Quatre Sans Quatre

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Chronique Livre :
EN PAYS CONQUIS de Thomas Bronnec

Chronique Livre : EN PAYS CONQUIS de Thomas Bronnec sur Quatre Sans Quatre

photo : Palais de l'Élysée (Wikipédia)


Le pitch

La République est paralysée. L’Élysée est à gauche mais l’Assemblée à droite. Très à droite : impossible pour Hélène Cassard, nommée à Matignon, de gouverner sans le soutien des députés du Rassemblement national, le parti extrémiste. Dans un paysage politique en pleine déliquescence, les convictions sont mises à l’épreuve du pouvoir et les hommes de l’ombre s’agitent autour d’un enjeu de taille : l'appartenance de la France à l’Europe.

L’un d’eux, François Belmont, ambitionne de faire éclater les vieux clivages. Rien ne semble résister au grand argentier de la campagne d’Hélène Cassard. À moins que la mort de Christian Dumas, président de la Commission des comptes de campagne, chargé de veiller sur la légalité du financement de la vie politique, ne vienne compromettre ses plans?


L'extrait

« Antoine Fertel a envie de fracasser son poing contre la vitre, à défaut d'avoir François Belmont en face de lui. Il est hors de question qu'il favorise, de quelque manière que ce soit, le Rassemblement national. Il avait au moins espéré que la victoire irait à cette droite qui prône le libéralisme, la croissance, les entreprises, la zone euro, et pas à cette espèce de national-socialisme qui est en train de se pavaner un peu partout ce soir. Défendre l'État et la nation, au XXIe siècle...
Il reçoit un SMS et rappelle aussitôt don interlocuteur. C'est Daniel Caradet.
- Ça va tanguer demain sur les marchés. Déjà que la situation des finances publiques est catastrophique ; mais alors si le Rassemblement national entre au gouvernement...
- Il entrera. La droite n'est pas prête à participer à un gouvernement d'union nationale. Demain, ils vont faire la gueule à Bruxelles. J'espère qu'ils foutront un bon coup de pression et qu'on va éviter ça. Mais je suis plutôt pessimiste.
- En tout cas, on va prendre un ou deux points dans la gueule dès l'ouverture, si tu veux mon avis.
- Pour quelques jours, ce ne sera pas dramatique. L'image de la France dans le monde va être salie, mais ça, on peut s'en accommoder. L'important, c'est d'être certain que ça n'aura pas de conséquences à long terme. Il faut rassurer. Faire du zèle. Montrer qu'on en quittera la zone euro à aucun prix, même avec des guignols qui n'y comprennent rien à l'économie. Il faut qu'on sache ce qu'ils envisagent de foutre à Bercy. » (p.17)


L'avis de Quatre Sans Quatre

Quel marigot ! Sûr et certain, il n'y a pas tromperie, En pays conquis est un thriller : il fait peur. Pas la trouille du monstre sous le lit, la babine sanguinolente qui s'évanouit avec les premières lueurs de l'aube, non, pas du tout. Plutôt la vraie grosse panique à l'idée de ce qu'il se passe dans les palais abritant ceux qui sont sensés servir le bon peuple qui les a élus. Enfin, comme pour l'infantile crainte du monstre, vous allez me dire que c'est une histoire et que ce livre est un divertissement, réaliste certes, mais une œuvre de fiction. C'est là que le bât blesse. Il est effroyablement crédible et les différents épisodes, réels ceux-là, diffusés par les médias, du chemin menant aux élections présidentielles de 2017, ne sont pas là pour rassurer.

En pays conquis est un thriller machiavélique, vivant, passionnant, aux intrigues multiples et aux personnages tellement crédibles qu'ils en deviennent réels, les noms de fiction s'effacent pour laisser la place à tel ou tel politique connu ou conseiller franc-tireur. Le lecteur vit intimement ces luttes de clans, ces coups-bas quotidiens et sournois sur le rythme trépidant de l'actualité qui impose son tempo. Des morts troubles comme celle du président de la commission des comptes de campagne, un autre talon d'Achile des candidats, le fric qu'il y a mille façons de détrouner et, ensuite, d'en effacer les traces même s'il a l'odeur du pétrole ou du blanchiment. Finalement, le pognon, quelques sentiments pour une maîtresse, et la conscience professionnelle de certains fonctionnaires comme ce beau personnage d'Angélique Dumas, au centre des enjeux.

Pour faire court, un président de gauche, disons gauche élastique, oscillant plutôt du côté où elle ne devrait pas aller, une leader de la droite nommée premier ministre après des législatives catastrophiques n'ayant pas permis de faire émerger une majorité claire et un groupe d'extrême-droite populiste et fascisant, mené par une femme également, qui devient l'allié presque obligatoire pour gouverner sans se compromettre avec l'ennemi de toujours dans la course aux bons postes lucratifs, la gauche libérale. Vous voyez un peu le tableau ? C'est La mort de Sardanapale qui remplace La Liberté guidant le Peuple aux murs de la république, dans les couloirs feutrés, dans les bureaux de l'Élysée et de Matignon. Règlements de compte et grandes manœuvres pour placer ses pions aux endroits stratégiques. Pas là où ils serviront au mieux les intérêts de la nation mais là où ils préserveront les grands équilibres financiers finement réglés par l'oligarchie décrite dans Les Initiés (dont on retrouve quelques personnages). Il faut rassurer, l'Europe, les fameux marchés qui frissonnent au moindre courant d'air, les donateurs des partis, prévoir des coups d'avance pour surprendre le camp adverse. À ce jeu, Belmont est un as, un expert du coup tordu, il trahit sans honte, sans état d'âme, il poursuit son but quoi qu'il en coûte. C'est lui qui tient le roman de bout en bout.

François Belmont est le conseiller d'Hélène Cassard, un deus ex machina au réseau tentaculaire, il semble suivre les instructions, manipule en fait à sa guise. C'est la faille, la plaie profonde de cette démocratie, les élus souriant sur l'avant-scène dépendent totalement des marionnettistes sans légitimité qui s'agitent dans les coulisses, nouent des ententes sans qu'ils en soient au courant, dirigent de facto le pays.

La course aux différents pouvoirs est ouverte, une bataille de chiens enragés s'engage. Des personnages de fiction, qui ressemblent comme deux gouttes d'eau à ceux que l'on croise à longueur d'écran sur les chaînes d'info en continue, se parlent, combinent, trompent, sèment le doute. Le président, cynique et subtil joueur de go, place ses cailloux dans la chaussure de la droite, son poste avant tout, le reste, on s'en accommode, les ministres s'aperçoivent un peu tard des raisons de leur nomination, la partie est lancée, ils n'ont pas eu le scénario avant.

Si vous pensez à une mauvaise farce jouée par les électeurs, oubliez ! Toutes ces péripéties ont été voulues, théorisées et pensées loin en amont par des hommes de l'ombre, des non-élus, conseillers choisis par les politiques eux-mêmes. Et le plus brillant d'entre eux, Belmont, a depuis longtemps travaillé à semer le bordel ambiant, il s'en repaît. Celui-ci, Thomas Bronnec n'est pas allé le chercher dans les buissons, il était tout trouvé, même si toute ressemblance de ses personnages avec la réalité serait fortuite, impossible de ne pas mettre un nom connu sur ce militant d'extrême-droite traditionaliste, nostalgique de l'OAS et de Vichy, devenu conseiller de la principale figure de la droite républicaine dure, qui œuvre depuis des années à son grand-oeuvre : rassembler toutes les droites dans un grand mouvement réactionnaire qui redonnera à la France son lustre d'autrefois.

Aussi précis dans les rouages des ministères et les arrangements sulfureux que Les Initiés l'étaient dans le fonctionnement de Bercy, En pays conquis est un pavé dans la mare étale des discours politiques émollients. Ce sont les backstages qui sont présentés là, ceux dont le citoyens se doute mais auxquels il n'a pas accès, réservés VIP, et encore, les forces qui s'exercent derrière les écrans de fumée des phrases creuses ont souvent des visées bien plus lointaines que la prochaine échéance électorale qui préoccupe tant nos élus.

À lire absolument, surtout cette année !


Notice bio

Thomas Bronnec est né à Brest. Journaliste et auteur de documentaires pour la télévision, il a exploré pendant plusieurs années les arcanes du ministère des Finances. Il a vécu au Vietnam où il a rencontré de nombreux vétérans de la guerre, une expérience qu'il a mise en scène dans son roman, La fille du Hanh Hoa. Son précédent polar, Les Initiés est paru en 2015, déjà dans la Série Noire.


La musique du livre

Peu de musique, mais une référence tout de même aux nostalgiques de l'OAS avec Lo CIcero...et à James Bond !

Gun's and Roses - Live and Let Die

Lo Cicero – Un Delta


EN PAYS CONQUIS – Thomas Bronnec – éditions Gallimard – collection La Série Noire – 240 p. janvier 2017

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