Chronique Livre :
INCARCÉRATION de Jonathan Holt
Publié par Psycho-Pat le 04/08/2015
photo : carnaval de Venise (Pixabay)
Le pitch
Des activistes du groupe ADM sont parvenus à pénétrer sur la base militaire américaine de Dal Molin proche de Venise. Ils y ont tagué des slogans et, apparemment, jeté des restes humains dans une benne. Le commandant Piola est appelé sur place pour régler rapidement cet incident, les travaux d'agrandissement du site coûtent une fortune et tout retard aggrave la facture du consortium italien chargé du chantier.
Le même soir, Mia , une ado, fille d'un commandant américain, est kidnappée. Les ravisseurs, se réclamant également d'Alzione Dal Molin, se mettent à poster régulièrement sur internet des vidéos de leur otage subissant des tortures semblables à celles que la CIA inflige à ses prisonniers à travers le monde. Ils réclament un référendum sur l'extension du camp et le départ des troupes américaines d'Italie, en attendant, ils mettront une vidéo en ligne tous les jours en graduant les torutres.
Ils passent évidemment par les réseaux sociaux et Carnivia, un site proposant une stupéfiante reconstitution de Venise et flirtant avec le darknet ou web profond. Son créateur Daniele Barbo, refusant toute collaboration avec un état inquisiteur va voir son œuvre menacée de toutes parts...
Le commandant des carabiniers Piola, la capitaine Katarina Tapo, déjà présents dans ABOMINATION se retrouvent, ainsi que le lieutenant Holly Boland, militaire américaine, officier de liaison vont devoir faire cause et enquête commune pour sauver la jeune fille et remonter la piste sur l'origine de l'énigmatique squelette.
La course contre la montre pour sauver la jeune fille et découvrir qui se cache derrière cet enlèvement va être rude dans le dédale des ruelles vénitiennes et les arcanes des complicités diplomatiques...
L'extrait
« Elle n'eut pas le temps d'en dire davantage. Des bras musclés se refermèrent sur elle. On lui arracha son masque de carnaval et on lui enfila sur la tête une sorte de sac de grosse toile. D'autres mais, des mains d'homme, la saisirent aux jambes. Ils la soulevèrent sans effort, comme si elle n'avait été qu 'un mannequin que l'on aurait changé de vitrine. Elle sentit qu'on la déposait sur le plancher d'un véhicule qui s'enfonça sous le poids de ses agresseurs tandis qu'ils la rejoignaient à l'intérieur. Ils lui attachèrent rapidement les bras et les jambes avec ce qui lui parut être des liens en plastiques. Je suis dans un van, songea-t-elle, ils m'ont embraquée dans un van. Ça doit être la police. Et puis, quelques instants plus tard, s'imposa à elle l'idée que la police n'aurait jamais procédé de la sorte.
- Papa ? demanda-t-elle timidement
Pour toute réponse, on entoura le sac en toile de ruban adhésif, étouffant le cri qui lui échappait. La terreur et la panique envahirent chaque cellule de son corps. Elle eut beau se débattre frénétiquement, comme une carpe hors de l'eau, elle était trop étroitement ligotée pour se libérer. »
L'avis de Quatre Sans Quatre
Après l'excellente découverte d'ABOMINATION l'année dernière, Jonathan Holt revient avec ce second volume de sa trilogie Carnivia. On retrouve avec plaisir les personnages et les décors toujours sublimes de la Sérénissime dans un scénario encore plus fouillé, retors, imprégné des affaires du monde et des manipulations américaines en Europe. La lecture du premier volume n'est pas indispensable à la compréhension d'Incarcération mais ce serait dommage de s'en priver.
Venise et la carnaval se prêtent parfaitement à ce jeu de miroirs où tout le monde avance masqué, où les apparences ne sont jamais à l'image de la réalité. Dissimulations, tromperies, reflets déformés, bien malin qui s'y retrouvera dans ce labyrinthe d'informations tronquées ou enfouies et la vie ne vaut pas grand chose quand la raison d'état ou la gloire de dieu est en jeu. Entre la parano des agents secrets, le mutisme militaire et le sacro-saint silence confit du Vatican, difficile de dénouer des fils embrouillés à dessein surtout quand votre hiérarchie joue sur tous les plans.
Les mêmes ombres planent toujours sur l'Histoire obscure de l'Italie. Celles qui n'aiment décidément pas la démocratie lorsqu'elle risque de ne pas voter « correctement » : la CIA qui considèrent l'Italie comme son terrain de jeu, l'Église, alliée de circonstances, les risques d'une victoire des communistes ont toujours froissé la soutane, les rapaces de la sinistre Loge P2 et, quand il le faut, la Mafia, toujours prête à filer un coup de main à ceux qui l'ont ressuscitée après guerre.
Holt joue avec dextérité et finesse de la dualité d'internet. Danger pour les libertés individuelles quand les renseignements tombent dans de mauvaises mains mais instrument de résistance également, objet de manipulations mais aussi d'informations difficilement censurable. Il n'hésite pas à faire remonter les racines de ses intrigues à la fin de la seconde guerre mondiale et à l'hystérie anti-communiste qui s'était emparée des USA et du Vatican, des coups bas, des assassinats qui s'en sont suivis et de la semi-occupation du territoire italiens par l'armée américaine qui se croit toujours en pays conquis.
Revisiter cinquante ans d'histoire européenne grâce à une excellent thriller, ça ne se refuse pas. Bien écrit, passionnant, vif, Incarcération possède tous les atouts d'un fantastique page turner avec cet indéniable avantage de faire réfléchir sur le passé et ses conséquences actuelles.
Un thriller intelligent, documenté, captivant, servi par une histoire époustouflante, une vraie grande réussite.
Notice bio
Publié dans une vingtaine de pays, Jonathan Holt a étudié la littérature anglaise à l'université d'Oxford avant d'exercer de nombreux métiers. Il vit aujourd'hui à Londres. Incarcération est le second volet, sans être à proprement parlé une suite, de sa trilogie CARNIVIA, après ABOMINATION. Un site est dédié à ces aventures.
Musique du livre
Facétieuse, le fille de Piola lui a mis un titre de Pink comme sonnerie de smartphone de son commandant de père, So What. puis Sesame Street Song, efficace, très fort, sans arrêt pour torturer des otages
Born to run, siffloter par un des kidnappeurs, une occasion d'écouter Bruce Springsteen et, enfin, Beyonce, toujours comme instrument de supplice avec End of Time.
INCARCÉRATION – Jonathan Holt – Robert Laffont – 502 p. avril 2015
Traduit de l'anglais par Dominique Haas