Quatre Sans Quatre

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Chronique Livre :
CITY OF WINDOWS de Robert Pobi

Chronique Livre : CITY OF WINDOWS de Robert Pobi sur Quatre Sans Quatre

Quatre Sans... Quatrième de couv...

Alors que New York est paralysé par la tempête de neige la plus épouvantable de son histoire, un agent du FBI est tué au volant de sa voiture par un sniper réalisant un coup quasi impossible. Incapable de comprendre d'où le tir est parti et pressé par la tempête qui efface les preuves à grands pas, Brett Kehoe se tourne vers le seul homme à même de lui venir en aide : l'ancien agent Lucas Page.

Son talent surnaturel pour la lecture des scènes de crime, de même que sa compréhension des angles et des trajectoires, font de lui la seule personne susceptible de faire ce dont la puissance informatique du Bureau n'est pas capable : trouver la planque du sniper.

D'autant que le meurtre s'avère rapidement n'être que le premier d'une série d'exécutions méticuleuses.


L'extrait

« Lucas leva les bras et pivota lentement sur lui-même pour absorber le paysage numéral qui pulsait dans son esprit. Il s'imprégna des nombres, agença les données en algorithmes instinctifs. C'était un processus immédiat, un automatisme inexplicable. Il se trouvait au centre d'un vortex et les lignes de code qui tapissaient la scène tournaient autour de lui à une vitesse vertigineuse.
Bientôt, il fut incapable de distinguer les immeubles, les trottoirs ou les gyrophares. Il ooublia les voitures de patrouille, les hommes et femmes en bleu qui faisaient les cent pas sur la chaussée verglacée. Tout ce qu'il voyait, tout ce qu'il comprenait, c'était les chiffres.
Partout.
Qui représentaient tout.
Et puis ce fut fini.
Lucas cligna des yeux et tout disparut – les nombres, la géométrie, les distances. Il se tourna vers Park Avenue et son esprit relia les pièces entre elles. Il n'entendait plus les coups de klaxon de la circulation déviée, ne sentait plus le baiser de Judas du froid hivernal, ne plissait plus les yeux sous la neige qui tombait. La seule chose qu'il pouvait faire, c'était fixer l'éperon de brique qui s'élevait de terre tel un pic rocheux. C'était le seul immeuble de l'avenue à avoir été construit sur une déclivité. L'un de ses angles se détachait et surplombait Park Avenue. Il se trouvait à 706 mètres du point d'impact, à quelques centimètres près.
C'était l'emplacement idéal.
Il se tourna vers la femme.
« Comment vous appelez-vous ?
- Whitaker », répondit-elle d'un ton sympathique qui tranchait avec son air coriace.
La seule chose que l'on devinait dans l'ombre de sa capuche FBI, c'était ses dents.
« Whitaker, dites à Kehoe que je sais d'où le coup est parti. »
Lucas hocha la tête en direction de ce qu'il savait être un immeuble au loin, mais qui n'était plus de nouveau qu'une série de plans géométriques. Il tendit sa main en aluminium vers le gratte-ciel.
« Le toit du 3, Park Avenue. » (p. 37-38)


L'avis de Quatre Sans Quatre

Tempête de neige et vague de froid polaire sur New York, des conditions climatiques exécrables, c'est le moment que choisit un tireur anonyme pour faire un carton incroyable. L'agent du FBI Hartke est victime d'un tir en pleine tête qui ne peut provenir que d'un des immeubles situés à plusieurs centaines de mètres. Le crâne a explosé à l'impact, la balle a traversée le véhicule. Hasard ? Vengeance ? Qui peut se permettre de réaliser un tel tir ?

Brett Kehoe, le supérieur d'Hartke, ne peut se permettre de laisser l'enquête s'enliser, aussi fait-il pression sur l'ancien coéquipier de la victime, Lucas Page, pour que celui-ci reprenne du service et l'assiste sur cette affaire. Page est maintenant professeur d'astrophysique à l'université, génie brillantissime, cet homme a un don extraordinaire, quasi surnaturel, pour déterminer une trajectoire de tir à la géométrie parfaite, agencer des indices et remonter une piste, en apparence, inexistante. Mais Lucas Page a été lui-même gravement blessé lors d'une intervention, il y a perdu une jambe, une main et un œil et vit désormais équipé de prothèses. Avec son épouse, Erin, il mène une vie paisible et s'occupe d'enfants déshérités, comme d'autres se sont occupés de lui lorsque il était un petit garçon abandonné, et celle-ci voit d'un très mauvais œil les démarches de Kehoe.

Malgré les réticences du professeur, Kehoe parvient à ses fins, on s'en serait douté. N'empêche, Lucas sent bien que l'agent du FBI lui cache quelque chose d'important. Sans coup férir, Page repère l'immeuble d'où est parti le tir et écarte toute idée de meurtre accidentel. La munition utilisée est d'un type bien particulier : son cœur est en acier provenant d'une météorite ! D'autres assassinats ciblés viennent conforter son hypothèse : un policier et un surveillant pénitentiaire, tué de la même façon selon des procédures de tir d'une difficulté extrême par temps clair, tout à fait improbables en tenant compte des conditions météo. Les enquêteur ont affaire à un tueur en série, il n'y a plus de doute et le hasard n'a plus sa place dans le choix des cibles.

Assisté par une agent noire, Whitaker, futée et en phase avec ses manières d'enquêter, Lucas Page va donner toute la mesure de son talent, et se mettre en grand danger. Whitaker saura lui donner la réplique, deviner où il veut en venir presque avant lui puisqu'elle possède également le don de répondre aux questions avant que celles-ci ne soient posées. Lucas, sous ses aspects de Robocop, n'est plus celui qu'il était avant l'explosion, le souvenir de ses blessures passées reste présent, ainsi que les responsabilités qu'il a accepté en fondant cette famille nombreuse d'enfants déjà malmenés par la vie.

On pourrait penser à un thriller classique, la trame, le scénario, les personnages, c'est sans compter sur la plume de Robert Pobi, fascinante de précision dans les moments de tension, sachant à merveille manipuler le lecteur et ses personnages, insérer la réalité du monde dans son récit. L'histoire est une toile de fond sur laquelle il dessine les maux de l'Amérique actuelle : l'influence de la NRA (la très puissante association des vendeurs d'armes), les sectes évangélistes et baptistes extrémistes qui fleurissent à travers le pays, la toute-puissance de la police et des agences gouvernementales, l'abandon des populations les plus démunies ou la prééminence de la finance sur tous les aspects de la société. Sans être militant, son roman pointe du doigt les tares d'une démocratie moribonde, décadente, génératrice de monstres. Le FBI traque un tueur, Lucas Page cherche de l'humain, les démarches ne sont pas identiques.

« - Je suis heureuse que tu aimes apprendre, mon garçon. Dans ma jeunesse, il y a au moins un millénaire, on voulait étudier pour améliorer sa situation financière. De nos jours, avec l'essor de la classe marchande, les études sont devenues superflues. Les gens amassent de la richesse sans comprendre qu'ils doivent aussi amasser des connaissances pour faire un meilleur usage de cet argent – les Peggy Guggenheim sont une espèce en voie d'extinction. Les imbéciles que l'on voit à la télévision représentent l'avenir et ils se mettront toujours en travers de ton chemin. Ils voudront que tu leur ressembles. »

Le monde de Lucas Page est hors norme, son corps mutilé, son cerveau de génie des mathématiques, tout concourt à faire de lui l'empêcheur de traquer en rond le terroriste français signalé par les services de renseignement de son pays d'origine. Pourtant cet islamiste converti, entré illégalement sur le sol des États-Unis, arrangerait tout le monde, servirait les intérêts des conservateurs au pouvoir, éviterait à cette société malade d'avoir à se regarder au fond des yeux. Le FBI recherche un tueur de flics, Lucas fouille le passé afin de dénicher un lien entre les victimes, sans croire un instant au djihadiste tirant sur tout ce qui porte un uniforme.

L'intrigue est captivante, magistralement écrite et bâtie, tous les codes du thriller sont présents, offrant un suspense étouffant, presque hypnotique, à quoi s'ajoute la lucidité aiguë de l'auteur sur le monde actuel, bref, un très grand roman.


Notice bio

Inlassable voyageur, Robert Pobi est un écrivain canadien. Il a travaillé dans le monde des antiquités avant d’écrire son premier roman L’Invisible (2012), suivi de Les Innocents (2015), tous deux publiés chez Sonatine Éditions. Ses romans sont traduits dans plus de quinze pays. Durant son temps libre, il pêche, se passionne pour l’art américain du XXe siècle et écoute Motörhead.


La musique du livre

Seul le titre ci-dessous est explicitement nommé, sinon on note des références à Bob Dylan, ZZ Top ou AC/DC...

NWA – Fuck The Police


CITY OF WINDOWS – Robert Pobi – Éditions Les Arènes – collection Equinox – 490 p. janvier 2020
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Mathilde Helleu.

photo : Pixabay

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