Quatre Sans Quatre

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Chronique Livre :
Avaler du sable de Antônio Xerxenesky

Chronique Livre : Avaler du sable de Antônio Xerxenesky sur Quatre Sans Quatre

photo :  la Monumental Valley où a été tournée La Chavauchée Fantastique (Wikipédia)


L'extrait

« Pour Juan, le temps était comme du sable. Certes, il désirait revenir en arrière et reconstruire le passé pour atteindre un présent idéal, sans erreurs ni écarts, mais pour cela il serait nécessaire que chaque grain de sable revienne à sa position d'origine de trois, quatre ans auparavant. Et il y avait tant de grains ! De petites choses minuscules qui, une fois réunies, semblent former l'infini. Il était impossible que chacun de ces grains revienne à sa juste place. Les paysages de sable étaient irrécupérables. Le temps était irrécupérable.
La mission était (avait été, et continuait d'être) d'accepter l'état actuel du sable, en étant pleinement conscient que le vent en emporterait encore beaucoup, désorganisant chauqe fois davantage les grains, afin qu'ils atteignent des positions inédites et inattendues. Le vent transportait du sable, le sable transportait tout, et un jour Juan serait sous le sable, emporté à jamais par le temps, oublié. »


Le pitch

Mavrak, un patelin perdu du Far west, du sable, des putes, des pistoleros et deux familles qui se haïssent, les Montaigu et Capulet locaux, version cigarillos puants, aisselles suintantes et santiags qui claquent sur les trottoirs en bois, se nomment Marlowe et Ramirez. Chaque famille étant persuadé que l'autre travaille activement à son éradication, la paix civile ne peut être que précaire et temporaire.

Peu de temps après avoir tenté de pénétrer la maison du patriarche des Marlowe, Martin Ramirez est lâchement assassiné. Aucune enquête n'est nécessaire, Miguel Ramirez sait que ce crime ne peut être que l'oeuvre de ces salauds de Marlowe, peu importe lequel, ils ne valent pas mieux l'un que l'autre et doivent avoir bien des choses dangereuses pour sa famille à cacher pour ainsi descendre son fils à la moindre intrusion.

Les supputations sur de possibles mauvais coups et les désirs de vengeances, voire d'attaque préventive, se ruminent au saloon de Monsieur McCoy et de la belle Maria, régisseuse du cheptel de prostituées locales, lorsqu'arrive le shérif Thornton appelé par un mavrakien anonyme.

Tout est en place, l'irrationnel, la cruauté, la bêtise, la folie pure vont pouvoir s'exprimer et faire exploser ce décor de film de la Paramount...mais pas que, loin de là...


L'avis de Quatre Sans Quatre

À première vue, le décor planté est celui d'un western spaghetti classique, les codes sont là, les protagonistes, le vent, le sable et les six coups. Sauf qu'il ne faut jamais s'arrêter aux apparences et qu'il y a ici une histoire extraordinairement riche et habile qui fait de ce petit livre -par la taille – un très bon roman sur le temps, la mémoire, le vieillissement et l'identité.

Autant vous le dire tout de suite, j'ai été totalement séduit par Avaler du sable. La construction est parfaite, émaillée de trouvailles, de ruptures dans la linéarité du récit, comme autant de grains de ce sable importun du désert qui vient gripper les plus merveilleuses mécaniques. Du sable qui s'échappe du sablier, celui qui laisse filer les secondes de nos vies, une à une, inexorablement et qui ne s'écoule que dans un sens.

Une affaire de vie ET de mort...

Paradoxalement, ce roman est très moderne. Ne vous bloquez pas sur le pitch, il ne sert qu'à nous mettre dans l'ambiance. Quand nous y sommes confortablement installés, l'auteur, diabolique, efficace, nous sort de nos certitudes et nous précipite dans une toute autre affaire. Une affaire d'identité, de racines et de fuite d'un temps impossible à contenir de nos mains ou de nos neurones. L'idée de base m'a fait penser au film de Cédric Klapisch « Peut-être », des ancêtres et des descendants se mêlant peu à peu dans le même sable créateur et effaceur...

Des inventions d'écriture, de style, obligent le lecteur à une attention permanente. Rien n'est gratuit ou superflu chez Antônio Xerxenesky mais rien n'y est difficile ou abscons non plus. C'est un superbe conteur et il sait captiver son auditoire par des arythmies, rebondissements ou facéties dans le corps de texte même, rompant le suspense pour mieux plonger le lecteur dans un miroir maléfique où il a peur de se reconnaître.

« Le grand problème de la vieillesse, c'est le cancer de la mémoire. »

Des zombies dans un western, une ville au nom à la con, un shérif qui sort de nulle part, la nuit et l'alcool qui, contrairement à l'eau dont on arrose les cours de tennis, fait voler le sable insidieux de Mavark faisant patiner le processus de la pensée. Celui du narrateur mais également celui du lecteur qui ne peut anticiper ce qu'il va découvrir la page suivante, la prochaine étape décidée par un auteur insaisissable comme le vent dans les paysages de l'ouest sauvage.

Un premier roman noir absolument réussi, Antônio Xerxenesky propose un univers réellement très original et fort, porté par une écriture – et une traduction – impeccable, une totale découverte, un très grand plaisir de lecture.


Notice bio

Antônio Xerxenesky est né à Porto Alegre en 1984. Avaler du sable est son premier roman. Il a collaboré à des journaux, magazines et sites lusophones et anglophones tels que Jornal do Brasil, The New York Times, Newsweek. En 2012, il a été désigné par la revue britannique Granta comme l'un des meilleurs jeunes écrivains brésiliens.


La musique du livre

Pas de musique dans le récit mais, comme à chaque fois chez Asphalte éditions, une playlist choisie par l'auteur lui-même vous attend en fin d'ouvrage. Commençons par Dirty Three, Remenber a time when once you used to love me, de la couleur locale ensuite avec Calexico, Inspiracion, et du drome metal pour finir : Sunn O))) avec It took the night to believe, juste le son qu'il faut pour accueillir les zombies...

Avaler du sable - Antônio Xerxenesky – Asphalte éditions – 173 p. février 2015
Traduit du portugais (Brésil) par Mélanie Fusaro

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