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Chronique Livre :
COYOTE de Colin Winnette

Chronique Livre : COYOTE de Colin Winnette sur Quatre Sans Quatre

photo : Pixabay


L'auteur

Colin Winnette est un romancier, nouvelliste et poète américain. Il est né au Texas mais vit à San Francisco. Il a reçu plusieurs prix et en particulier pour Coyote, en 2013. Il écrit régulièrement pour le Believer et Electric Literature.


De quoi ça parle

« Elle avait des mains minuscules, comme un chiot qui ne grandira jamais.»

Une petite fille a disparu. C'est sa mère qui parle. Elle raconte le manque, le basculement dans une autre forme de réalité, un monde sans la petite. Les menus événements, les petits et grands effondrements de sa vie, maintenant, sans elle. Petit à petit la voix de la mère fait entendre, en creux, une autre version du drame.


Un extrait

« Elle s'inquiétait pour les personnages de livres dès la première page. Il est triste ? elle demandait. »

« Une fois, je l'ai tapé avec une lampe. J'ai pas tapé fort mais ça l'a mis par terre. Quand il s'est relevé il était plus du tout dans le coup. Il se couvrait la bouche d'une main. Il avait l'air triste, jeune, effrayé, il y avait du sang au bout de ses doigts. Rien de grave. J'avais frappé la bouche, coupé l'intérieur de la lèvre supérieure, ébréché une dent.
Je suis allée lui chercher de la glace et il a demandé pardon pour ce qui avait provoqué la dispute, peu importe ce que c'était. C'est exactement ce qu'il a dit : peu importe ce que c'était.
Le lendemain je me suis levée avant lui. J'ai cogné ma bouche ouverte contre le bord du plan de travail. J'ai pas réussi à ébrécher exactement la même dent, mais j'en ai ébréché une pas trop loin. J'ai tourné de l'oeil, perdu connaissance, ce que vous voudrez, et je me suis réveillée sur la galerie, où il m'avait calée pour que je tienne assise. Pas comme une poupée de chiffon, mais comme quelqu'un qui doit se reposer. Peut-être comme il la calait, elle, des fois. Un genre de calage affectueux. » (p. 37 – 38)

« Elle était comment, notre fille ?
Si elle avait le choix, elle ne mangeait pas ce qui était dur. Raide. Croquant. Si elle pouvait, elle choisissait toujours ce qui était tendre.
Elle caressait le chat à rebrousse-poil, malgré toutes les fois où je lui ai dit que c'était le mauvais sens.
Même avant qu'elle sache parler, elle nous regardait comme si elle écoutait. Ses yeux suivaient le son qui allait et venait entre nous ou fonçait droit sur elle . » (p.39)


Ce que j'en pense

« Elle n'avait peur de rien, pas même des coyotes. »

D'ordinaire, les romans ne sont pas comme celui-ci. D'ordinaire, le lecteur comprend l'histoire grâce à ce qui est dit. Ici, c'est ce qui n'est pas dit qui permet de comprendre le récit. Ce qu'on devine. Ce qu'on pressent. C'est dans les creux et les interstices que se logent les éléments de compréhension.

De courts textes, d'une ligne à quelques pages, juxtaposés sans date, sans repères d'aucune sorte.
Pas de noms, sauf celui de la petite qui est indiqué une fois, Delilah, le père est appelé « le père de ma fille ».

Tous les incontournables du roman policier sont là, sauf que le flic n'a pas de nom il est appelé Mick Machin, qu'il n'y a pas d'interrogatoire, pas d'enquête, pas de suspect. Ou pas tout de suite.

La lente, très lente, très éprouvante dégringolade de cette mère à la voix singulièrement dérangeante. Elle passe sans ordre du passé au présent, elle raconte, au jour le jour - ou pas qui sait ?- la vie avec et la vie sans sa fille. Qui est-elle et de quoi est-elle capable ?

La lecture dérange immédiatement parce que la disparition est racontée sans émotion : « on l'a mise au lit et, quand on s'est réveillés, elle était plus là. », parce que les premières pages parlent du soir de la disparition, de picole et de coyotes massacrés à coups de pelle. Aucune explication, la petite n'est plus là, c'est tout, il n'y a même aucune tentative d'explication ni d'enquête réelle. Elle était là et au matin elle n'est plus là.

C'est un monde indéchiffrable qui nous est donné, pas de précision géographique, pas de notion de distance ni de chronologie. On est constamment perdu, on est donc dans l'expectative, tendu, à l'affût de la moindre explication, du moindre lien qui nous permettrait d'établir une lecture rationnelle des événements.

La maison ne représente aucune sécurité, elle est poreuse aux dangers venus de l'extérieur, elle ne protège pas ses habitants. D'ailleurs, un des endroits préférés des parents est la galerie, à la fois dans la maison et hors de la maison, un lieu symbolique de passage entre l'intérieur et l'extérieur. Les dangers sont de tous ordres : la disparition mystérieuse et inexplicable de la petite, les coyotes qui sont partout et viennent quelquefois s'aventurer près de la maison. Il y a quelque chose avec les animaux, dans ce texte, ils sont envahissants et liés à la mort : coyotes rôdant autour de la maison, un chien mort, abeilles dans la salle de bain s'agglutinant sur la tête de la mère, sanglier à la broche préalablement découpé au couteau à pain... dans le jardin sont enterrés plusieurs animaux familiers.

Le monde est effrayant, inhospitalier, laid, comme la ville dans laquelle il y a « un hôpital qui ressemble à un asile hanté, des hommes d'âges divers en skateboard, des enfants dans des poussettes et sur des vélos, des enfants dans des parkings, des enfants dans des jardins,qui donnent des coups de pied dans les fourmilières ou déterrent des noix de pécan encore fermées ». Il n'y a pas de protection possible, à l'image de leur maison qui laisse passer les insectes et les voleurs d'enfants …

Même l'image de la petite est brouillée, ses parents cherchent à la définir, à se souvenir et il ne reste que des choses disparates, ténues, inabouties comme le fait qu'elle tartine le beurre de ses doigts et qu'elle préfère jouer avec des clefs qu'avec une poupée, écouter sa musique que celle de la radio. Il n'y a pas de souvenirs heureux d'amour et de bonheur, il ne subsiste qu'un regard posé sur elle plutôt froid et sec qui ne suffit pas à la faire revivre. Plus tard, la mère se montrera presqu'incapable de dire quel âge sa fille avait et à quoi elle ressemblait. Et puis le père a brûlé toutes les photos d'elle.

Plus le temps passe, plus c'est difficile de se souvenir de la petite et de la garder vivante dans sa tête et la mère veut retourner dans le talk-show de Jerry Summers pour parler de sa fille disparue, pour regarder la caméra et dire, comme tous les autres parents qui ont perdu un enfant, peu importe le ton et la formulation : Rendez-nous notre enfant. Mais les mois passent et on veut de la viande fraîche à la télévision, pas question de redonner la parole à des parents dont la fille a disparu depuis des mois alors qu'il y en a tant d'autres plus récents, plus émus, plus touchants.

Il y a une volonté systématique de tout effacer d'ailleurs, les souvenirs, les traces, les images. Ce qui subsiste ne se dit même plus : la violence entre époux, les coups donnés et reçus parce que les mots sont morts, la baise sans affect, plus fréquente, plus insatisfaisante mais urgente, avec un goût de destruction et de mort  : « Quand je jouis, je crois que j'ai l'air méchante. » . La violence pour ne pas se quitter peut-être, parce que se comprendre est impossible désormais et que tout ce qu'ils avaient en commun s'estompe et se délite.

Il n'y a pas de ciel, pas d'ouverture, pas d'espace, c'est un long circuit en apnée dans la tête de la mère, une plongée très noire et asphyxiante aux contours flous et brumeux, sans repères, sans certitudes, tout est énigme, mémoire fragmentaire, perception fracassée, labyrinthe de perceptions.


COYOTE - Colin Winnette - éditions Denoël - 118 pages mai 2017
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Sarah Gurcel

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