Quatre Sans Quatre

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Chronique Livre :
CEUX QUI TE MENTENT de Nuala Ellwood

Chronique Livre : CEUX QUI TE MENTENT de Nuala Ellwood sur Quatre Sans Quatre

Le pitch

Kate est reporter de guerre et souffre de stress post-traumatique. À cause, entre autres, d’un enfant qu’elle n’a pas pu sauver à Alep.

Quand elle rentre à Herne Bay pour les obsèques de sa mère, Kate se souvient de cet endroit où tout allait bien jusqu’à la mort de David, son petit frère. Un accident, dira-t-on. Ensuite plus rien n’a jamais été pareil. Leur père est devenu violent. Leur mère a perdu la raison. Puis sa sœur, Sally, a sombré elle aussi, malgré l’aide de son mari, Paul.

Dès son retour dans la maison de sa mère, Kate se sent oppressée et abuse des somnifères. Elle entend un petit garçon crier la nuit chez les voisins et ne sait plus ce qui est réel ou le fruit de son imagination torturée. Alors elle prévient Paul et Sally qui ne la croient pas, la police non plus, il n’y a pas d’enfant chez la voisine qui vit seule.

Pourtant elle l’a vu. Dans le jardin d’à côté. Elle sait qu’il existe…


L'extrait

« Ensuite, il y a le déclic de l'appareil photo, dont le flash illumine la pièce. Surprise par l'éclair aveuglant, je perds l'équilibre et tombe la tête la première. En la relevant, je distingue un petit monticule de pierres, une sorte d'autel au milieu d'une mare sanguinolente. Je rampe dans sa direction, avec le pressentiment de ce qu'il y a dessous. Les battements de son cœur résonnent sous mon corps ; je me mets à dégager frénétiquement les débris à mains nues. Les pierres sont maculées de taches cramoisies ; mes mains saignent, pourtant je ne sens rien. Puis je l'atteins : il est sur le dos, yeux grands ouverts, bras levés comme s'il réclamait sa mère.
Je me penche pour le soulever en m'efforçant de ne pas fixer son visage. Derrière moi, le flash l'éclaire si puissamment qu'il s'efface, se dissout dans la lumière. Je hurle au photographe : « Arrête, tu ne peux pas prendre ça en photo ! » Alors que ma voix se répercute sur les murs éboulés, le sol se met à trembler. L'enfant me supplie du regard. Je voudrais prendre sa main ; elle glisse entre mes doigts. Il se transforme en poussière et crie juste avant de s'enfoncer dans la terre : « Au secours ! » C'est la dernière image. Le flash m'éblouit et je me réveille en sursaut. » (p. 26-27)


L'avis de Quatre Sans Quatre

Kate Rafter ne va pas bien du tout et on la comprend. Si elle tente un bilan, il n'est guère positif. Reporter de guerre, elle a échoué à sauver la vie d'un petit garçon avec qui elle s'était peu à peu liée dans Alep bombardée, elle a été absente à l'enterrement de sa mère, sa sœur picole et ne veut plus la voir, son histoire d'amour a du plomb dans l'aile et elle souffre de stress post-traumatique. Donc ce cauchemars récurrents et d'angoisses qu'elle noie dans les somnifères, anxiolytiques et alcool, de plus en plus souvent, au point de ne pas très bien se souvenir de ses soirées au réveil.

De retour de reportage, elle loge dans la maison de son enfance, ce qui n'arrange rien puisque les souvenirs n'y sont pas excellents. Heureusement que Paul, son beau-frère, est là pour l'accueillir et lui accorder un peu de chaleur humaine. Les mauvais rêves ne la lâchent pas, nuit après nuit, sieste après sieste, ils sont là, eux et l'image d'un enfant maltraité dans la maison voisine. Elle l'entend, le voit même, blessé, frigorifié, l'oeil tuméfié, accroupi sous sa fenêtre. Et pas qu'une fois.

Seulement la voisine est une femme seule, sans enfant, ce qui n'empêche nullement Kate de porter des accusations de maltraitance conjugale, persuadée qu'elle est de la présence d'un mari violent qui effraie la pauvre femme et lui interdit de parler des sévices qu'il fait subir à elle et à son fils. Paul qui est agent immobilier est le loueur de la maison voisine, il tente de convaincre Kate de l'absurdité de ses craintes, met ces hallucinations sur le compte de ses troubles, rien n'y fait. La police sera même contrainte d'intervenir pour calmer les ardeurs de la journaliste obnubilée par cet enfant qu'elle continue à entendre dans ses nuits agitées.

Nuala Ellwood bâtit patiemment son suspense, entraîne son lecteur tantôt au commissariat où Kate Rafter est examinée par un psychiatre, tantôt dans sa maison de Herne Bay, dans les souvenirs de son héroïne, ceux lointains de l'enfance et ceux du dernier reportage en Syrie. Omniprésent, l'image d'un petit garçon : celui qu'elle aperçoit de sa fenêtre, le petit Syrien ou son frère David qui est mort très jeune et qu'elle n'a pas su protéger non plus. Il y a le souvenir de son père, un ivrogne aimant la frapper, sa mère effacée, plus jamais la même depuis le décès accidentel de son fils, rien de bien réjouissant. Autant dire que Kate est mûre pour toutes les manipulations et suggestions possibles, d'autant que sa mémoire embrouillée au réveil la conduit à douter de tout ce qui a pu se passer la veille ou la nuit précédente.

Écrit avec une grande précision, avec un souci constant du détail dans les brouillard qu'est devenu l'esprit de Kate, ce thriller psychologique présente effectivement, comme il l'est annoncé sur la couverture, des similitudes troublantes avec La fille du train de Paula Hawkins (Sonatine Éditions – 2015), dans le déroulé de l'intrigue si ce n'est dans l'histoire elle-même. Le suspense monte patiemment sans qu'il soit possible d'en comprendre les ressorts, les éléments s'accumulent contre Kate qui multiplie les maladresses sans perdre de vue son obsession, c'est tout l'histoire de sa famille, l'ensemble de ses traumatismes qui sont sur la table et qu'elle doit affronter.

Ceux qui te mentent est l'occasion pour l'auteure d'évoquer l'horreur du conflit syrien et de la maltraitance, la position délicates des reporters de guerre, témoins à qui il est très difficile de ne pas entrer en empathie avec les victimes au risque d'y perdre eux-mêmes la vie. Elle décrit avec brio les doutes de Kate, ses épisodes de troubles intenses dans lesquels elle se perd, ses plaies et cicatrices qui l'ont conduite à devoir abuser de calmants et d'alcool pour parvenir à fermer l'oeil et ne plus se reprocher sans cesse les morts des deux petits garçons qui la hantent, son frère et le très jeune Syrien, et puis un autre dont elle ne parvient pas à parler encore... Kate est en ruine, à l'image de ces villes du Moyen-Orient où elle brûle de retourner.

Nuala Ellwood possède l'art de perdre son lecteur dans un labyrinthe de fausse pistes, d'impressions fugaces et d'informations troublantes pour mieux lui asséner un dénouement époustouflant que rien ne laissait prévoir !


Notice bio

Nuala Ellwood enseigne l’écriture à l’université St John de York. Inspiré de l’expérience de son père, reporter de guerre, ce premier roman la propulse dans la liste des meilleurs écrivains établie en 2017 par The Observer.


La musique du livre

The Beatles – Hey Jude


CEUX QUI TE MENTENT – Nuala Ellwood – Éditions Michel Lafon – 364 p février 2018
Traduit de l'anglais par Claire Desserrey

photo : ruines d'Alep - France 24

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