Quatre Sans Quatre

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Chronique Livre :
FEU FOLLET de Patricia Melo

Chronique Livre : FEU FOLLET de Patricia Melo sur Quatre Sans Quatre

L'auteure

Patricia Melo est une dramaturge et romancière brésilienne qui a déjà publié plusieurs romans noirs chez Actes Sud dont Le voleur de cadavres en 2012 et Enfer en 2001.


Alors, Feu follet, d'accord, mais encore ?

«  De la pitié, jamais. La haine est tout. »

Feu follet, c'est le titre d'une pièce, tirée du roman de Drieu la Rochelle, que joue Fabbio Cassio, le très séduisant acteur qui fait craquer toutes les femmes. Un rôle qui sort de son répertoire habituel et dans lequel il ne brille pas particulièrement, sauf à la fin quand il se suicide sur scène, un moment tellement réaliste que les femmes du premier rang reçoivent un peu de sa matière cérébrale sur leurs genoux... Suicide ? Crime ?

C'est Azucena Gobbi, une flique mère de deux fillettes, déterminée et sûre d'elle, qui va mener l'enquête sur la mort du comédien. Mais sa vie privée va déraper sévèrement et elle va se retrouver une fois de trop face au machisme ordinaire, à la corruption généralisée et à une enquête tortueuse et déstabilisante.


Un extrait ?

«  - Imaginez les étoiles tout autour, dit Fabbio Cassio à la journaliste, en montrant la haute cime de la montage qui domine le paysage. Je dis toujours : c'est mon Artesonjaru personnel.
La journaliste est jeune, inexpérimentée, et elle sourit pour cacher son ignorance.
Ils sont assis dans la véranda de ma maison de Calpos do Jordao, où « l'air pur chatouille les narines », dit Olga, la mère de l'acteur, une veuve hyperactive qui vient de poser le thé et un gâteau aux amandes sur le guéridon. Tandis qu'elle les sert tous les deux, elle dit que le grand talent de son fils consiste à voir les étoiles là où elles n'existent pas
- Il est ainsi : il voit le symbole de la Paramount dans ce qui, pour nous, n'est qu'une montagne de la Mantiqueira.
Pour la jeune femme, le thé est excellent. Et le gâteau délicieux.
- Dites m'en plus sur cette qualité, glisse-t-elle à l'acteur.
- Je crois que c'est le fait d'être fils unique. J'ai grandi tout seul, répondit-il. Vous savez, j'ai toujours trouvé mon monde beaucoup plus intéressant et plus riche que le vôtre. Le monde réel. Le monde de l'IPTU. Je hais l'IPTU. Je hais les ateliers de mécanique, les magasins de bricolage, ces choses réelles, l'inflation, le Dow Jones, je me sens mal quand je dois entrer dans le monde des files d'attente. Mon monde a toujours été différent.
- Totalement différent, acquiesce Olga. » (p. 11 et 12)


Et alors ?

« Jeune, c'est mieux que vieux ; beau, c'est mieux que laid ; riche, c'est mieux que pauvre ; télévision, c'est mieux que musique ; musique, c'est mieux que cinéma ; n'importe quoi, c'est mieux que la politique, et rien ne vaut une célébrité qui vient de mourir. »

Sao Paulo, Brésil.

Fabbio Cassio, un homme beau, charmant, sans cesse préoccupé de sa personne, de son physique, de sa réputation, une vedette de feuilletons télévisés. Sa mère, Olga, veille jalousement sur lui, elle est sa première admiratrice et défend ses intérêts avec âpreté. Bien que Fabbio soit marié à une actrice brésilienne d'ascendance japonaise, Cayanne, fort belle et fort stupide, il voit souvent des prostituées car il ne réussit plus à faire l'amour à sa femme. D'ailleurs, il ne réussit plus grand chose en ce moment : il oublie son texte , il a l'air préoccupé, déconcentré. D'accord, c'est vrai, le sens profond du texte lui échappe un peu, mais qui a dit que c'était nécessaire de percevoir les enjeux d'un texte pour avoir du succès ? Il s'est même battu avec un paparazzi dans un restaurant. Et puis son chien Godzilla, un pauvre animal absolument affreux - genre créature de Frankenstein - est mort écrasé. Les critiques pleuvent sur lui, le pauvre, et ça ne lui est jamais encore arrivé.

Puis sa femme le trompe avec Claudio Verissimo, son producteur, enfin il en est persuadé.
Oui, ça fait beaucoup, mais rien ne donne le sentiment qu'il ait songé à se suicider... même de cette manière spectaculaire, pourtant assez flamboyante. Peut-être est-ce une simple erreur de l'accessoiriste ? Une mort-spectacle ? Un meurtre, un vrai, alors ? Mais pourquoi donc ? Pas simplement parce que c'est un mauvais acteur de théâtre, quand même.

« Le pire, ce fut quand elle affirma que Confucius était un philosophe français. »

Sa femme, Cayanne, est en mal de célébrité et c'est pour ça qu'elle participe à l'émission de télé-réalité La Belle et le Génie, un concept qui rappelle celui de la Tête et les Jambes, version trash : un type cultivé et intelligent est en duo avec une belle idiote. Ils doivent unir et conjuguer leurs talents, le Génie s'occupe de combler les lacunes abyssales de Cayanne quand elle essaie de lui apprendre l'art du strip-tease, par exemple... Il a fallu qu'elle lise l'Étranger et qu'il se fasse intégralement épiler ! Quand je vous dis que ça ne rigole pas cette émission. Ils ont une bonne chance de gagner, pense-t-elle, elle est à tomber et elle l'a relooké, faisant disparaître le geek pour laisser affleurer le jeune Otavio. Elle est évidemment la cible de commérages et de critiques de la part des autres couples mais est-ce important ? Seuls les téléspectateurs comptent, et ils ne manquent pas à l'appel.

Quand Fabbio meurt, les producteurs de l'émission se doutent qu'il y a encore plus de fric à se faire avec Cayanne, la veuve qui sacrifie tout pour rester dans le jeu et ne pas laisser tomber ses fans, un truc dans ce genre qui va concentrer tous les regards sur elle. Une exigence cependant, pour la morale n'est-ce pas : qu'elle soit habillée en noir, « Par respect pour le défunt », mais des mini-robes noires, c'est très joli, pas vrai ?

Elle vient d'un milieu très pauvre, d'une bourgade minable et est prête à tout plutôt que d'y retourner. Est-il possible qu'elle ait planifié la mort de Fabbio qui l'a tirée, contre toute attente, de sa fange ? Leur couple battait de l'aile, elle avait même révélé les pannes sexuelles de Fabbio en public, sa belle-mère la déteste...

«  Il a toujours existé un culte de la mort au sein de la corporation. »

La flique dépêchée sur les lieux, adjointe du chef de la police scientifique et technique est Azucena Gobbi, une belle femme mariée à Luis, mère de deux petites filles et qui s'occupe de ses vieux parents, Jandira et Damaso, dont on fête les 80 ans, précisément ! C'est un ancien commissaire, fou d'opéra, ce qui explique le choix du prénom de sa fille, tiré du Trouvère, l'opéra de Verdi. Il est fatigué et usé, le vieux lion, il a perdu de sa superbe et sa femme en profite pour le dominer, peut-être même pour le frapper comme elle a frappé ses filles. Azucena se fait du souci, et les voit tous les jours, d'autant plus qu'ils gardent volontiers leurs deux petites-filles. Elle aime parler boulot avec son père qui est bien le seul à la comprendre.

Pas facile, la famille, un lieu miné et dangereux. Elle essaie de bien faire avec ses deux fillettes, d'être présente et disponible au maximum malgré le boulot qui la bouffe. Elle a deux sœurs, l'une, Ana, est enceinte et l'autre Giulia, encore étudiante, vit avec ses parents.

Azucena jongle avec ses obligations familiales et son travail, Luis a hérité de l'abattoir de son père et y consacre beaucoup de temps aussi. La vie professionnelle de l'un comme de l'autre tourne autour de la mort et laisse peu de place à la légèreté et à la fantaisie.

Un jour, en rentrant chez elle, après son voyage avorté à Vérone avec son père, cadeau d'anniversaire, Azucena trouve Giulia dans leur lit avec Luis.

Au boulot, trop de morts inexpliquées, avec une forte odeur de corruption et de justice expéditive, de règlements de comptes entre les flics et les voyous avec qui ils fricotent.

Et puis le commissaire et ses collègues qui la mettent sur la touche parce qu'elle est femme, avec un machisme ordinaire qu'on ne questionne même pas.

Brave et vaillante, Azucena va mener toutes ses bagarres de front, la garde de ses filles et la lutte contre la corruption comme l'élucidation de la mort de Fabbio...

« Homicide, c'est mieux que suicide. »

La société brésilienne est passée au crible avec une réjouissante férocité ! D'un côté le monde des paparazzi, des vedettes de télévision qui marchent à la schnouffe et des producteurs, vénaux, incultes et terriblement superficiels, de l'autre celui de la police, corrompue, machiste et effrayante. Tout est bon pour se faire du fric, peu importe la morale, elle ne rapporte rien alors qu'un bon scandale, si.

« Quatre-vingt pour cent des homicides au Brésil ne sont pas élucidés, disait-elle. Au moment de commettre votre crime, suivez ces petites règles toutes simples : ne tuez pas des Blancs, tuez dans l'obscurité et évitez d'être pris en flagrant délit. »

La société est raciste et violente, la très grande pauvreté est la norme, favelas, gens à la rue, chiens faméliques errant à la recherche de nourriture, air pollué et irrespirable... La cellule familiale elle-même est une menace, peut-être la pire. Les mères en prennent pour leur grade également : gentiment castratrices, abusives et manipulatrices, égocentriques et perverses, elles font le malheur de leurs enfants.

Azucena va livrer bataille après bataille. Bien qu'elle soit attaquée dans tous les domaines : épouse, sœur, mère, professionnelle et femme, forte et lucide, elle fait face avec courage et détermination, quitte à aller au-devant du danger...


La musique

Outre la sélection ci-dessous, vous pourrez trouver dans ce roman : Bellini - Les Puritains, Eric Clapton, Puccini - Suor Angelica, Puccini - Sola perduta abbandonata - Manon Lescaut, Batatinha quando nasce, Maria Callas - Adriana Lecouvreur - Io Son L'Umile Ancella

Cake - Short Skirt Long Jacket

Joao Gilberto - Desafinado

Verdi - Va, pensiero - Riccardo Muti - Philarmonia Orchestra - Ambrosian Opera Chorus


FEU FOLLET - Patricia Melo – Éditions Actes Sud – collection Actes Noirs - 336 p. novembre 2017
Traduit du portugais (Brésil) par Vitalie Lemerre et Eliana Machado

photo : vue de Sao Paulo - Pixabay

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