Chronique Livre :
CÉCILE ET LE MONSIEUR D'À CÔTÉ de Philippe Setbon

Publié par Psycho-Pat le 01/11/2015
photo : Immeubles Paris (Pixabay)
Le pitch
Suite à une rupture sentimentale, la jeune et jolie Cécile emménage dans un nouvel immeuble. Le jour de son arrivée, elle fait la connaissance de son nouveau voisin, Servais Marcuse, un vieux monsieur obèse très prévenant, qui lui est immédiatement sympathique. Cécile est dépressive sous des dehors charmants, elle a des difficultés avec son ex, son patron, son ancien beau-père et se confie à son débonnaire et cacochyme voisin. Tous ces problèmes s'effacent un à un comme par miracle...Cécile aurait-elle trouvé son ange gardien en la personne de Servais ?
Qui est donc cet étrange vieux monsieur obèse ayant pour assistant Charley, un chauffeur de taxi clandestin sénégalais débrouillard, ressemblant à son grand dam à Fernandel ? Servais vit dans les brumes d'un passé qu'on devine agité et secret. Sa discrétion est plus professionnelle que timidité. Aurait-il renoué avec ses anciennes activités pour venir en aide à Cécile ? Toutes ces questions vont peu à peu trouver des réponses surprenantes et tenir le lecteur en haleine jusqu'à la toute fin du récit.
L'extrait
« « Shrorninère ».
C'est le premier mot qu'elle entendit de la bouche du gros bonhomme et elle en conclut qu'il était soit étranger, soit gâteux, soit ivre-mort. En réalité, il s'avéra n'être rien de tout cela et Cécile s'habitua vite à sa diction pâteuse et précipitée. Ce mot, il l'utilisait souvent, ce qui dénotait un enthousiasme intact et une attitude positive face à l'existence. Car Cécile finit par comprendre d'elle-même que « Shrorninère » était une version très personnelle de l'adjectif « extraordinaire ». Une fois qu'on avait pris le pli, on n'y faisait même plus attention. Comme disait Servais Marcuse, « c'est shrorninère à quelle vitesse on s'habitue à tout ». Même au pire.
Surtout au pire.
L'immeuble était totalement silencieux pendant les week-ends, aussi Servais s'alarma-t-il quand le bruit commença à neuf heures du matin : bousculade dans l'escalier, portes d'ascenseur qui claquent, chocs répétés contre les murs, rires étouffés... Fiona la chatte du vieil homme partit se terrer sous le buffet, les oreilles plaquées et la queue gonflée comme celle d'un gros écureuil. Que se passait-il ? Un ivrogne qui se serait introduit dans la nuit ? Une bande de sauvageons venue tagger les murs ? »
L'avis de Quatre Sans Quatre
Il y a indéniablement du Simenon dans ce polar de Philippe Setbon, une atmosphère, des destins qui se réparent mutuellement sans en avoir l'air. Servais Marcuse soigne son image passe-muraille de bon vieux inoffensif, attaché à son chat, ses manies, ses cinquante kilos de trop qu'il entretient à grands renforts de mets raffinés. En fait, il n'attendait que de se sentir utile. Il faut dire aussi qu'il a eu une vie hors normes.
Et Cécile avait besoin qu'une bonne âme s'occupe d'elle. Ces deux-là devaient se rencontrer. Tout tourne autour de la collision de ces deux réalités. Elle est une jeune femme d'aujourd'hui, active mais victime comme beaucoup du machisme ambiant, ses histoires amoureuses ne sont pas forcément des réussites et l'intervention du vieillard ne va pas obligatoirement simplifier les choses.
Partant d'une situation toute banale, triviale, Setbon brode un récit extraordinaire. Des personnages gris se métamorphosent en héros de thriller. L'écriture est économe, simple, efficace à dépeindre tous ces faux-semblants, le rendu est exceptionnel. Il y a bien évidemment le talent du scénariste qui pointe à la surface, on imagine très vite le film, les images et la trame, les rebondissement se succèdent tout au long d'une intrigue où le lecteur plonge de surprise en stupeur. La course à la rédemption de Monsieur Marcuse, le malheur surjoué de Cécile et la bonhommie inquiète de Charley, tout est réuni pour une excellente lecture. Servais et son assistant sont à l'opposé l'un de l'autre, ils sont exactement complémentaires, s'entendent et se comprennent, mal parfois, à demi-mots ce qui rajoute encore à l'intensité du récit.
Cécile et le Monsieur d'à côté est un vrai bijou. Impossible de le déguster, il faut aller au bout tant le suspense est intense, une fois commencé, on l'avale ! Les flics en rajoute, sortent de leurs rôles, les inconnues se multiplient dans l'équation et la maîtrise de Marcuse va être mise à rude épreuve.
Un grand polar de petit format !
Notice bio
Philippe Setbon, né en 1957, débute comme auteur et dessinateur de BD dans Métal Hurlant et Pilote, avant de bifurquer vers le cinéma. Il signe les scénarii de plusieurs longs-métrages comme Détective de Godard ou Mort Un Dimanche De Pluie, réalise Mister Frost puis se consacre à la télévision. Il écrit de nombreux téléfilms et séries, dont Les Enquêtes d'Éloïse Rome, Fabio Montale, Franck Riva, etc. Il en réalise lui-même une vingtaine parmi lesquels la minisérie à succès Ange De Feu. Il a également signé six romans chez Rivages, Flammarion et Buchet-Chastel.
La musique du livre
Pas grand chose à se mettre sous la dent si ce n'est que Servais Marcuse aime particulièrement le jazz des années 50 et que Charley a une tronche à écouter du reggae...
Donc, pas extrapolation, Charlie Parker, Yardbird Suite, autant taper où c'est plus que bien, et Peter Tosh, Legalize It...
CÉCILE ET LE MONSIEUR D'À CÔTÉ – Philippe Setbon – Éditions du Caïman – 173 p. septembre 2015