Chronique Livre :
DROIT DANS LE MUR de Nick Gardel

Publié par Psycho-Pat le 29/01/2018
Le pitch
Ancien vigile, Michel Marchandeau a cru au rêve campagnard : il s'est installé dans une maison des contreforts vosgiens. Mais le voisinage peut vous pourrir la vie bien plus vite qu'on ne le croit.
Entre une congrégation d'illuminés aux prétentions territoriales envahissantes et un Anglais chercheur de trésor, le retraité va devoir jouer des poings.
Rapidement les cadavres commencent à s'entasser et cette histoire pourrait bien finir… droit dans le mur !
L’extrait
« Des carcasses.
Pantins gras et vaguement sanguinolents pendus ridiculement au plafond.
Un froid de gueux aussi. Et moi, comme une truffe, qui fait de la buée à chaque expiration entre deux morceaux de bidoche.
Ils bouffent avec sérieux, les fondus de la congrégation. L'illuminé se sustente à la barbaque. Et pas qu'un peu ! On est loin de l'ascèse et du renoncement spirituel quand on mate leur frigo.
Surtout que je suis du mauvais côté de la porte avec son hublot voilé par le givre. Pas un mouvement dehors, le caisson étanche assourdi les sons qui viennent de la cuisine. Impossible de savoir si la voie est libre.
Je suis moyennement partant pour me jeter dans la mêlée sans repérage du terrain. Un cuistot, c'est naturellement armé, et puis ça ne manque pas de ressources question saignement. Ils ont en plus la fâcheuse habitude de ne pas aimer qu'on joue avec la nourriture. Alors un inconnu dans la chambre froide ça fait désordre et ça risque de mettre le chef en rogne. Sans parler de l'hygiène...
Ce n'est pas mon petit camarade appuyé contre la paroi du fond qui me contredira. Lui, il ne participe plus à la fête. Il s'en fout du froid. Depuis que son cartilage nasal est allé dire bonjour à la masse molle de son cerveau, il est aux abonnés absents. Dans l'absolu, il serait même plutôt content de la température. Ça retarde le festin des vers. » (p.7-8)
L’avis de Quatre Sans Quatre
Marchandeau voulait juste décaper et repeindre ses volets, pas de quoi déclencher la ixième guerre mondiale, ni réanimer l'héréditaire conflit sur l'appartenance des Vosges avec les voisins teutons. Un coup de papier de verre et de pinceau, franchement, c'est pas de la provocation, si ?
Côté allié, les forces sont maigres : un restant d'aristo angliche allumé cherchant furieusement un trésor, caché par un de ses aïeuls, dans la propriété jouxtant celle du retraité bricoleur par obligation et la mère Godevin, éleveuse de volailles, cancanière et mauvaise comme un abcès au cul chez un coureur cycliste. Auxquels on peut ajouter Martial, alcoolo, poète du calembour merdique scotché aux tables du troquet local et un ex journaliste de ses amis, bien qu'ils ne soient pas concernés directement par le problème.
Les trois premiers cités ont en commun de refuser obstinément de vendre leurs terrains à la congrégation religieuse qui s'est établie dans une sorte d'immense soucoupe volante architecturale qui leur sert de temple et de lieu de villégiature. Une secte aux apparences sympathiques qui, comme toutes les autres, dépouille ses adeptes, les abrutit, mais dont le culte se rapproche plus des bacchanales orgiaques que des messes ennuyeuses. Leur gourou, un Autrichien autrefois lié à l'extrême-droite, Friedrich Königin les a convaincus que le rééquilibrage du monde passait par une sexualité débridée au cours de quelques cérémonies aux noms farfelus. Comme la communauté paie les terres bien au-dessus de leur valeur foncière, les autorités du village n'y trouvent rien à redire. Même si l'insistance de la secte à obtenir les terres convoitées peut passer pour du harcèlement et de l'intimidation. Mais, pourtant, ils sont quelques-uns à se demander d'où viennent les fonds ayant servi à la construction du saint boxon en communication direct avec les extra-terrestres...
Tout cette histoire reste bon enfant jusqu'à ce que l'on retrouve la vieille Godevin, nuque brisée, le nez dans la fiente de ses poulets d'élevage. L'enquête menée par le capitaine Jules Lenoski, imbécile ombrageux de compétition, va déclencher un maelstrom dans le village et ses environs. Michel Marchandeau, ancien vigile, retrouve ses réflexes et délaisse ses volets inachevés pour tenter de comprendre ce qu'il se passe réellement dans son petit coin pépère où il comptait couler une retraite tranquille. L'Anglais, tout à sa recherche du trésor de son ancêtre, sonde les murs, creuse des trous dans le sol et s'arrête régulièrement boire une bière avec Michel mais ne percute pas réellement ce qui se joue autour de lui, ce qui en fait un suspect idéal pour le gendarme aux théories surréalistes.
À la Rambo, seul, l'arthrose en plus, il va affronter des anciens nazis, un secret datant de Napoléon III et des sbires sans pitié tandis qu'autour de lui les cadavres s'accumulent. Le récit est drôle, mené vivement, plein de gouaille et de mots d'esprit, on ne peut s'empêcher de penser à Frédéric Dard, à ses situations rocambolesques et cocasses malgré le fond dramatique de l'intrigue. Un très bon moment de lecture, de détente. Le suspense tient d'un bout à l'autre, le sourire du lecteur également. Chaque situation un peu tendue étant relativisée par une pirouette humoristique. Ça fait du bien aux yeux toute cette truculence et elle ne gâche en rien l'âpreté des combats et la tension des parties les plus épiques du roman.
La légèreté de ton n'empêche pas, bien au contraire, d'égratigner ça et là les corps constitués, les gourous de tous poils ou la belle solidarité du Vatican et de certains pays avec les milliers de tortionnaires nazis fuyant l'avancée des Alliés. Ni de pointer du doigt la connerie naturelle ou la bassesse humaine éventuelle. Partie d'une impératrice trahie, cette histoire de trésors cachés et de secte exposée sur la ligne bleue des Vosges aboutit à une sérieuse apocalypse qui devrait rééquilibrer un temps les flux cosmiques du secteur...
Nick Gardel écrit bien, une belle plume qui sait faire vivre des personnages attachants et des salauds magnifiques, c'est un plaisir de foncer Droit dans le mur en sa compagnie !
Notice bio
Enseignant dans les parties les plus complexes des méandres de l'éducation nationale et rattrapé par une quarantaine qui ne va pas en s'arrangeant, il a bien fallu que Nicolas Juan trouve une échappatoire. Il a finalement mis la main sur Nick Gardel pour se cacher derrière et pouvoir écrire des bêtises. Ce qu’il a déjà commencé à faire avec son premier roman, Fourbi étourdi, paru en mars 2017 aux éditions du Caïman.
DROIT DANS LE MUR - Nick Gardel - Éditions du Caïman – 229 p. novembre 2017