Chronique Livre :
HAÏKU d'Éric Calatraba

Publié par Psycho-Pat le 25/05/2018
Le pitch
Un jeune flic, fou d'opéra et de moto, se retrouve associé à un vieux baroudeur qui pense avoir tout vu pour enquêter sur une série de crimes peu ordinaires orchestrés par un virtuose du sabre japonais. Comble du raffinement, l'assassin illustre ses meurtres d'Haïkus.
Si l'aventure démarre dans le cadre ensoleillé de la côte d'azur, elle entraînera Raphaël de Genève à Kyoto après une étape à Vladivostok, dans le sillage d'un maître de l'Aïkido qui ne lui est peut-être pas si étranger.
L'extrait
« Un jour, Alicia, son épouse avait fait un malaise et il l’avait emmené à l’hôpital. Elle souffrait d’insuffisance cardiaque, aucune opération n’aurait pu y remédier. Elle était rentrée à la maison en espérant une greffe qui n’était jamais arrivée. Des mois d’attente, d’impuissance.
Il connaissait depuis l’enfance les murs trop blancs, les visages compassés des professionnels débordés, l’odeur de la cantine et celle du désinfectant. Enfant, il captait parfois dans le regard de son père des reflets de colère triste. Il voyait sa mère partir pour des séjours de plus en plus longs à l’hôpital. Le lupus érythémateux disséminé ne la lâchait pas. Raphaël s’était habitué à la savoir hospitalisée et elle finissait toujours par rentrer à la maison. Pourquoi pas cette fois-là ? Pourquoi elle ? Pourquoi ? Les réponses à ces questions, il allait les chercher pendant des années. Sa mère ne verrait jamais son fils avoir vingt ans, se marier, réussir dans son travail, devenir père.
Alors, quand un matin Alicia ne se réveilla pas, il eut l’impression d’être foudroyé une deuxième fois. Il resta seul avec leur fille Lila, son soleil, sa seule raison de vivre. » (p.15)
L'avis de Quatre Sans Quatre
Raphaël, lieutenant de police, est heureux de revenir à Nice, sa ville, où il vient d'être affecté. Dingue de vitesse sur deux roues, d'opéra et d'aïkido, ses amis le surnomme Steven Seagal. Ce jeune flic vient de traverser un drame personnel terrible, il est veuf : son épouse, insuffisante cardiaque, n'ayant pu être greffée à temps, est décédée. Ce qui ne l'empêchera pas de se lancer avec détermination sur la piste d'un tueur singulier qui signe ses meurtres de haïkus sibyllins. Assassinats au katana, immolation, flèches, un adepte du bushido, le code des samouraïs, multiplie les cadavres. Le policier le piste, en compagnie de son équipier, un corse habitué au coups durs, Lucchi. Derrière ces exécutions, les enquêteurs perçoivent une logique masquée, énigmatique, sans doute en relation avec un grief qu'il nourrit à l'encontre des victimes.
Loin de se limiter à la Côte d'Azur, les investigations emmènent Raphaël à travers le monde, Genève, Milan, Moscou, Vladivostok, Kyoto, à la poursuite d'un homme qui apparaît au fur et à mesure comme un double presque parfait du jeune flic. Le yin et le yang dans un affrontement épique, nourris de douleurs semblables, de passions communes, d'une habileté comparable dans le maniement de leurs corps et des armes traditionnelles japonaises. Le combat, toujours recommencé du bien et du mal, à cette différence d'importance que le mal n'est pas gratuit et que le personnage qui l'incarne peut, à bien des égards, susciter de l'empathie. Éric Calatraba surfe sur la très fine ligne séparant les deux hommes, il s'en est fallu de peu pour qu'ils ne deviennent frères, un peu d'horreur en trop d'un côté, un soupçon d'entourage bienveillant de l'autre, et ils seront finalement adversaires.
Avant l'affrontement final, qui ne saurait manquer dans un polar de ce type, ils traverseront tous les cercles de l'enfer. En fait, Ils ont commencé à souffrir bien avant que leurs destins ne se croisent. Peut-être est-ce le chaos de leurs existences qui les a conduits à tant aimé le geste parfait ou les voix magnifiques des opéras, chantant le malheur et la mort, le désespoir et l'abandon ?
Haïku mêlent le rugissements fous des motos lancées à toute allure et le silence propice à la méditation zen, la fureur des balles, des combats et la réflexion, les mafias, russes et autres, les pires trafics de la planète dans des pays où l'être humain est avant-tout une marchandise rentable et les montées d'adrénaline à chaque bataille, course-poursuite ou rebondissement qui ne manquent pas au fil des pages jusqu'au dénouement forcément tragique.
Cette affaire, véritable jeu de piste, propose une enquête loin d'être de tout repos, elle est, de plus, vitale pour Raphaël, elle va lui permettre de se reconstruire après son deuil. Mais également d'aller au bout du sordide, dans les bas-fonds des trafics assimilant l'humain à de la marchandise. Une fois qu'il aura compris ce que celui qu'il recherche a vécu, un duel presque philosophique va s'ouvrir en lui et l'aide d'un maître zen ne se sera pas superflue.
Les comptes-tours des motos sont souvent dans le rouge et les combats ne se font pas au sabre de bois, le suspense est présent à chaque instant et va crescendo. Captivant donc, de bout en bout, émouvant et trépidant, ce roman entraîne le lecteur au plus près des personnages, sans oublier de superbes scènes d'action qui en font un grand page turner.
Un thriller inspiré, trépidant, à l'intrigue torturée, servie par des personnages solidement campés.
Notice bio
Enseignant spécialisé dans le handicap, Éric Calatraba utilise depuis longtemps les récits et la musique pour favoriser les apprentissages. A force de transmettre les histoires et de parfois les mettre en musique, il a eu l'idée d'écrire les siennes, denses, colorées, peuplées de personnages qui pourraient paraître manichéens au premier abord mais qui, à la lecture, se révèlent plus complexes et parfois très sombres. Les thèmes qu'il aborde sont ancrés dans un réel souvent glauque, les mondes et les cultures se superposent, les paysages défilent, toujours changeants. Eric Calatraba manie avec délectation le mélange des genres et si ses récits sont bien des polars, ils refusent toujours d'être enfermés dans des schémas classiques.
La musique du livre
Toute petite sélection, le roman évoque à peu près tous les grands opéras, et même du kabuki...
Fauré – Requiem – Libera Me
Puccini – Turandot
Mozart - Ruhe Sanft, Mein Holdes Leben
Puccini – La Tosca – Questo è il bacio di Tosca
HAÏKU – Éric Calatraba – Éditions du Caïman – 317 p. avril 2018
photo : Pixabay