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Chronique Livre :
CONNEMARA BLACK de Gérard Coquet

Chronique Livre : CONNEMARA BLACK de Gérard Coquet sur Quatre Sans Quatre

photo : Pixabay


Le pitch

La Connemara Black est une mouche artificielle permettant au pêcheur de ne jamais rentrer bredouille… C’est également le nom d’un ancien groupe armé de l’IRA, l’Armée Républicaine Irlandaise. Mais c’est aussi le surnom donné aux filles vivant dans cette baie, à l’ouest de l’Irlande.

Elles sont souvent très belles mais plus revêches à apprivoiser qu’un poney des tourbières. Ciara McMurphy en est une. Après un mariage raté, elle a fui la région et s’est engagée dans la Garda, la police locale.

Mais lorsqu’une série de meurtres balaie la ville de Galway, c’est elle que le commissaire Grady choisit d’envoyer sur ses terres natales afin de surveiller ce qui reste des indépendantistes.

Et entre autres le vieux Zack, un chef de clan, un patriarche qui – entre terres désolées, légendes d’un autre temps, cimetières abandonnés et ex-combattants de tous bords – veille dans l’ombre… Mais sur quoi veille-t-il ?


L'extrait

« John, pas plus qu'un autre, ne pouvait se vanter d'avoir vu l'ombre de McCoy dans la rue principale depuis belle lurette. La dernière fois, c'était en juillet, chez Mannion's, où le vieux avait semé la pagaille en fracassant sa pinte sur la gueule d'un plus mal embouché que lui. Depuis l'incident, il se planquait dans sa tanière, au bout du chemin de Recess avec pour seuls voisins, les dingues de la famille O'Brien et les moutons des tourbières de Derryadd East. Personne n'osait s'aventurer dans le secteur, les loustics braconnaient sans vergogne les lacs de Garroman et, vu leur réputation, la Garda ou les représentants de la société de pêche ne risquaient pas de les déranger.
Avec sa stature de vate, veuf d'une banshee complètement cintrée, McCoy n'était jamais le bienvenu en ville et sa manie de coller le mauvais œil dans le dos de ceux qui croisaient sa route n'arrangeait pas son image de marque. Jessica, sa fille ainée, belle à damner un druide, avait attisé et satisfait les désirs de tous les mâles de la région avant d'être retrouvée morte dans une voiture, sur le parking du terminal de Cork. Une balle dans la tête... C'était ce qui se racontait.
Bradley effaça l'image de Jessica. Certes, c'était un diamant brut, une perle rare mais une perle que de nombreux gars avaient enfilée, à condition d'être catholiques et de lever une pinte à la mort de l'Anglais ou à la réunification de l'Irlande. » (p.11)


L'avis de Quatre Sans Quatre

Elle en raconte de drôles d'histoires la tourbe fumante et irritante des cheminées irlandaises. Des récits anciens de reines fabuleuses et de combats furieux, de bombes posées là où il ne fallait pas ou d'hommes qui trahissent, de femmes qui perdent la tête ou y prennent du plomb. Bien sûr, elle narre également des parties de pêche fructueuses, des mouches vertes ou noires qui se font gober par le saumon ou la truite comme par magie. Elle explique un pays rude, battu par les vents mauvais de la guerre civile, pelé par le chagrin de ceux qui restent encore debout après les batailles à contempler les morts, comme le vieux McCoy dont la fille Jessica a laissé sa peau dans les vaines batailles passées.

Il faut être attentif parce que la fumée âcre emmêle tout dans ses volutes, les contes et les sales coups, l'histoire contemporaine et les vilaines magouilles des différents groupes qui passent leur temps à s'infiltrer l'un l'autre jusqu'à ne plus savoir qui est avec qui. Il y en a eu du sang, sur la lande et dans les rues de Londonderry, sur les mains de ces vieillards fiers et butés qui parlent à demi-mots, à demi-vérités ou mentent effrontément.

Ciara McMurphy, ce n'est pas son genre les demi-mesures. Elle va droit au but, et c'est peut-être pour ça qu'elle a été choisi pour enquêter sur l'avalanche de meurtres qui se produit dans la région de Galway. Certainement pas en tout cas pour les bons souvenirs de son patelin d'origine d'où elle s'est enfui, quittant un mariage catastrophique avec une brute épaisse qui la battait comme plâtre. C'est donc affligé d'un second, Doyle, intelligent mais pas malin, qu'elle doit faire contre mauvaise fortune bon cœur et replonger dans le cauchemar de sa jeunesse. Bien sûr, il est hors de question, même sous la torture, et il y en a de biens terribles dans ce roman, de vous livrer qui que ce soit sur les énigmes qui vont se présenter à la rouquine mal embouchée qui porte l'uniforme de la Garda, ce serait trop dommage de gâcher votre plaisir des les découvrir une à une.

Gérard Coquet raconte un pays qu'il adore, ça se sent. Il a l'âme de l'Irlande chevillé au corps. Qui aime bien châtie bien, il n'en dit pas que du bien, de ses habitants surtout, mais il sait à merveille imprégner de charme -dans tous les sens du terme - les lacs et les tourbières, attirer le regard sur le beau tout en racontant le laid. Les années de guerre civile ont été un désastre, un imbroglio fantastique où les groupes armés et rivaux fleurissaient avec plus d'abondance encore que les genêts en été et finissaient par former un taillis impénétrable où nul ne pouvait se repérer. Mais le combat a bon dos et n'empêchait pas les hommes d'être aussi rapaces qu'en temps de paix. Comme dans Le Nom de la Rose, c'est un livre, ici de magie noire, qui attire toutes les convoitises. Des groupes de tueurs sillonnent la lande, n'hésitent pas à assassiner des flics, des anciens indics, des femmes un peu folles. Ciara, mal à l'aise de ce retour aux sources, va devoir affronter toutes les énigmes qui se présentent à elle sans pouvoir un seul instant se fier à quiconque. Tout le monde ment, ou du moins dissimule. Les témoins livrent au compte-goutte des renseignements sibyllins qu'il faut décrypter à une flique, plus handicapée qu'aidée, par les policiers locaux, un fier-à-bras, coureur de jupons impénitent, doublé d'un couard, et un gros imbécile, amoureux fou de Ciara qu'il faut surveiller comme un gosse.

Il y a la politique, les convictions, les intérêts partisans, tout ce qu'on voudra, mais pour déclencher une telle hécatombe en temps de presque-paix, cinq meurtres dans un premier temps, histoire de se mettre en bouche, rien à faire, il faut que ça sente fort le pognon. Les fantômes ont beau s'agiter sur les plages, les médiums prévoir des sorts funestes et les soies des cannes à pêche fouetter l'air limpide au-dessus des cours d'eau dans des paysages d'une poésie folle, l’exécrable soif de l'or œuvre en secret et brouille les plus belles cartes postales.

Ce polar regorge d'intrigues, au pluriel, d'anecdotes historiques et terrifiantes, de petits complots minables et de grandes manœuvres politiques, mais elles servent de toile de fond à l'enquête de McMurphy. La magie, les sciences occultes, les affrontements entre factions rivales, autant d'écrans de fumée épaisse entre elle et la solution qu'il lui faudra aller chercher au bout d'un suspense dingue, dans un déferlement de violences et sous une cargaison de surprises. Et que dire des personnages ! Pittoresque, ce serait faible, ils incarnent la terre où ils vivent, les méandres de la politique locale, les haines et les rancoeurs, les vengeances encore en cours des années après que les cadavres des combattants aient été inhumés, mais aussi l'amour de la nature et la communion avec leur région.

Connemara Black est empli de détails passionnants comme les corps des anciens indépendantistes sont truffés de chevrotine, bourré de faits édifiants pour tous ceux qui pensent que l'Irlande se résume à des pubs et des moutons paissant peinards en écoutant le violon ou l'accordéon des balades. Ce polar présente une société profondément divisée où les plaies saignent encore, une communauté qui recèle aussi bien les calculs politiques les plus retors qu'une propension exceptionnelle à croire aux sortilèges.

Connemara black est un enchantement, d'ailleurs, par le style, le vocabulaire et les dialogues souvent très drôles des habitants, la grossièreté de Ciara et les circonlocutions abstraites des menteurs de service au pub sifflant pinte sur pinte.

Mettez votre ciré, passez chez John Bradley acquérir quelques Connemara Black, Steelhead Highlander ou Copper killer, des bottes, ou mieux des waders, un gilet pare-balles, et partez sans hésiter à la pêche avec Ciara McMurphy, aucune chance de revenir bredouille !


Notice bio

Gérard Coquet est né le jour anniversaire de la mort de Louis XVI… le 21 janvier 1956. Mais il jure encore qu’il n’y est pour rien. Issu d’une longue lignée de blanchisseurs, il passe son enfance avec sa jumelle à se cacher au milieu des draps séchés au vent. Puis dans un ordre aléatoire se succèdent le collège des Lazaristes, un diplôme d’expert-comptable, la guitare basse et la création de ses premières chansons. D’ailleurs, tout vient sans doute de là, l’écriture… Après la reprise de l’entreprise familiale, il devient juge consulaire avant de créer récemment un cabinet d’archi. Ce qui ne l’a jamais empêché d’adorer la charcuterie, le gamay, le tablier de sapeur et la cervelle de canut ! Sauf bien sûr quand il se ressource en Irlande avec la pêche à la mouche et la Guinness.


La musique du livre

Sharon Shannon – Black Bird

The Field Of Athenry

The Pogues - Dirty old Town

Riordan Irish Folk - The Old Grey Goose

Bon Jovi – Bed of Roses


CONNEMARA BLACK – Gérard Coquet – éditions Jigal Polar – 341 p. février 2017

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