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Chronique Livre :
D'APRÈS UNE HISTOIRE VRAIE de Delphine de Vigan

Chronique Livre : D'APRÈS UNE HISTOIRE VRAIE de Delphine de Vigan sur Quatre Sans Quatre

illustration : personnages masqués (Pixabay)


« Quelques mois après la parution de mon dernier roman, j’ai cessé d’écrire. Pendant presque trois années, je n’ai pas écrit une ligne. Les expressions figées doivent parfois s’entendre au pied de la lettre : je n’ai pas écrit une lettre administrative, pas un carton de remerciement, pas une carte postale de vacances, pas une liste de courses. »


Tiroir du haut

En lisant D’après une histoire vraie, j’ai découvert un roman à double tiroir. Celui du haut, le plus évident, c’est la description précise, méthodique, du processus par lequel l’auteur se laisse ficeler comme un gigot, c’est une image, une inféodation présentée dès la première page comme inéluctable. En ouvrant le livre, on comprend immédiatement que même si l’histoire se termine par un happy end, les cicatrices seront vilaines et profondes.

Depuis quelques années on assiste, sur les réseaux sociaux et au-delà, à un phénomène généralisé de stop au déni qui entraîne la publication en ligne de récits toujours plus nombreux d’emprise, d’asservissement et d’autres maltraitances morales. Le plus souvent, cela s’installe dans des relations amoureuses. Delphine de Vigan, elle, tombe sous la coupe d’une autre femme, L. Entrée dans sa vie comme une amie, L. s’impose progressivement à tous les étages de la vie personnelle et professionnelle de l’auteur. Le livre commence par cette révélation effrayante : pendant trois ans, Delphine a été incapable d’écrire une seule ligne, et même de tenir un stylo.

Ce qui fait peur, c’est d’imaginer une domination psychologique assez corrosive pour déposséder l’auteur de sa nature même d’écrivain.


Tiroir du bas

Le second tiroir de ce roman, c’est une question lancinante qu’on se pose tout au long de la lecture et jusqu’au point final : est-ce autobiographique ? Des tas d’indices laissent penser que oui, à commencer par le titre, la couverture qui représente trois photos d’identité de l’auteur (on apprend en lisant d’où viennent ces images et ce qui leur arrive). Il y a aussi le fait qu’à aucun moment, L. n’est nommée. Comme si, même après la publication, l’auteur avait besoin de se protéger, ou plutôt de la protéger. On aimerait bien comprendre pourquoi.

Les doutes que l’auteur décrit, ses difficultés personnelles et relationnelles, tout est tout à fait cohérent avec deux de ses précédents romans : Rien ne s’oppose à la nuit qui racontait son enfance étrange au sein d’une famille bien déjantée mais tristement crédible et Jours sans faim, récit autour de son anorexie. On comprend sans peine que ce que l’on connaît (ou croit connaître) de son histoire l’ait rendue si fragile et vulnérable, et qu’elle se laisse si facilement manipuler.

L’auteur narre à la première personne, donne des noms de confrères, de connaissances dans le monde de l’édition, cite un salon littéraire auquel elle a participé… Tout a l’air parfaitement vrai et contrôlable.

Parallèlement, l’intrigue tourne également autour de cette question. L. s’acharne, par tous les moyens, à pousser Delphine à écrire un nouveau roman autobiographique. La Delphine du livre résiste mais le lecteur, de l’autre côté de la page, ne peut que constater qu’elle a fini par abdiquer. Et se demande comment.


Et alors, c’est autobiographique ou pas ?

Pourtant c’est bien un roman, c’est écrit sur la couverture. Et certains événements laissent penser que s’ils s’étaient réellement passés, on en aurait entendu parler dans le poste. Mais on n’en est pas tout à fait sûr.

Toutes ces interrogations, en plus de l’histoire quand même assez flippante (j’ai vu le livre présenté comme un thriller quelque part), en font un livre captivant qu’on a du mal à lâcher. Joli talent de l’auteur qui donne pourtant l’impression de ne faire que raconter une période de sa vie, sans faire d’efforts de suspense ni de spectaculaire.

D’après une histoire vraie, c’est un roman troublant qui implique le lecteur, l’oblige à se demander, page après page et jusqu’à la fin, ce qui est vrai est ce qui est inventé. Peut-être tout simplement, pour citer l’auteur, « …c’est peut-être ça, le mystère de l’écriture : c’est juste ou ça ne l’est pas. Je crois que les gens savent que rien de ce que nous écrivons ne nous est tout à fait étranger. Ils savent qu’il y a toujours un fil, un motif, une faille, qui nous relie au texte. Mais ils acceptent que l’on transpose, que l’on condense, que l’on déplace, que l’on travestisse. Et que l’on invente. »


Le tiroir à musique

Musique d'époque, on y trouve Belinda de Claude François, uen chanson de Catherine Lara, Fatale, qui est sortie sur l'album Rockeuse de Diamant, comme elle n'est pas disponible en vidéo, rabattons-nous sur la chanson-titre de l'album.

Et il y a la radio, Hit FM qui était ce qu'on appelait il y a longtemps une radio libre...

Merci à Sophie Dinh pour cette chronique ;-)

D'APRÈS UNE HISTOIRE VRAIE - Delphine de Vigan - Jean-Claude Lattès - 482 pages  août 2015

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