Quatre Sans Quatre

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Chronique Livre :
GOODBYE GANDHI de Mélanie Talcott

Chronique Livre : GOODBYE GANDHI de Mélanie Talcott sur Quatre Sans Quatre

photo : Enfants en Inde (Pixabay)


Le pitch

Pondichéry : L'inspecteur Vijay Ramalingam parcoure le Marché aux fleurs et découvre le corps d'une femme âgée sous une grande écharpe jaune, parée de signes de respect mais, manifestement, pas décédée de mort naturelle. Il semble bien qu'elle est morte pendue et qu'elle ne se soit pas retrouvée au bout d'une corde par sa seule volonté.

Connue sous le nom de Amma Amrita par la population pauvre de la ville, elle s'appelait en fait Monique Duchemin et était française. Quittant mari et enfants, elle s'était lancé dans l'action humanitaire en direction des enfants abandonnés et avait fondé Children From Nowhere. Ce qui intrigue beaucoup l'inspecteur et son adjoint, Prakash, c'est le respect dont a été entourée la dépouille de Amma Amrita. Ce n'est pas un crime haineux ou une quelconque agression.

Léa Paoli, franco-indienne, policière scientifique française va les aider dans leur tâche, apportant son regard à la fois extérieur et concerné sur les sordides trafics se déroulant à Pondichéry. L'enquête sera en sous-marin, les autorités ayant décidé que cette affaire devait être classée, il semblerait que la personnalité de Monique Duchemin soit bien plus trouble que sa réputation le laisse entendre et que de hauts personnages le savaient parfaitement.

Loin des cartes postales et des images idylliques d'une Inde ancestrale, ils vont se confronter à ce que la société moderne du tourisme de masse et le libéralisme économique apportent de pire. C'est une enquête perdue d'avance, des investigations pour savoir, pour découvrir et ces révélations sont terribles...


L'extrait

« Les hurlements cessèrent cédant la place à un pleurnichement continu entrecoupé de bruyants reniflements. Vijay Ramalingam n'approuvait pas les méthodes brutales de ses collègues, mais il ne pouvait en nier l'efficacité expéditive. Tous ceux qui passaient entre leurs mains, finissaient toujours par admettre qu'ils étaient coupables. Poings, matraques, insultes, menaces, tortures. Balbutié, gémi, murmuré, crié, hurlé, vomi, pissé, chié, l'aveu émergeait de sa chrysalide de mensonges que la douleur et la peur travestissaient en vérités. Pas de présomption d'innocence. De prime abord, tout le monde était coupable, de fait ou en devenir. Une moustache en valait bien une autre. La caste à laquelle le prévenu appartenait, en fixait l'interchangeabilité. En bas, on obéissait. En haut, on disposait. Parfois, la garde à vue se transformait en affaire classée par mort d'homme. Suicidés ou infarctus fulgurant. Une incinération expéditive aux frais du gouvernement suffisait à défaire le moindre soupçon et quelconque tentative de protestation de leurs proches. Quant aux autres, c'était selon l'inspiration. L'alcoolique était chassé à coups de pied et de matraque, le voleur versait sa dîme sur son butin, le vendeur de ganja était allégé d'un bon pourcentage de ses revenus présents et à venir, le violeur était remis en liberté sous une flambée d'injures graveleuses la femme ayant sans aucun doute provoqué cette exacerbation de virilité chez son assaillant. Pour l'assassin, tout dépendait de son statut, de l'importance de ses relations et bien entendu, de sa fortune. »


L'avis de Quatre Sans Quatre

C'est peu dire que nous sommes dans l'exotisme, Goodbye Gandhi entraîne son lecteur dans une dimension parallèle, un gouffre culturel, qu'il faut savoir appréhender pour savourer ce livre dans toutes ses dimensions. Les mots sont durs, certes, mais bien moins que la réalité que vivent les habitants déshérités de ce pays, les travailleurs exposés au vapeurs toxiques ou les enfants utilisés en vitrine pour les touristes friqués. La vérité crue, acide, qui brûle la bouche qui la dit ou les yeux qui la voit. L'humanitaire dévoyé qui salit ce qu'il est censé aidé et le monnétise. Mélanie Talcott nous convie à une drôle de balade, un périple dans le sordide dont on ne revient pas indemne. Il faut tout laisser de côté, notre système de valeurs, nos convictions occidentales politiquement correctes pour cheminer avec elle et comprendre les ressorts de son intrigue réellement très originale.

La définition du crime lui-même, si c'en est un. C'est un des points de l'affaire, pas le moindre et loin d'être le seul d'ailleurs. Ce roman est une fusée à deux étages : la lente agonie de l'humanitaire, le temps du retour sur sa vie, d'un état des lieux en compagnie d'une drôle de bande d'enfants qui lui explique pourquoi elle est là et les péripéties des investigations officieuses des policiers qui vont devoir ouvrir les yeux sur les coins les plus sombres de l'Inde moderne, ouverte à la mondialisation. Son prolétariat interchangeable, à faible valeur, qu'il n'est pas utile de protéger, son environnement saccagé par les multi-nationales qui ont beau jeu de venir là exploiter la main d'oeuvre sans se soucier de la pollution.

Ce polar dénonce, il crie les souffrances d'un peuple. L'Inde qui, à entendre les médias, est un des miracles de réussite du libéralisme économique, devient peu à peu une zone toxique de non-droit qui sacrifie son avenir – ses enfants – aux mirages du mode de vie occidental. Voyez donc,la démocratie à l'échelle d'un continent, du cinquième de l'humanité, miracle de croissance ! Sortez les violons, les beaux paysages, les images colorées, les ascètes magnifiques, les temples merveilleux de votre esprit. Pensez à ce qu'il faut de malheurs, de morts, de mutilés et d'enfances brisées pour qu'une infime minorité puisse accéder à notre niveau de vie. Songez que toutes les figures charismatiques ne sont pas ce qu'elles ont l'air d'être et que ce qui est dit n'est pas forcément vrai.

Tout au long du polar, le lecteur oscille entre l'histoire secrète d'Amma Amrita – rien que le nom la sanctifie déjà -, les motivations de la bande de gamins qui sont avec elle et l'enquête confidentielle de l'équipe franco-indienne. Des regards différents sur une même situation, un même désastre humain, écologique et une escroquerie planétaire. Non, l'Inde n'est pas un paradis où les touristes sont gentils et viennent visiter le Taj Mahal. Non l'Inde n'est pas le pays de la liberté sexuelle, il est même particulièrement en retard de ce point de vue. Oui, l'Inde est également une terre où se pratique couramment le gynocide, en toute impunité, comme en parle si bien également Kishwar Desai dans Témoins de la Nuit

Lent comme une agonie, Goodbye Gandhi vous donne le temps nécessaire pour vous imprégner de tous les aspects de la société des exclus et de celles des salauds qui en profitent. Les descriptions des lieux et atmosphères sont particulièrement réussies, elles nous immergent indéniablement dans l'univers du récit et facilitent grandement sa compréhension du drame qui se joue. Les personnages sont bâtis de façon à représenter les multiples facettes de la réalité, ils servent l'histoire et la rendent crédibles. Mélanie Talcott séduit par son style et le rythme qu'elle sait donner à son récit.

Un livre original, un polar décalé loin des sentiers rebattus, qui sait fouiller dans le réel nauséabond comme les très bons polars savent le faire !


Notice bio

Autres ouvrages de Mélanie Talcott, Les Microbes de Dieu (roman, 2011) Alzheimer… Même toi, on t’oubliera (roman, 2012) Chroniques de l’Ombre du regard (2011-2012) (chroniques, 2013) Ami de l’Autre rive (poésie, 2014) Tous disponibles sur le site de l’auteur. Goodbye Gandhi vient de se voir décerner le prix du Polar Auto-Édité 2016 au dernier Salon duLivre.


La musique du livre

Celle qui habitait les premiers hippies qui allèrent poser leurs tongs sur la terre indienne, Dylan, Joplin, Donovan et Mellow Yellow

Des évocations de musique tamoule sinon la célèbre chanson interprétée par Jeanne Moreau, J'ai la Mémoire qui Flanche...

GOODBYE GANDHI – Mélanie Talcott – Éditions L'Ombre du Regard – 220 p. avril 2015

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