Chronique Livre :
GABACHO de Aura Xilonen

Publié par Psycho-Pat le 19/01/2017
Photo : Pixabay
Le pitch
Liborio n’a rien à perdre et peur de rien. Enfant des rues, il a fui son Mexique natal et traversé la frontière au péril de sa vie à la poursuite du rêve américain. Narrateur de sa propre histoire, il raconte ses galères de jeune clandestin qui croise sur sa route des gens parfois bienveillants et d’autres qui veulent sa peau. Dans la ville du sud des États-Unis où il s’est réfugié, il trouve un petit boulot dans une librairie hispanique, lit tout ce qui lui tombe sous la main, fantasme sur la jolie voisine et ne craint pas la bagarre…
Récit aussi émouvant qu’hilarant, Gabacho raconte l’histoire d’un garçon qui tente de se faire une place à coups de poing et de mots.
L'extrait
« Je me tords le cou pour voir qui est en train de me toucher l'épaule. Et là, c'est un poing cuivré que je vois s'approcher de ma pommette à vitesse grand V. Même pas le temps de scaphandrier mes yeux. Je me fais éjecter du banc, halluciné, le cul au sol. Des étoiles. Puis du sang qui coule de ma bouche sur mon torse.
« Sale peau-rouge », continue ce vagapéteux, ce gros kéké. Il est raide dingue de la gisquette et la suit partout comme un clébard. « On va voir ce que tu as dans le ventre, choureur-de-culs, tafiole ! Qui t'a dit que tu pouvais défendre un cul qui n'est pas à toi, hein ? »
« Grosse bastoooon », crie la grande gueule qui rapplique avec sa meute quand il me voit étalé sur le pavé plein de mole. « On va le défoncer à coups de batte cet enfoiré. »
Je sais pas combien ils sont. Ils sont tous agglutinés, à me fusiller à coups de pied. J'ai l'impression de me faire défoncer de tous les côtés par une armée de fourmis chevelues. Je me couvre la face et rentre dans ma coquille histoire d'occuper le moins d'espace possible entre leurs pieds. J'aperçois encore les voitures rouler, et puis soudain, plus rien, plus que des coups de pied. Un, deux, trois, quatre, mille, huit mille. » (p.18)
L'avis de Quatre Sans Quatre
« Mais de quoi tu parles, l'ochidoclaste, bordel de merde ? »
Disons-le tout net, Gabacho, ça t'éclate la tête et les yeux ! Net et sans bavure. Une écriture comme la grêle qui rebondit partout un jour d'orage, qui te tombe dessus à l'improviste. Ça fait parfois mal mais c'est joli aussi. Un style teigneux comme les coups du boxeur qui veut détruire son adversaire au plus vite ou ceux, lourds et vicieux, reçus par le gamin coincé dans une ruelle par une bande de crevards voulant lui donner une leçon de savoir-vivre. Liborio, c'est un joyeux ludion qui coule et émerge, virevolte, étonne, aime, surpris par la vie qu'on ne lui a pas apprise et par les gens dont il faut s'attendre à tout. Alors il raconte son existence en inventant des mots parce que les autres ne sont pas à la hauteur ou qu'ils ne reflètent pas bien toutes les nuances de ces sensations un peu dingues qu'il perçoit depuis sa renaissance de l'autre côté de la frontière.
« Un miracle couvert de bleus et de plaies. »
Tout seul ! Sans hésitation. Il a marché, marché, rampé, crapahuté, franchi le fleuve, failli se noyer, manqué se dessécher au soleil brûlant, la peau nue offerte en sacrifice pour mieux renaître des cendres du petit Mexicain qu'il était. Il ne doit la vie sauve qu'au hasard, au bâton curieux d'un travailleur se demandant si le corps en train de cuire, allongé les bras en croix, face contre terre en pénitent désireux d'expier tous les péchés de la Terre, respirait encore un peu, vivotait malgré tout.
Dans le staccato de son verbe parfois pompeux, parfois naïf, Liborio raconte la librairie, les livres, son boss, les bastons de rue, les découvertes et, surtout, la gisquette. Cette fille, c'est une voisine de la librairie où il bosse, une qu'il a sauvée des sales pattes de kékés mal-intentionnés, Aireen, belle à en bredouiller, à en perdre même les mots qui n'existent pas encore dans sa cervelle de petit migrant paumé et crève-la-faim. Genre c'est l'amour, toujours, j'en peux plus et je te quitte jamais. Mais la gisquette a pas une vie facile ni n'est une fille du même métal. Leur histoire sera complexe et aléatoire.
« Surtout te presse pas, c'est le meilleur moyen de clamser. »
Et puis, il y a les rencontres, bonnes et mauvaises. Les aléas de la vie. Le boss, patron de la librairie qui l'emploie à son arrivée, vieux filou exploiteur mais empathique malgré tout, Double V et les autres, tout un tas de gens qui vont influer sur sa trajectoire entre deux bagarres où il excelle à prendre et recevoir les coups de poing, de pied, de tête. Il sait encaisser et rendre la monnaie, c'est une nature, Liborio, il n'a fait que ça de sa vie. Normal qu'il attire l'oeil des connaisseurs et devienne peu à peu une référence dans le milieu de la boxe amateure. Le langage gicle toujours, comme la sueur des combattants, tel le sang des arcades ouvertes, ou se calme et crépite quand Liborio travaille à nourrir de livres la bibliothèque que son amie Naomi veut créer dans le foyer pour petits migrants où le jeune homme a trouvé refuge. Naomi qui l'aime tant son Liborio, Naomi, petite fille à roulettes qui rêve d'être avocate pour défendre les enfants des rues...
« Mais ses coups passent loin, éphémères, faisant des croûtes dans le vent. »
Le foyer, c'est là qu'il s'entraîne, s'occupe des enfants, des poules, grandit dans sa tête et dans son art grâce à son courage et à l'entraîneur Truddy. Les récits s'entremêlent, le boss, les livres, les coups, les matchs, flashbacks, uppercut, cross, jab, direct du gauche, la gisquette qui glisse entre ses doigts, entre les mailles de son cœur, KO... mots, mots dits, mots crus, rafales ininterrompues et mitraillesques qui soulent, émeuvent, expliquent, dessinent et peignent sa réalité gentille dans un monde qui l'est beaucoup moins. Pas de manichéisme toutefois, la connerie est universellement répartie à dose sensiblement équivalente dans tous les peuples, les salauds le sont également. Dans Gabacho, les Mexicains ne sont ni meilleurs ni pires que les Américains blancs, c'est de l'humain véritable, pas de la ségrégation littéraire. Les personnages ont une vraie histoire, des vraies emmerdes et ils subissent de vraies trahisons avec les conséquences différentes que l'on imagine suivant leurs personnalités.
« Je continue à marcher à faux pas sur le fil de l'air... »
Gabacho, c'est un roman d'amour qui éclabousse, des lettres éparpillées à coups de pied et de poing, réarrangées par la magie des appariements inouïes d'Aura Xilomen. Des mots cicatrices, hématomesques, édulcorants, des mots qui racontent sauvagement en mordant les yeux et les tripes. Des mots d'armée mexicaine, bien des généraux et de nombreux bataillons de mots tordus qui filent droit dans des lignes tracées au cordeau pour narrer les menaces et les périls qui guettent les enfants perdus de la mondialisation sauvage.
Un premier roman qui met Ko, pas chaotique pour autant. Luxuriant, touffu, dense, drôle, tendre, furieux, tout à la fois.Passionnant et émouvant. À souligner, l'excellent travail de traduction qui, à mon avis de béotien, a dû être titanesque pour restituer la richesse de la langue utilisée. C'est Julia Chardavoine qui s'y est collée, une véritable réussite, on a l'impression de lire le manuscrit original.
Et dire qu'un dangereux imbécile veut construire un mur pour priver son pays des Liborio à venir...
merci à Dance Flore pour sa collaboration et ses idées.
Notice bio
Aura Xilonen est née au Mexique en 1995. Après une enfance marquée par la mort de son père et des mois d’exil forcé en Allemagne, elle passe beaucoup de temps chez ses grands-parents, s’imprégnant de leur langage imagé et de leurs expressions désuètes. Elle a seulement dix-neuf ans lorsqu’elle reçoit le prestigieux prix Mauricio Achar pour son premier roman, Gabacho. Aura Xilonen étudie actuellement le cinéma à la Benemérita Universidad Autónoma de Puebla mais n'est pas près de s'arrêter d'écrire.
La musique du livre
« Cette saloperie de musique, ça m'a toujours aidé à calmer les sauterelles que j'ai dans la tête. Comme si ça assoupissait mon âme à l'oblique, comme si j'avais des ondes oléagineuses qui s'imprégnaient dans le marteau, dans l'enclume, dans l'étrier, et cessait de m'appartenir. La musique, quand elle piaule, mélodique, dans les méandres de mon esprit, ça m'aide à arrêter de sauter dans tous les sens et à rester en place, somnolent, fixé à la surface de la chair. » (p. 204)
Pas de titre vraiment identifiable, malgré de nombreuses évocations d'atmosphère musicale, si ce n'est, en fin d'ouvrage, Calle 13, ici par Adentro, que Liborio et Naomi écoutent sur un smartphone.
GABACHO – Aura Xilonen – Liana Levi – 360 p. janvier 2017
Traduit de l'espagnol (Mexique) par Julia Chardavoine.