Chronique Livre :
FERMER LES YEUX de Antoine Renand

Publié par Psycho-Pat le 15/05/2020
Quatre Sans Quatrième… de couv…
Un enquêteur à la retraite, hanté par une erreur qu’il estime avoir commise quinze ans plus tôt.
Un jeune auteur, considéré comme le plus grand spécialiste français des tueurs en série.
Une brillante avocate, dévouée à la défense d’un homme victime, selon elle, d’une effroyable injustice.
Ensemble, ils devront débusquer le plus insaisissable des prédateurs.
2005. Dans un village perché d’Ardèche, la petite Justine, sept ans, disparaît.
Rapidement, les habitants s’organisent et lancent des battues dans la nature environnante.
Les recherches se prolongent jusque tard dans la nuit mais ce n’est qu’au petit matin que le gendarme Tassi découvre quelque chose…
L’extrait
« L’adjudant Dominique Tassi avait été un homme heureux, quelques années plus tôt.
Il appréciait la compagnie des autres, savait rire, célébrer les moments importants. Être affectueux avec sa femme, lui montrer qu’il l’aimait. Il savait s’aimer lui-même.
Il croyait en sa fonction et s’y consacrait avec la dévotion et la solennité propre aux gendarmes et au corps militaire dans son ensemble. Il ne craignait pas l’avenir, ne vivait pas dans la peur...
C’était le mardi de Pâques, au matin. Dominique avait accumulé les heures de service durant la semaine précédente et enchaîné sur une garde de week-end. Il manquait cruellement de sommeil. Néanmoins il accepta volontiers, à la demande de sa femme, Manon, d’aller faire quelques courses. Leur fille, Lisa, voulut l’accompagner, tandis que Guillaume, l’aîné, préféra rester lire à la maison.
Avant de prendre sa voiture, Tassi accompagna Lisa jusqu’à une aire de jeux située près de la caserne, et la surveilla pendant une demi-heure tandis qu’elle grimpait sur un mur d’escalade et faisait de la balançoire. Ensuite ils roulèrent jusqu’à Argentré, un village perché dans les collines de l’Ardèche. Tassi y avait ses habitudes et s’entendait très bien avec les commerçants. Le père et sa fille achetèrent du pain et de la viande, puis gagnèrent un petit troquet que Dominique appréciait et qui faisait office de marchand de journaux. À leur arrivée, ils furent chaleureusement salués par le gérant et quelques habitués, accoudés au comptoir.
Il but une première bière pour se désaltérer. Enchaîna sur une deuxième, en échangeant les nouvelles, pendant que Lisa patientait sagement à une table en coloriant un magazine.
Un troisième verre, après une courte hésitation. Dominique Tassi avait toujours un peu bu, mais rarement dans l’excès ; en famille ou lors des réceptions, parfois pour vaincre sa légère timidité. Jamais pendant le service, à cette époque.
Midi approchant, il abandonna ses acolytes en prétextant que sa femme l’attendait. Après avoir salué l’assemblée, Lisa et lui quittèrent le bar et rejoignirent leur véhicule en marchant côte à côte, la main du père posée affectueusement sur l’épaule de la fillette. Il l’attacha à l’arrière, monta au volant puis boucla sa propre ceinture.
De ce qui se déroula ensuite, Tassi ne conserverait que des bribes de souvenirs. » (p. 9-10)
L’avis de Quatre Sans Quatre
2020 : Dominique Tassi ne coule pas une retraite heureuse, loin de là. Ancien adjudant-chef de gendarmerie, il a quitté ses fonctions de manière anticipée, sans doute avant d’être révoqué. Alcoolique de très haut niveau, il ne voyait guère le jour et ne conservait son poste que grâce aux protections dont il bénéficiait, celle de son collègue, Baranès, et de son capitaine, Larrivoire. Même s’il a cessé de boire, son penchant pour la bouteille est à l’origine de l’accident de voiture qui a coûté la vie à sa petite fille bien des années auparavant, une faute dont il ne s’est jamais remis, et de la cirrhose du foie menaçant de le tuer s’il rechute. Aujourd’hui, il s’est donné une dernière mission et mettra tout en œuvre afin de la mener à bien, même si cela doit être sa dernière action.
2005 : la petite Justine Morin, sept ans, est portée disparue à Presle-la-Vallée. Ses parents tiennent le bistrot du village et n’ont pas le temps de la surveiller toute la journée, elle était sortie jouer avec des amies. Les gendarmes se déplacent, dont Tassi, on fouille le village, une battue est organisée malgré le soir qui tombe, en vain. En regagnant la caserne au petit matin, l’adjudant, bien imbibé, tombe par hasard sur un marginal, Gabin Lepage, à côté du corps de l’enfant. La colère est si grande que nul ne songe à chercher plus loin, ce type n’est pas comme les autres, un étranger au village, il a déjà été impliqué dans une autre affaire de mœurs, n’ayant débouché sur aucune poursuite, mais il n’y a pas de fumée sans feu... Comme coupable idéal, et afin de calmer les foules, Gabin Lepage fera l’affaire, il sera condamné à perpétuité.
2020 : une avocate, Emma Marciano, fait rouvrir le dossier Lepage. Celui-ci comporte des failles béantes, et d’autres meurtres, au modus operandi similaire, laissent penser que le vrai coupable court toujours. Emma travaille avec Tassi qui mène les investigations de son côté sur le terrain. L’ancien gendarme finit par lever des lièvres. Des lièvres bigrement dangereux et armés... Afin de l’aider dans ses recherches, Dominique Tassi contacte Nathan Rey, un criminologue, écrivain, spécialiste des tueurs en série, puisqu’il ne fait plus guère de doute que l’assassin de la petite Justine est un multirécidiviste qui sévit depuis de nombreuses années.
Le trio ainsi constitué devra fouiner dans les dossiers de plusieurs services, qui bien évidemment ne communiquent pas entre eux, sinon ce ne serait plus du jeu, et remonter les pistes des crimes parfois anciens, alors qu’Emma se prépare à livrer combat devant le tribunal, un combat difficile contre ceux qui ne veulent pas démordre, malgré l’accumulation des preuves contraires, de la culpabilité de Lepage. Tassi et Rey vont sillonner la France, se mettre dans des situations périlleuses, risquer bien des fois leurs vies et se heurter à des murs en apparence infranchissables.
Le personnage de Nathan Rey, Antoine Renand ne s’en cache pas, est largement inspiré par Stéphane Bourgouin. Bien entendu, ce roman a été écrit bien avant les révélations sur les supercheries dont s’est rendu coupable cet auteur, néanmoins, un personnage de Fermer les yeux remet en cause de façon presque prémonitoire les assertions de Nathan sur ses rencontres avec des tueurs en série, ça c’est pour l’anecdote. Rey et Tassi traînent chacun leur passé, tragique, douloureux, ils se comprennent, malgré la différence d’âge, et se complètent, efficaces tous deux dans leur course à dénicher des éléments pour la jeune avocate. Tassi, dévoré par les remords, persuadé désormais de l’innocence de celui qu’il a contribué à faire condamner, parvient à transmettre ses nouvelles convictions au criminologue.
Pas de doute, on est bien dans un thriller, tous les codes y sont, les frissons et le suspense également, quelques clichés quasiment obligés, mais la qualité du récit, la maîtrise de l’histoire témoignée par Antoine Renand les font vite oublier. Une enquête tentaculaire, sur des faits commis pendant plus de quinze ans, en plusieurs lieux, de quoi en perdre son latin et son courage. Surtout lorsque les rares témoins susceptibles d’apporter des éclaircissements disparaissent les uns derrière les autres. Et que tout est fait par la maréchaussée, le sinistre capitaine Delalandre, chargé du dossier Laetitia Martinez, le meurtre qui a mis la puce à l’oreille de Tassi et enclenché la réouverture du dossier devant la justice, pour écarter l’ex-adjudant, y compris par la menace de garde à vue... L’idée que le tueur n’agit peut-être pas seul commence à germer...
Ce récit est mené tambour battant, sans réelle pause, si ce n’est pour narrer les passés douloureux des principaux protagonistes, et encore, ceux-ci ne sont pas de tout repos, se clôt par un final en apothéose, un twist démoniaque qui surprend le lecteur alors qu’il se croit en partie à l’abri de toute surprise. Une bonne histoire, captivante, des rebondissements à foison et des sueurs froides en pagaille, des personnages bien charpentés, Fermer les yeux a tout ce qu’il faut pour vous passionner.
Un très bon thriller, une intrigue sinueuse pleine de surprises, un ex-gendarme malade, culpabilisé par un cold case raté et une faute impardonnable, cherchant une forme de rédemption en affrontant un tueur en série particulièrement retors...
Notice bio
Après des études de cinéma, Antoine Renand a écrit et mis en scène des courts-métrages qui ont été diffusés à la télévision et primés en festivals. Il est aussi l’auteur de scénarios de longs-métrages, dont certains sont en cours de production. Son premier roman, L’Empathie, a été finaliste du prix Maison de la presse et lauréat du prix des lecteurs Gouttes de Sang d’encre.
La musique du livre
Les Rita Mitsouko - Y'a D'la Haine
FERMER LES YEUX - Antoine Renand - Éditions Robert Laffont - collection La Bête Noire - 439 p. mars 2020
photo : Picography pour Pixabay