Chronique Livre :
BOCCANERA de Michèle Pedinielli

Publié par Psycho-Pat le 14/02/2018
Le pitch
Si l’on en croit le reste de l’Hexagone, à Nice il y a le soleil, la mer, des touristes, des vieux et des fachos. Mais pas que. Il y a aussi Ghjulia – Diou – Boccanera, quinqua sans enfant et avec colocataire, buveuse de café et insomniaque. Détective privée en Doc Martens.
Un homme à la gueule d’ange lui demande d’enquêter sur la mort de son compagnon, avant d’être lui-même assassiné. Diou va sillonner la ville pour retrouver le coupable. Une ville en chantier où des drapeaux arc-en-ciel flottent fièrement alors que la solidarité envers les étrangers s’exerce en milieu hostile…
Au milieu de ce western sudiste, Diou peut compter sur un voisin bricoleur, un shérif inspecteur du travail, et surtout une bonne dose d’inconscience face au danger.
L'extrait
« « Hey Jo !
Where you goin’ with that gun in your hand ?
- Salut Diou, ça va ?
- Oui. Dis-moi, j’aurais besoin d’un renseignement…
- Dis, tu n’y arrives toujours pas, hein, à mettre les formes ? Tu sais, quelque chose comme, “Et toi, ça va ? Ça fait longtemps, qu’est-ce que tu deviens ?” Tu vois, quoi. Le genre de choses que les gens civilisés se disent au téléphone quand ils ne se sont pas vus depuis au moins cent ans… »
Son ton est loin de la colère. Il a l’habitude.
« Jo, ça va, excuse-moi… J’ai une affaire un peu compliquée qui me tombe dessus.
- Oui, je me doute : tu ne m’appelles que si tu as besoin de moi. »
Pas faux. Mais pas entièrement vrai non plus. Je ne peux pas lui dire le nombre de fois où je n’ai pas appelé alors que j’avais besoin de lui. Au beau milieu de la journée, de la nuit, d’un café, d’une phrase. Le silence dure quelques secondes.
« Bon, raconte, c’est quoi ton histoire ?
- L’Italien qu’on a retrouvé étranglé. Tu pourrais m’en parler ?
- Je te rappelle que tu ne fais pas exactement partie des forces de police. Je ne vois pas pourquoi je t’en parlerais. Tu sais il y a une notion qu’on appelle la confidentialité…
- Allez, je veux juste que tu me dises ce que tu en penses.
- Et c’est urgent, je suppose.
- Tu es libre aujourd’hui ?
- Oh Diou, tu n’exagères pas un peu, là ? »
J’attends encore, les yeux fixés sur les toits du Vieux-Nice. » (p. 24-25)
L'avis de Quatre Sans Quatre
Ghjulia – Diou – Boccanera, détective privée, génétiquement, c’est un mix explosif italo-corse qui lâche vite la bride à ses emportements et tout aussi rapidement à ses élans de sympathie, voire plus si affinités, mais je ne peux pas m’empêcher de voir en elle la fille cachée de Nestor Burma et Mike Hammer. Oui, je sais, un papa, une maman sinon ça va encore défiler et remplir les rues d'ignominies et stupidités de toutes sortes, mais je ne vois guère d'autre filiation possible, et je suis certain, après lecture de sa première aventure, que celle-ci ne lui déplaira pas.
Elle a reçu en héritage toute la panoplie de ses deux papas : elle est fauchée, prend des gnons plus souvent qu’à son tour à force d’aller mettre son nez où il ne faut pas, ne sait pas résister à un regard de détresse et n’hésite pas à risquer sa peau dans des plans ficelés à la dernière minute. Ah oui, bien sûr, elle a le fameux copain flic, le commandant Joseph Santucci - Jo - qui est plus qu’un copain puisqu’il est son ex et que c’est compliqué encore entre eux, l’amour ne s’efface pas d’un coup d’éponge.
La cinquantaine débutante, vêtue comme une ado, jean, t-shirt, Doc à lacets, elle vit à Nice, respire Nice, en connaît chaque recoin et chaque habitant de son vieux quartier. Elle n’aime ni les fachos, ni les cons, ce qui est un signe de bonne santé mentale, et partage son appartement avec Dan, un directeur de galerie fêtard qui justement lui amène un client au début de ce roman. Un jeune homme au chagrin immense puisque son futur mari vient de mourir dans des circonstances peu claires.
Un homo, du GHB et un étranglement, la cause est entendue pour la police, décès au cours d’un jeu érotique qui a mal tourné. C’est bien connu, les pédés ne pensent qu’à ça, limite, c’est pas bien fait pour lui, mais, bon, ce sont des choses qui arrivent, pas la peine de se fatiguer à chercher plus loin. Mais, pour Dan, le fiancé, Mauro, la victime, ingénieur dans les BTP, n’était pas du tout le genre à se livrer à ces jeux extrêmes. Il plaide si bien sa cause que Diou décide de mener son enquête. Surtout que le garçon paie une grosse somme en liquide, ça ne se refuse pas...
La suite, elle va se dérouler à cent à l’heure : les cadavres vont s’accumuler, les coups également, DIou va risquer sa peau plus d’une fois sous le regard sévère de Jo qu’elle peine à convaincre que quelque chose de bien plus sordide qu’un accident de plumard s’est déroulé chez l’ingénieur. Diou nous emmène en virée dans le milieu du cabaret de travestis, effleure l’univers de bêtise crasse des identitaires, décrit la douce et chaleureuse hospitalité méditerranéenne, nous apprend que les Doc à lacets sont extrêmement efficaces pour châtier un agresseur en lui remontant les gonades jusqu’à la glotte mais se révèlent encombrantes lorsqu’il est question d’ôter sa culotte afin de se livrer à d’autres joutes improvisées et bien plus exaltantes.
À la fois plein d’humour, d'action, de réflexion, mais aussi de sordide et d'amour, ce premier roman est une totale réussite. Diou est un personnage riche, familier, attachant, fragile et costaud, elle entre immédiatement dans la famille du polar comme si on l’avait toujours connue. Il y a chez elle les traces des grands ancêtres, Burma, Hammer, je l’ai dit, mais elle est unique, use des codes mais sait s’en affranchir et imposer sa marque. Et puis il y a Nice, parce que cette histoire ne pouvait pas se passer ailleurs et que Diou ne pourrait pas être ce qu’elle est sans sa ville. Les seconds couteaux ne sont pas en reste, ils sont solidement campés et ne sont pas là pour faire joli. Ils permettent à Michèle Pedinielli d’aborder des sujets aussi divers que les réfugiés, la tolérance, l’homophobie, la solidarité, l’art et j’en passe.
L’affaire est tordue comme on aime, festival de coups fourrés et de fausses pistes, de magouilles, de meurtres énigmatiques et de d’obstination casse-cou d’une Diou au sommet de sa forme malgré quelques gueules de bois, raclées, tentatives de lui faire la peau, sous les yeux noirs et protecteurs de Jo tentant vainement de l’inciter à la prudence.
En bonne journaliste, Michèle Pedinielli sait décrire les faits et leur enchaînement, en bon écrivain, elle excelle à mettre de la chair et de l’âme dans ses protagonistes, de la vie dans sa ville et du vice chez ses assassins. Je ne sais pas ce qu’à en tête sa créatrice mais, personnellement, j’aimerais retrouver Diou et sa clique, elle possède tous les atouts pour une grande carrière. j’espère qu’elle n’a pas fini de nous faire rire, sourire et flipper dans les ruelles si pittoresques du vieux Nice.
Boccanera, un nouveau nom à ajouter au cercle restreint des privés de très grande classe !
Notice bio
Michèle Pedinielli née à Nice d’un mélange corse et italien, est « montée à la capitale » pour devenir journaliste pendant une quinzaine d’années. Aujourd’hui de retour dans sa ville natale, elle a décidé de se consacrer à l’écriture.
La musique du livre
Jimi Hendrix – Hey Joe
Conchita Wurst - Rise Like a Phoenix
Marylin Monroe – La Rivière Sans Retour
Sanseverino – Votez Papillon
BOCCANERA - Michèle Pedinielli – Éditions de l'aube – collection l'aube Noire - 210 p. février 2018
photo : vieux Nice - Pixabay