Chronique Livre :
DU PASSÉ FAISONS TABLE RASE de Malik Agagna

Publié par Psycho-Pat le 24/12/2017
Le pitch
Jérôme Bertin, un père de famille sexagénaire, est abattu un soir devant chez lui près de Strasbourg.
Quelques jours auparavant deux ex-membres comme lui d’un groupe de sympathisants communistes, ont également été assassinés.
Un séjour de l’autre côté du rideau de fer, durant la guerre froide, semble avoir durablement perturbés ces militants d’un autre âge. Qu’ont-ils vu ? qu’ont-ils fait ? à quoi ont-ils assisté lors de ces années de plomb ?
C’est en Lituanie que l’inspecteur Marie Sevran et une jeune criminologue espèrent trouver quelques réponses. Leur voyage les plonge dans un passé sulfureux et fait ressurgir un certain Markus sanguinaire patron de la police secrète…
L'extrait
« Dans les films, lorsque l'inspecteur en charge de l’enquête arrivait sur les lieux d’un crime, des dizaines de véhicules, gyrophares allumés, illuminaient la zone comme une fête foraine battant son plein. Des policiers, sortis d’on ne sait où, prévenus par on ne sait qui, avaient déjà pris toutes les dispositions, sécurisé les lieux, trié les témoins. Le héros goguenard et détendu se contentait de déambuler tranquillement et rechercher des indices capitaux que ses subalternes incultes n’avaient pas été en mesure de déceler. Un médecin légiste bougon et mal réveillé, à l’humour macabre, était déjà capable d’évaluer l’heure et la cause du décès. L’affaire était quasiment bouclée.
La réalité était tout autre. Un malheureux camion de pompier les attendait. Les soldats du feu trépignaient, impatients de déguerpir, et deux véhicules de patrouille arrivèrent en même temps qu’eux.
Chevallier ordonna aux hommes de boucler les lieux et appela le bureau pour faire venir le légiste et les experts.
- Il est décédé, affirma un jeune pompier, la pluie coulant de son casque comme le long d’une gouttière percée. Mais il est encore tiède, le décès ne doit pas remonter à longtemps.
- Qui d’autre dans la maison ? demanda Marie qui en profita pour allumer une Gitane.
- Sa femme. Enfin, sa veuve.
Il désigna une grande femme aux cheveux châtains qui retombaient sur ses épaules en une cascade de boucles serrées. Malgré l’imperméable qui la recouvrait presque entièrement, elle était trempée. Ses yeux hagards cherchaient quelqu’un à qui parler, un soutien, une réponse ou simplement une épaule compatissante. » (p.16-17)
L'avis de Quatre Sans Quatre
De la difficile et tumultueuse conversion des ex staliniens au régime capitaliste !
Jérôme Berttin et ses potes, maintenant sexagénaires en sont l’exemple-type. À fond dans le Parti, la Révolution ou la mort, dictature du prolétariat et tout le toutim jusqu’à la fin des années quatre-vingt, puis le vide. La chute du mur, la déliquescence programmée par Tonton Mitterrand du côté français et la décomposition avancée du “bloc de l’est” de l’autre, pour les ex républiques socialistes soviétiques. Du coup, plus personne n’y croit vraiment et la petite bande se disloque peu à peu - certains plus vite que d’autres - et retourne à une vie plus rangée. Fini les tractages, les fiévreuses réunions enfumées et la castagne contre les fachos ou les flics, bonjour le boulot pépère et la vie de famille. Jusqu’à ce que…
Jusqu’au soir où son petit vieux de voisin demande à Jérôme de venir chez lui afin de l’aider, qu’il n’arrive jamais à sa porte et que son corps soit découvert ,lesté de plomb, dans le jardin de son pavillon. Crime qui n’a rien à voir avec le PCF et la politique apparemment, sauf que deux de ses anciens copains ont déjà été assassinés les jours précédents. Grosse coïncidence à laquelle ne croit pas du tout le commandant Marie Sevran qui pressent rapidement l’affaire à emmerdes avec racines profondément enfouies dans le passé agité du groupe de militants. En particulier dans les voyages réguliers que les camarades ont effectués à Vilnius, Lituanie, dont le dernier a plus ou moins signé la fin de leur amitié et de leur attachement aux valeurs communistes.
Marie Sevran, la quarantaine bien sonnée, se voit, à son grand dam, adjoindre Jennifer, une jeune criminologue, qui doit suivre l’enquête, un stage au sein de son équipe habituelle : le minutieux et raisonnable Arsène Chevallier et le séducteur maison, Rachid Hamidi. Elles iront toutes les deux jusqu’en Lituanie sur les traces de l’histoire de cette cellule de communistes acharnés et de ses étranges déplacements dans les pays frères.
Au fil de l’enquête, les personnages s’étoffent, se dévoilent, se découvrent et découvrent les autres sous des aspects inattendus. Les pistes ne manquent pas, ce sont les indices qui font défaut, et les témoignages qui ne sont pas, comme à l’accoutumée, très fiables. L’histoire ne date pas d’hier et la mémoire n’est pas une science infaillible.
Un individu inquiétant pointe de plus en plus son nez au fur et à mesure que les investigations progressent, l’ignoble Markus, responsable de la police politique et des tortures dans la Lituanie soviétique. Il semblerait qu’il ait eu des contacts privilégiés avec la petite bande, du moins certains de ses membres. Markus a été assassiné de façon abominable, ainsi que toute sa famille, son épouse et ses deux jeunes enfants, après l’implosion de l’ex URSS, bien des années auparavant. Mais l’affaire n’est pas limpide et la police lituanienne était, à l’époque, pressée de classer ces dossiers sensibles où bien du monde était impliqué. Elle n’a pas examiné l’affaire avec énormément de soin. Bref, rien n’est clair dans toute cette intrigue, et les rebondissements ne vont pas manquer, tant du côté de l’enquête proprement dite que dans la vie sentimentale des enquêteurs.
Ce qui est sûr, c’est que la solution de l’énigme est à chercher bien loin dans le passé, bien avant que le cadavre de Bertin ne soit découvert dans son jardinet strasbourgeois. Les différentes phases des investigations d’Arsène, Rachid et Marie se suivent, s’interpénètrent, le lecteur se passionne tout autant pour les intrigues amoureuses des policiers que pour les avancées de l’enquête dans un milieu peu souvent exploré et dans une époque très particulière où les pires manipulations étaient possible (ceci dit, elles le sont encore, on en a la preuve tous les jours).
Allez, foule esclave, debout, debout, décrétons ce polar excellent !
Notice bio
Malik Agagna vit à Strasbourg. Il écrit des nouvelles et a gagné de nombreux concours littéraires (La Fureur du noir !). Du passé faisons table rase est son premier roman policier.
DU PASSÉ FAISONS TABLE RASE – Malik Agagna – Éditions Lajouanie – 297 p. septembre 2017
illustration : Pixabay