Chronique Livre :
DAWA par Julien Suaudeau

Publié par Psycho-Pat le 10/08/2014
Illustration : explosion - source : Wikipédia
« Les pauvres d'aujourd'hui, ils choisissent entre la glande et la bombe, selon qu'ils aiment un tant soit peu la vie, ou qu'ils sont trop en colère. Ce pays n'a pas d'avenir » (Le Tchéchène, caïd des 3000)
Le pitch
Aulnay, de nos jours, la cité des 3000 faite pour loger des travailleurs importés d'anciennes colonies, sauf qu'il n'y a plus de boulot. Du coup, leur exotisme exaspère des prolos nationaux aussi démunis qu'eux. Il faut bien un coupable à la dèche, pas de problème, ils ont plus misérables sous la main et des politiques peu scrupuleux pour souffler sur les braises de la connerie et de la colère réunies qui ne demandent qu'à s'enflammer pour ravager le peu qui pourrait être sauvé. Tant que les pauvres se bouffent entre eux, ils ne pensent pas à demander des comptes...C'est là que se déroule l'action de Dawa.
Assan Bakiri est un brillant produit de l'ascenseur social républicain. Prof de fac, il a, apparemment, réussi à sortir du destin de violence et de haine qui était tout tracé pour lui s'il avait suivi le chemin de son père, exécuteur du FLN puis mercenaire, aujourd'hui dément, qu'il garde comme il peut dans son pavillon délabré, et, de son demi-frère, Kader, mort dans un jihad où lui ne se reconnaît pas. "je ne sais pas si j'aime la mort mais je n'aime pas ma vie." Problème de racines, d'espoir, amours déçues, il va se lancer dans une vengeance féroce.
Momo est un jeune boxeur, ex délinquant repenti, à deux doigts de décrocher une pré sélection olympique synonyme d'un futur possible. Son pote de toujours, Souleymane, alias Soul, a étudié plus que tout autre pour arriver aux portes du CAPES. Ils n'avaient aucune chance et pourtant ils ont essayé.
Paoli, chef tout puissant des renseignements français, est en fin de carrière, il n'a plus rien à prouvé sauf à lui-même. Il poursuit patiemment une vengeance depuis cinquante ans bientôt et ne veut pas qu'elle lui échappe quel qu'en soit le prix et les conséquences. Des graines semées il y a si longtemps en Algérie durant la guerre coloniale qui n'osa pas dire son nom...
Les municipales à Paris vont débuter, le jeune ministre de l'intérieur depuis 2012 veut le poste de premier ministre, le Quatar achète des morceaux de France pour préparer son avenir post-pétrolier. Les conseillers, chefs de cabinets, acteurs de l'ombre magouillent en sous-main pour être bien placés sur la liste des futures nominations.
Tous ces personnages et bien d'autres, politiques, arrivistes, flics, dealers, truands, vont se croiser, comploter, jouer à perdre, se tuer, suivre un destin tiré à la loterie dans une tragédie où il n'y a pas de quartier et aucun espoir. Les 3000 sont le lieu idéal pour des vengeances aveugles et des coups tordus...
L'avis de Quatre Sans Quatre
Dawa, c'est le chaos, le bordel intégral. Julien Suaudeau trace un terrible bilan de l'état de la France. Un réquisitoire implacable à l'encontre des gens de pouvoir, sans excuser tout à fait les victimes de ce système. Loin de la naïveté, il y en a pour tout le monde.
Il crie à l'erreur idéologique, à la falsification absolue qui consiste à remplacer la lutte des classes par un choc culturel ou civilisationnel. Un jeu de bonneteau qui trouble les gogos, rapporte un maximum à l'organisateur et enfonce un peu plus les autres dans l'impasse. Quelle panne d'intégration ? Les immigrés pauvres s'intègrent très bien dans les banlieues lépreuses, les riches quataris parfaitement aussi sous les ors de la République...
Les stratégies de pouvoir, la violence des élites entre elles, le détournement de l'intérêt commun au bénéfice de petits napoléons qui se rêvent au Panthéon et s'aveuglent pour ne pas voir que deux riches pour huit pauvres n'est pas une situation tenable. L'économie, la religion, l'idéologie, tout n'est plus que prétexte à engranger des positions de force sauf pour ceux qui ont la faiblesse d'y croire encore un peu, des plus grands diviseurs communs pour que dure la foire d'empoigne de politiques impuissants et sous contrôle.
Entendons nous, ce livre est un thriller et même un excellent thriller mais pas que. On sent l'histoire bâtie pour asséner quelques vérités qui passent mieux quand elles sont brillamment illustrées comme ici et insérées dans un scénario qui n'a rien à envier aux block-busters. Dawa est une métaphore, l'auteur utilise à merveille le genre pour glisser entre les lignes une analyse précise et documentée des jeux de pouvoir, des murs auxquels se heurtent Momo, Soul et Assan.
L'espoir aussitôt présenté s'enfuit et se transforme en rage. Certes le roman n'est pas constitué que de scènes d'action mais il n'est jamais ennuyeux. La démonstration est implacable, fait après fait, minute par minute, la tragédie finale est amenée dans toute sa logique effrayante.
Que l'on soit d'accord ou pas avec les thèses de Julien Suaudeau, force est de constater qu'il les présente magistralement et que cette histoire le fait entrer directement dans les rangs des grands auteurs de thriller. Le Cid revisité au XXIème siècle en banlieue, ça décape!
Notice bio
Bien peu de choses, Julien Suaudeau vit à Philadelphie depuis huit ans et Dawa est son premier roman.
La musique du livre
Les Clash en incipit, ça attaque fort avec The Guns of Brixton. Les loups sont entrés dans Paris, dans la tête de Franck, adjoint de Paoli qui essaie de faire honnêtement son métier sans bien comprendre son chef. Soul se met toujours un petit titre des Roots quand il exécute seul ce qu'il aimerait faire avec Sybille, la copine à Momo et pour finir, une bossa-nova, Tristeza Nao Tem qui accompagne le Tchétchène, un truand cap verdien...
Dawa – Julien Suaudeau – Robert Laffont – 492 p. mars 2014