Quatre Sans Quatre

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Chronique Livre :
HONKY TONK SAMOURAÏS de Joe R. Lansdale

Chronique Livre : HONKY TONK SAMOURAÏS de Joe R. Lansdale sur Quatre Sans Quatre

Quatre Sans... Quatrième de couv...

Hap, ancien activiste hippie et rebelle plouc autoproclamé, et Leonard, vétéran du Vietnam dur à cuire, noir, gay, républicain et addict au Dr Pepper, sont sur un banal contrat de surveillance dans l’est du Texas. Alors que la planque sans intérêt touche à sa fin, ils aperçoivent un homme qui maltraite son chien. Leonard règle l’affaire à coups de poing. Résultat : l’agresseur de chien, salement amoché, veut porter plainte.

Une semaine plus tard, une certaine Lilly Buckner débarque dans leur nouvelle agence de détectives privés pour leur faire une proposition : soit ils acceptent de retrouver sa petite-fille, soit elle livre à la police une vidéo de Leonard tabassant l’agresseur de chien. Le duo accepte de rouvrir ce vieux dossier et découvre que le concessionnaire d’occasion où travaillait Sandy cache de sombres secrets.


L'extrait

« Georges était une sorte de philosophe. Comme on pouvait s’y attendre, il lui manquait des orteils, vu qu’il s’était coupé un gros morceau du pied droit avec une hache en essayant d’écrabouiller un escargot. De son propre aveu, il était défoncé. il était persuadé à cet instant-là que l’escargot était en réalité une machine espion camouflée en escargot, équipée de caméras pour le surveiller.
Au final, c’était juste un escargot. Mais la perte de ses doigts de pied poussa George à rester clean pendant trois jours, après quoi il se remit à la meth dès qu’il put. Quelques années plus tard, dans un motel crasseux de la banlieue de Lufkin, au Texas, il posa contre sa tempe le canon d’un petit automatique dont il s’était servi la veille pour dévaliser une station-service de soixante-cinq dollars et d’un paquet de cacahouètes, puis déclara à la pute qui l’accompagnait qu’il était capable de stopper une balle rien qu’avec son crâne, ce qu’il allait lui démontrer sur-le-champs. Il prouva dans les secondes suivantes qu’il n’était en réalité pas capable de stopper une balle avec son crâne. Il se fit exploser la cervelle et redécora le mur du motel. La pute lui piqua sa meth et se fit choper quatre jours plus tard par les flics alors qu’elle essayait de vendre sa petite fille de trois ans contre une dose.
Par chance, les camés à qui elle tentait de vendre l’enfant n’étaient pas aussi azimutés qu’elle, et le dénoncèrent. Sa fille fut confiée aux services de protection de l’enfance du Texas ; quant à elle, on la boucla, et elle finit sans doute par fabriquer des plaques d’immatriculation dans un grand pénitencier en béton surveillé par une armée de gardiens. » (p. 277)


L'avis de Quatre Sans Quatre

Quand Hap Collins commence à raconter une histoire, on sait à quoi s’attendre tout en sachant également que l’on va être surpris et qu’imaginer les trucs les plus dingues ne servira à rien, ce bon vieux Hap nous prendra à contre-pied. On arrête donc toute occupation, on prend place confortablement et on attend. Il va y avoir de la bagarre, son pote Leonard se fera immanquablement traiter de nègre ou de pédé, voire les deux, par un imprudent, les calibres vont sortir de leurs rangements, deux ou trois filles superbes mais vénéneuses aussi, et surtout, surtout, on va rire. Se fendre la poire sur des dialogues de stand-up, des réparties dosées au quart de milligramme pour un effet maximal. Pas que les aventures des deux compères soient foncièrement rigolotes, elles auraient plutôt tendance à nous entraîner vers le côté sombre de l’humanité : les trafics immondes, l’avidité, le vice pur ou la dinguerie sauvage, mais Hap et Leonard sont comme ça, ils voient le monde cabossé dans lequel ils évoluent à travers une sorte de détachement teinté d’humour bien noir, celui qui fait rire jaune, allez savoir pourquoi…

Afin de se mettre en jambe, ils commencent cette aventure en dérouillant avec sérieux et application un sale type s’en prenant à son chien sous leurs nez. Mauvaise idée comme il va vite s’en rendre compte. Coups et blessures volontaires, violation de propriété et deux ou trois autres chefs d’inculpation, la routine qui aurait pu passer à l’as puisque Marvin, le boss de l’agence de détectives privés pour lequel ils travaillent à temps très partiel vient juste de reprendre son ancien poste de chef de la police. Sauf qu’une très vieille dame, Lilly Buckner a filmé la scène avec son téléphone portable et menace d’envoyer la vidéo au procureur si les deux compères ne se mettent pas en quête de sa petite-fille, Sandy, disparue sans laisser de trace depuis des années.

Brett, la compagne de Collins, est infirmière mais en a plus qu’assez de « torcher des culs », aussi accepte-t-elle la proposition de Marvin de reprendre l’agence et engage Hap et Leonard afin d’enquêter sur ce qui a bien pu arriver à Sandy. Faut dire que la gamine s’est envolé en subtilisant 50 000 dollars à sa grand-mère, cela ne fait jamais trop plaisir, celle-ci n’agit pourtant pas par rancoeur en espérant se voir rembourser, elle est certaine que sa petite-fille est morte et souhaiterait pouvoir inhumer dignement ses restes. Bienvenue à l’est du Texas, ses rednecks, sa bière, ses bikers, ses réseaux de prostitution et le plomb qui vole plus vite que des oiseaux de compétition dopés à l'EPO.

Fidèle aux traditions bien ancrées de cette série qui compte désormais neuf volumes, Joe R. Lansdale raconte les pires turpitudes et les scènes d’action les plus dangereuses avec un humour ravageur. Hap et Leonard sont des vieux enfants turbulents qui ne hiérarchisent pas ce à quoi ils sont confrontés. Ils ont beau avoir vu des charretées de cadavres depuis qu’ils jouent au détective, le sort d’un jeune chien leur importe autant que les magouilles abjectes de réseaux de trafiquants. Sans tenir compte du risque, ils vont intervenir au péril de leur vie.

Hap aime passionnément Brett, Leonard, de son côté, a quelques peines de coeur avec un John qui hésite entre Dieu, ses parents intégristes et sa liaison homosexuelle, alors il se goinfre de biscuits à la vanille et de soda Dr Pepper. À eux trois ils forment une espèce de famille solide et aimante, déjantée mais prête à tout pour défendre la veuve, l’orphelin et les vieilles dames abusées. Une famille qui va d’ailleurs s’agrandir dans cet opus, mais c’est une autre histoire...

Sandy, aux dernières nouvelles, avait un job dans une concession automobile qui faisait dans la bagnole de luxe ancienne. Activité cachant, bien évidemment, une sordide affaire ne se limitant pas à l’offre de chair fraîche aux riches clients du garage. Hap et Leonard vont flanquer un sacré coup de pied dans la fourmilière et se retrouver, comme à chacune de leurs péripéties, avec une armée d’ennemis vicieux et sans pitié à leurs trousses. Et s’il y a une chose à éviter les concernant, c’est de menacer ou mettre en danger une personne qu’ils aiment, la riposte est fulgurante et l’effet recherché par la mise en garde jamais atteint. Les deux amis ont des amis qui ont des amis… Ils peuvent compter sur Jim Bob, le détective cinglé et violent, Vanilla Ride, la tueuse aux multiples talents, tous létaux ou Le Marchand de sable, un psychopathe sadique que même eux ne supporte que difficilement.

Si vous êtes fan de la série, cet épisode est le meilleur depuis Tsunami Mexicain, si vous ne connaissez pas, c’est une excellente occasion d’entrer dans le monde de Hap et Leonard, vous vous empresserez de lire leurs précédentes aventures par la suite, je n’en doute pas. Les répliques en punch line, l’humour un brin désespéré, de l’amour à revendre, de belles bagarres, des fusillades démentielles plus quelques scènes d’anthologie comme l’attaque du camp des bikers, ça ne se refuse pas. Pine et Collins ne vivent pas du côté obscur de la force, le monde est ainsi fait qu’ils s’y heurtent sans cesse. Leur duo improbable formé d’un black gay, républicain et d’un redneck aux idées larges fait mouche à tous les coups. Le pire pouvant vous arriver en leur compagnie reste de mourir de rire. C’est devenu suffisamment rare pour prendre le risque. Ce n’est pas un roman pour les enfants de choeur, encore que maintenant, avec tout ce qu’on sait… Disons qu’il y est autant question de bite que dans une sacristie ordinaire, et qu’à part dézinguer des méchants, le sexe sous toutes ses formes est une des préoccupations principales des héros et de tous les autres protagonistes. Le vrai monde en quelque sorte.

Un polar tordant, acide, violent, tout le talent d’un des très grands auteurs du genre et le plaisir de retrouver Hap et Leonard, plus dingues que jamais…


Notice bio

Né au Texas en 1951, Joe R. Lansdale est l'auteur d'une trentaine de livres, pratiquant avec un égal bonheur le western, l'horreur et le thriller. Révélé par sa série de polars avec le duo Hap et Léonard, comprenant Les mécanos de Vénus, L'arbre à bouteilles, Bad Chili, Tsunami mexicain ou encore Diable rouge et Vanilla Ride, il a aussi signé de remarquables thrillers, parmi lesquels Les marécages, Sur la ligne noire et Du sang dans la sciure.


La musique du livre

Kasey Lansdale - Sorry Ain't Enough (oui, oui, la fille de l'auteur, promo familiale...)

Hank Williams - Lovesick Blues

Johnny Cash - I See A Darkness

Patsy Cline - Walkin' After Midnight

Loretta Lynn - You Aint Women Enough to Take my Man

John Carter Cash - Brave Young Man (oui, oui, le fils de Johnny Cash) 


HONKY TONK SAMOURAÏS – Joe R. Lansdale – Éditions Denoël – collection Sueurs Froides – 414 p. septembre 2018
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Frédéric Brument

photo : Pixabay

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