher.

Aux animaux la guerre raconte ce peuple, la vie de quelques individus, plus malins ou plus cons, plus débrouillards ou simples suiveurs. Rita, l'inspectrice du travail qui accompagne comme elle peut la jeune fille quasi nue qu'elle a découvert en plein hiver fuyant on ne sait qui, Martel, le secrétaire du CE et son pote Bruce, bodybuilder - « Chez lui, les stéroïdes et la connerie faisaient détonateur » - qui ont eu l'idée stupide de se faire du blé en kidnappant une pute à Strasbourg pour le compte d'un caïd local.

Une tranche de vie bien merdique, bien glauque, sur fond de montagnes enneigées -« C'était beau ; ça donnait légèrement envie de se tirer une balle, mais c'était beau. » - en attendant cette putain de lettre pour certains et la fin de l'hiver pour les autres, une saison interminable où, l'âge venant, on est jamais sûr d'en voir le terme.


L'avis de Quatre Sans Quatre

Attention, grand roman ! Au delà de l'anecdotique fermeture d'usine, la galerie de personnages, à elle seule, mérite déjà de se plonger avec voracité dans ce récit. Pas d'exotisme ou d'artifices, c'est du réel, du concret, des gens que nous connaissons tous, une immersion dans la vraie vie et les sales coups du destin, dans la connerie ordinaire également, servie généreusement.

Et ces personnages vivent une histoire banale mais admirablement écrite, sans fard, sans en rajouter. Nicolas Mathieu a le très grand talent de rendre passionnant l'ordinaire, le trivial, le quotidien. Les petites bassesses, les arrangements avec l'honnêteté, les magouilles, les minuscules révoltes deviennent un grand scénario à suspense, un vrai bon livre d'action. Il nous fait vivre de l'intérieur cette décrépitude, ce délitement de tout un univers, le poids de l'ennui et de la lassitude de vivre encore un peu.

Un des derniers hommes de main de l'OAS, la fin des ouvriers, les ultimes jours de boulot... il ne manque qu'un avenir, un demain pour rompre le cercle mais rien à l'horizon. Juste un peu plus d'emmerdes et moins de lumière, sauf cette neige qui anesthésie tout. La fermeture des ateliers, une situation inconnue jusqu'alors dans cette vallée, un verdict suprême et sans appel ! Point de repère pour expliquer tout ça, « A force de tricoter leur mythologie, les vieux en oubliaient la réalité. Des vies brisées par le boulot, des corps rognés, tordus, des existences écourtées, des horizons minuscules », et ce peu, on leur retirait...faut pas s'étonner des haines et des rancœurs, des saloperies et du dégoût...

Une plongée magnifique dans l'hiver du temps et des hommes, crue, drue, sans concession, dans une belle prose syncopée, un livre touchant et beau.


Notice bio

Nicolas Mathieu est né à Épinal en 1978. Après des études d'histoire et de cinéma, il s'installe à Paris où il exerce toutes sortes d'activités instructives et mal payées. Aujourd'hui, il écrit pour un site d'info en ligne. Aux animaux la guerre est son premier roman.


La musique du livre

La musique accompagne le récit, l'habille, donne l'atmosphère, elle est là, dans l'histoire pour en souligner un aspect ou simplement donner le ton. Au fil des pages, Bruce se bourre les oreilles d'une compile de Meshuggah, Roberta Flack ou France Gall achèvent de rendre lugubre et désespérante l'ambiance des bistrots...Et Mano Solo, présents dans les Cds d'une des jeunes et parce que ça fait du bien de ré écouter Mano Solo de temps en temps...

Aux animaux la guerre – Nicolas Mathieu – Actes Sud – 360 p. mars 2014

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