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ET LA MARIÉE FERMA LA PORTE de Ronit Matalon

Chronique Livre : ET LA MARIÉE FERMA LA PORTE de Ronit Matalon sur Quatre Sans Quatre

L'auteure

Ronit Matalon est une journaliste, critique littéraire, enseignante et romancière israélienne morte en décembre 2017. Et la mariée ferma la porte est son dernier roman pour lequel elle reçoit le prix Brenner de l’Association des écrivains hébreux.

Militante politique, opposante à l’occupation israélienne et à sa politique en Cisjordanie et à Gaza, elle s’est engagée contre ce qu’elle qualifiait de « régime d’apartheid ».


Extrait

« La sonnette de l’entrée (les quelques notes de l’indicatif des annonces à l’aéroport ) retentit avec insistance. Nadia se figea (elle était dans la cuisine et tenait à la main une poêle graisseuse pleine de liquide vaisselle), aussi paniquée que si elle redoutait l’irruption des huissiers ou des forces de sécurité. Elle se secoua, s’approcha de la table, saisit le tube de rouge posé là, se le passa rapidement sur la bouche et, tandis qu’elle se dirigeait vers la porte, elle serra les lèvres et les fit glisser l’une contre l’autre pour bien étaler le maquillage. Sur le seuil, elle découvrit le père et la mère de Matti, à moitié sur leur trente et un (la mère avait les cheveux attachés en un haut chignon roux, orné de perles, qui tirait ses sourcils soignés vers les tempes, mais elle portait un sweat-shirt à fermeture éclair, fort utile pour ne pas endommager sa coiffure). Le couple s’attarda une longue minute avant d’entrer, balayant l’appartement d’un regard inquiet. Assis côte à côte sur le canapé, Ilan et la Maminou fixaient l’écran de télévision en décortiquant des pépites de potiron. Plus exactement, la Maminou les décortiquait et les posait avec précaution, une par une, dans la main tendue d’Ilan qui les mangeait.
Les parents du marié se décidèrent tout de même à passer la porte, s’installèrent à la table de la salle à manger et déposèrent à leurs pieds les nombreux sacs plastique prêts à exploser qu’ils avaient apportés et qui durent être entassés tels de sacs de sable le long des fortifications. Nadia vint s’asseoir en face d’eux, leur versa du Coca dans deux grands verres (« Vous n’en avez pas du light ? » demanda la mère de Matti), mais s’interdit de prononcer le moindre mot avant qu’ils n’entament la conversation : à cet instant précis, elle savait qu’elle ne pouvait compter ni sur la fermeté, ni sur le timbre de sa voix. S’instaura un court silence (cependant perturbé par le pétillement des bulles dans les verres et les violents coups métalliques donnés, en bas de l’immeuble, par les techniciens de la compagnie du gaz occupés à changer des bonbonnes), un silence pesant, spongieux et chargé de pensées inexprimées.
« Bon, alors ? » finit par dire Arié, le père de Matti, qui tira ses lunettes de lecture de leur étui, les essuya méticuleusement et se les planta sur le nez d’une main mal assurée. « Que fait-on ? Comment pouvons-nous avancer ? »
C’était un homme très agréable, le père de Matti (« Délicat, délicat, quel être délicat », avait décrété Nadia avec une admiration retenue le jour où elle avait fait sa connaissance), il avait facilement une tête de moins que sa femme Perline (« Perla » à l’origine, mais elle avait modifié son prénom depuis des années), un regard clair, une immense calvitie envahie par des plaques rouge violet qu’il cachait, hiver comme été, sous une casquette des Chicago Bulls vissée en permanence sur sa tête au grand dam de sa femme (« Qu’il se couvre le crâne, d’accord, mais pourquoi avec ce chapeau infantile ? Pourquoi ? Il n’aurait pas pu trouver un truc plus normal ? »), d’ailleurs, bien qu’il s’en soit à présent défait et l’ait posée sur la table, Perline ne put s’empêcher d’y jeter un regard hargneux. » (p. 32-33-34)


Pas de mariage. Pas de mariage. Pas de mariage.

Une porte fermée et c’est la journée qui s’écroule ! Margui, après avoir déclaré « pas de mariage » trois fois comme on lance une formule magique, vient de se cloîtrer dans une chambre de l’appartement familial, revêtue de sa belle robe blanche de future mariée.
Une angoisse vite passée ? Un dernier sanglot vite effacé ? Un dernier au-revoir à la vie de jeune fille ?

Qui sait. Elle refuse de parler et d’ouvrir, et ni les supplications ni les admonestations n’y font quoi que ce soit : la porte reste close.

Par-delà le mur ainsi érigé, c’est la panique totale. Matti, le futur mari – mais figure-t-il encore dans les plans de Margui ?-, la mère de Margui, Nadia, Ilan le neveu fantasque et la Maminou, grand-mère un peu larguée, bienveillante et souriante, présence indispensable comme un porte-bonheur qu’on garde avec soi en permanence.
Personne ne sait quoi faire, quoi invoquer pour faire sortir Margui de sa retraite, pour forcer la vie à redevenir normale, pour éviter la catastrophe qui s’annonce. Forcer la porte ? Matti s’y refuse. Il faut négocier si possible et sans drame.

« Qui est en voie de disparition ?
Elle avait souri, fixé les buissons noirs ou autre chose devant eux et avait répondu : « Nous. Toi et moi. »

L’angoisse fait remonter souvenirs et tensions : Matti se souvient de tous petits incidents entre Margui et lui, des dissensions, des désaccords, de sa manie de manger des crackers au lit et de sa sensibilité enfantine, à fleur de peau. Étaient-ils annonciateurs du malheur qui les frappe ? Est-ce qu’il aurait fallu se poser davantage de questions ? Se méfier et faire plus attention ? C’est vrai qu’ils sont d’extractions différentes, elle venant d’un milieu plus populaire – l’appartement de Nadia, le canapé en skaï marron, l’aspect ordinaire des meubles – et lui plus riche. Et puis cette dispute de la veille ! Mais ils s’étaient réconciliés lui semble-t-il !

Plus il se souvient et tente de la comprendre, plus il sait qu’il l’aime, justement parce qu’elle ne lui ressemble pas, et souffre de penser que peut-être, elle, ne l’aime tout simplement plus. Et si la vie à ses côtés lui paraissait soudainement impossible ? Un message est glissé sous la porte : Margui a recopié en le modifiant légèrement un poème de Léa Goldberg. Qu’a-t-elle voulu dire ?

Justement ses parents arrivent : Perline – en fait c’est Perla mais elle a décidé que ce serait Perline – et son mari Arié. Comme toujours, Perline est l’homme de la situation : agacée par la gentillesse douce et compréhensive de son mari – c’est un faible, et voilà tout, pense-t-elle, agacée qu’il soit encore en train de prendre sa tension ainsi que son air empathique – et aiguillée par les shekels peut-être perdus dans la location d’un jardin et autres dispendieuses festivités – elle décide de prendre le contrôle de la situation, face à Nadia qui cherche désespérément à protéger sa fille et à minimiser le désordre créé par son attitude, et que la question financière met mal à l’aise. Duel à fleurets mouchetés entre les mères et rapide évaluation des dégâts : il faut agir, de toute façon, et vite ! Il ne reste que très peu de temps avant de devoir tout décommander et dieu seul sait tout ce que cela va coûter…

Tout d’un coup, espoir nouveau ! On fait appel à une psy, le Dr Julia, du cabinet spécialisé dans ce genre de difficultés et qui porte le joli nom d’ « Échappées nuptiales ». Mais la mariée refusant obstinément de parler, on doit renoncer.

Puis on a l’idée d’utiliser une nacelle pour se hisser à la hauteur de la fenêtre de la chambre… Mais Margui est invisible. Tout juste montre-t-elle une feuille sur laquelle est écrit PARDON. Pardon, oui, mais de quoi et puis est-ce que ça suffit ?

Attroupement garanti dans la rue, commentaires qui vont bon train et survenue des policiers qui font remarquer que les couleurs du drapeau peint sur l’engin ne sont pas très israéliennes… avant de leur demander de passer au poste. Ilan tient à les accompagner, vêtu de l’ancien uniforme militaire de Margui qu’il a fait retoucher et fardé comme pour une fête. Ça rassure toujours, un uniforme, explique-t-il. Peut-être pas tant que ça quand c’est Ilan qui le porte, malgré toute sa candeur et sa gentillesse, d’une part parce qu’il a la main très lourde sur le fard, et d’autre part parce que le travestissement est connu pour ne pas être la tasse de thé des policiers.

Drôle de drame...

Très fine observatrice de ses personnages, des sentiments complexes et souvent contradictoires qui les agitent, des pensées parfois confuses et néanmoins douloureuses qui les assaillent et qu’ils tentent de combattre, de repousser tout en essayant de ne rien en laisser paraître, le roman oscille entre critique, satire et comique tendre tendance burlesque.

Les mariés ont choisi comme cadre à leurs photos de mariage un square dans lequel résident habituellement des immigrés soudanais (« Puisqu’on se marie, on a l’obligation de partager notre joie avec les plus démunis, les plus malheureux, tu comprends ?  Sinon ça ne sera pas vraiment une fête »), le drapeau sur le camion à la nacelle est palestinien et Margui fait de son mieux pour le cacher à la vue des passants, la question de l’argent est omniprésente et la cellule familiale est oppressante. Nadia – qui a perdu une petite fille, disparue un jour à 10 ans sur le chemin de l’école sans laisser la moindre trace - vit avec son neveu Ilan, ses parents ont divorcé, qui adore se travestir et dont la bonne humeur ne se dément jamais, adepte du franc parler, qui ne quitte pas la grand-mère quelque peu partie dans le monde tendre et léger de l’enfance, au grand sourire chaleureux et lumineux. Comme si elle avait, malgré les apparences, absolument tout compris de la situation, elle chante un air de Fairouz, dans la nuit, dont les paroles sont, ô combien précisément, en adéquation avec la détresse de Margui et de Matti…


Musique

Fairouz – Kifak Inta


ET LA MARIÉE FERMA LA PORTE - Ronit Matalon – Éditions Actes Sud - 144 p. octobre 2018
Novella traduite de l’hébreu par Laurence Sendrowicz

photo : Pixabay

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