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Chronique Livre :
Bacchiglione Blues de Matteo Righetto

Chronique Livre : Bacchiglione Blues de Matteo Righetto sur Quatre Sans Quatre

photo : le Bacchiglione sous le Ponte Molino à Padoue (Wikipédia


L'extrait

« Leur densité psychologique équivalait à celle d'un lézard vautré au soleil. C'était des hommes aussi dénués de sensibilité que de capacité de réflexion qui consacraient tous leurs efforts à l'entretien de leur ignorance et à l'assouvissement de leurs instincts les plus primitifs : manger, boire, dormir, se gratter, baiser, se servir d'un revolver et renifler des billets.
« Attention, demain soit, faudra qu'on soit tous en noir ou au moins qu'on porte des vêtements sombres, hein ? », leur avait rappelé Tito en remettant sa mèche en place. Les autres avaient hoché la tête. Ensuite, ils avaient parlé de leur ami qui avait fini écrasé sous son propre tracteur alors qu'il labourait un champ de soja, puis de la migraine d'Ivo qui, après un litre de vin blanc, martelait la paroi droite de son crâne. Enfin, à propos de malheurs, ils avaient évoqué la mère de Tito. « Tôt ou tard je vais la tuer, cette vieille brise-burnes » avait assuré ce dernier, mettant ainsi un terme à la conversation. »


Le Pitch

Ivo, Tito et Toni sont trois péquenauds de la plaine padane (région de Padoue), nourris aux mangas des années 90. Trois abrutis qui rêvent du gros coup qui changera leurs vies et il se pourrait qu'un d'eux ait eu une illumination. Fainéants, hâbleurs, alcoolos, goinfres, incapables de réfléchir plus de deux minutes de façon cohérente, la préparation de leur expédition est un morceau d'anthologie.

Tito, l'intellectuel de la bande, a flairé un bon moyen de se faire du pognon pratiquement à coup sûr, sans trop de complications : kidnapper la femme d'un riche industriel. Elle est seule dans sa belle villa pendant les voyages d'affaires de son mari et il tient tant à elle qu'il ne devrait pas rechigner à payer la rançon.

Vu le profil des gangsters, l'affaire ne peut que partir en quenouille. Ils n'ont ni les moyens de gérer le moindre impondérable, ni l'intelligence pour préparer convenablement cet enlèvement. Vont venir se mettre en travers de leur chemin : un ragondin blanc, deux Témoins de Jehovah, un mari radin, des tueurs à gage, une planque infestée de vermines piquantes et vrombissantes, sans compter leur connerie naturelle, c'est beaucoup pour les trois lascars.


L'avis de Quatre Sans Quatre

Matteo Righetto réinvente les pieds-nickelés et il le fait bien. Nos trois mauvais garçons franchouillards n'auraient pas déparé dans cette irrésistiblement drôle de polar à la sauce italienne. Avec tout de même un sacré arrière-goût du grand Joe R. Lansdale, tant leur humour est proche. Les références sont là, ce qui n'empêche pas l'auteur d'être original, singulier et percutant. Des ratés dans un coup foireux, ce n'est pas ce qui manquent dans l'histoire du polar, mais ses trois énergumènes sont inimitables.

Le rythme est vif et les langues bien pendues des truands de comédie débitent blagues salaces et aphorismes de bazar dans des dialogues savoureux. Même s'il y a tous les ingrédients d'un drame, il s'agit tout de même d'une farce, qui comme toute farce possède son côté sérieux et évocateur d'une certaine réalité de la société, voire, ici, d'une morale.

Pas une seconde d'ennui dans ce court roman qui se lit d'une traite, un suspense toujours présent, même si l'on se doute bien qu'il est totalement impossible que le plan se déroule comme prévu. C'est l'accumulation d'impondérables, de bévues et de stupidité qui fait le sel du livre.

Très bien traduit, subtilement écrit, le lecteur baigne dans l'ambiance nauséabonde de ces trois malfaisants, partage leur quotidien et leurs obtuses certitudes. D'aléas cocasses en mésaventures plus tragiques, le temps passe vite dans Bacchiglione Blues. Un excellent polar, drôle, incisif, où la méchanceté stupide côtoie l'absurde pour notre plus grand plaisir.

Ah oui, la morale ! En définitive, le lecteur s’apercevra que le vrai travail est finalement récompensé, même si c'est plus long. Et qu'à trop vouloir jouer au malin, on finit toujours par se faire zlatanner grave ;-)


Notice bio

Matteo Righetto est né à Padoue en 1972, il est diplômé en lettres modernes italiennes. Son premier roman Savana Padana (2009) a connu un bon succès auprès de la critique. Le second, Bacchiglione Blues, est le premier à être traduit en français.

Matteo Righetto est le fondateur de la Scuola Twain qui travaille à travers toute l'Italie à promouvoir la lecture et l'écriture créative.


La musique du livre

Un auto-radio qui crache du Balkan Blues dans les oreilles d'un immigré bosniaque cherchant après Tito, NightLosers ouvre les hostilités avec Betivan Ratat. Adriano Celentano, ensuite, dont le mari éploré de la kidnappée passe les CD's, Don't play that song.

Bad de Michael Jackson que les poursuivants des trois abrutis font hurler dans leur voiture pour bien montrer qu'ils sont méchants.

Une course-poursuite qui traverse un festival de blues campagnard juste après le set d'Abbattilanoia dont nous écoutons La Scusa.

Bacchiglione Blues – Matteo Righetto – La dernière goutte – 141 p. 7 mai 2015
Traduit de l'italien par Laura Brignon

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