Chronique Livre :
CADAVRE, VAUTOURS ET POULET AU CITRON de Guillaume Chérel

Publié par Psycho-Pat le 12/03/2018
Le pitch
Jérôme Beauregard, « détective public » dilettante, passe son temps dans son appartement parisien à rêver de voyages, jusqu’au jour où il reçoit un coup de fil de Pat, un ami parti s’installer en Mongolie pour faire fortune dans les mines d'or. Englué dans une sordide affaire de gros sous à la suite du meurtre accidentel d’un Chinois, celui-ci lui propose d’enquêter dans la capitale mongole, où plane encore le fantôme de Gengis Kahn.
Jérôme découvre la vie d’expat’, au rythme des bringues et des bourre-pif, mais derrière les apparences baignées d’alcool et d’humour potache, il comprend que ce qui se trame autour de son pote est bien plus dangereux qu’il n’y paraît. Le voilà piégé dans une aventure où se côtoient « ninjas », chamans, bikers nazis et une mystérieuse « milliardaire rouge »…
Il lui faudra non seulement éviter les balles de tueurs à ses trousses dans un désert de Gobi resté sauvage, mais aussi résister aux tentations cachées sous les yourtes. Bref, se méfier des vrais loups d’Oulan-Bator, qui feront tout pour l’empêcher d’accomplir sa mission.
L'extrait
« On ne peut pas dire que je sois une baraque mais, vêtu de ma parka rembourrée, je paraissais costaud. Et avec mes Timberland aux pieds, je devais mesurer pas loin de deux mètres. Je me suis mis en mode mutique, comme je l’avais vu faire dans de nombreux films d’action. Manquait plus que l’oreillette et le micro inséré dans la manche.
Les employés, qui manipulent d’énormes piles de billets pour les enfiler dans les trieuses-compteuses, se sont arrêtés net de travailler quand nous sommes entrés. Puis ils ont repris leurs activités quand ils ont aperçu Pat, qui avait l’air connu comme le loup blanc.
Vers onze heures du matin, en sortant de la banque, j’ai frissonné. Avec ce froid, je commençais à accuser le coup. Pat m’a emmené boire un café (arrosé de vodka) à la caserne des pompiers, dont certains seraient mes futurs collègues à la mine d’or. Pat m’a aussi expliqué que les employés lui servaient également d’hommes de main pour aller « filer des coups de pioche » sur la gueule des casse-c…
Il m’expliquerait plus tard.
Avec le manque de sommeil plus le dépaysement, j’avais l’impression de rêver debout. Je me sentais balourd, flottant. Pat ne cessait de me relancer, comme pour me réveiller de ma léthargie. On aurait dit un enfant unique, heureux d’avoir un nouveau copain pour jouer. » (p. 62-63)
L'avis de Quatre Sans Quatre
Jérôme Beauregard n’est pas franchement doué pour choisir ses amis Facebook. Il pourrait comme tout un chacun tomber sur le tout-venant : coms d'une banalité affligeante, photos des gosses, bisous aux anniversaires et tout le toutim, mais non. Faut qu’il noue des liens avec Pat, un sacré numéro qui sévit en Mongolie et s’est mis dans un très mauvais pas, suite à une altercation avec des Chinois qu’il a un peu vivement bousculés. Bien bousculés même, si bien qu’il y en a un qui n’alterquera plus jamais avec quiconque et l'ami de Jérôme s'est mis du monde à dos. Pat fait des affaires comme on dit pudiquement quand on ne souhaite pas divulguer qu’on magouille à droite et à gauche en faisant du fric illégalement. Officiellement, il s’occupe de gardiennage dans des mines d’or mongoles.
Pat fait venir Jérôme jusqu’à Oulan-Bator afin qu’il mène une enquête sur une vidéo guère sympathique qu’il a reçu, celle-ci montre un cadavre dépecé par des vautours, ce qui pourrait être interprété comme une menace de mort puisque c'est une sorte de cérémonie funéraire locale. Beauregard est détective public, juste par esprit de contradiction, pour se démarquer des autres qui sont “privés”. Pat devient donc son patron, pas vraiment abusif puisqu’ils passent leur temps ensemble, au début tout du moins, à picoler de la vodka par litres et visiter les bordels de la ville. Après, ça va se compliquer sérieusement pour tout le monde…
Avec ce roman, vous allez en apprendre beaucoup sur les moeurs mongoles, la langue, la cuisine, la sexualité, la propension aux rixes, le caractère ombrageux de ce peuple et une foule d’autres trucs dans un pastiche cocasse de polar. Jérôme raconte au lecteur, l’apostrophe, l’invite à boire un coup avec lui, le prend à témoin des milles et une surprises qui l’attend au sein d’une des capitales les plus polluées du monde aussi bien que dans la vaste steppe, pas si déserte que ça.
Bagarres, enlèvements, fusillades, courses poursuites s’enchaînent, menés à fond de train par des personnages particulièrement hauts en couleur. Guillaume Chérel a dû beaucoup lire San Antonio, le mélange humour, situations absurdes, intrigues très sombres se lit agréablement. Outre l’aspect découverte d’un pays peu souvent mis en avant, (exception faite des romans de Ian Manook, Les temps sauvages - Albin Michel), l’auteur a transposé en Asie les étranges transactions d’une grande société française, reine du nucléaire, qui visait à l’achat pour une somme totalement disproportionnée d’une mine d’uranium inexploitable. Bref, l’affaire Uramin (en vrai) dont Vincent Crouzet avait déjà démonté les détails dans Radioactif (Belfond), qui se passe originellement en Afrique.
Les relations entre Pat et Jérôme évoluent - pas forcéùent dans le bon sens - au cours du roman. Des personnages surprenants surgissent, troublent le cours de événements, et le détective comprend vite que son “ami” n’est pas aussi drôle et franc qu’il le pensait et a le sale sentiment de s’être fait manipuler. Avant d’embarquer dans ce polar, qui aurait peut-être gagné à être plus court, commandez une bonne provision de vodka, les occasions de boire un coup ne manquent pas...
Beauregard va traverser nombre d’aventures de plus en plus dangereuses, une liaisons torrides avec une ex agent du FSB, des cuites périlleuses dans une crèperie d’Oulan-Bator, de bagarres avec des bikers nationalistes mongoles et bien d’autres, avant de connaître le fin mot de l’histoire.
Le bouquet final donne une idée plus précise de Pat, un type que le détective va mettre du temps à cerner et qui se révélera réellement que dans le dernier message qu'il lui enverra. Cadavre, vautours et poulet au citron est une pochade pleine d'humour, un périple rocambolesque dont la narration est prétexte à boire un coup entre copains, tout en cultivant ses connaissances de ce superbe pays si maltraité par les hommes qu'est la Mongolie.
Notice bio
Guillaume Chérel est journaliste et écrivain. Il s’est notamment fait remarquer à la rentrée littéraire 2016 avec son roman pastiche, Un bon écrivain est un écrivain mort.
La musique du livre
Vladimir Vysotsky - Moskva-Odessa
ZZ Top - I Gotsta Get Paid
CADAVRES, VAUTOURS ET POULET AU CITRON – Guillaume Chérel – Éditions Michel Lafon – 392 p. février 2018
photo : Oulan-Bator nocturne - Pixabay