Chronique Livre :
INEXORABLE de Claire Favan

Publié par Psycho-Pat le 14/10/2018
Quatre Sans... Quatrième de couv...
Inexorables, les conséquences des mauvais choix d’un père.
Inexorable, le combat d’une mère pour protéger son fils.
Inexorable, le soupçon qui vous désigne comme l’éternel coupable.
Inexorable, la volonté de briser enfin l’engrenage…
Ils graissent les rouages de la société avec les larmes de nos enfants.
L'extrait
« On dirait qu'il n'a plus rien à voir avec eux. Quelque chose de précieux s'est cassé en lui et son regard s'est brutalement ouvert sur un monde qu'il n'aurait pas dû percevoir avant des années. Alors, à quoi bon courir après une balle pour l'attraper, faire un puzzle, découper des cartons et les colorier pour fabriquer des masques quand la vraie vie attend, tapie dans l'ombre, de pouvoir briser votre cœur ?
Comme il aimerait que les murs de la prison où papa est enfermé soient en papier. Il les déchiquetterait avec plaisir. Il le prendrait ensuite au creux de sa main pour le mettre en sécurité, loin d'eux...
Des murs en papiers... Papa en sécurité...
Son impuissance lui serre la gorge. La colère monte.
Kevin arrive près de lui et s'empare de la petite voiture qu'il a lâché pendant qu'il ressassait.
On lui prend son père, sa voiture ? Et puis quoi d'autre, encore ?
Milo serre son poing et tape de toutes ses forces la joue de Kevin qui se met immédiatement à pleurer. Trop facile ! Milo attrape sa main pour la mordre. Il veut lui faire ouvrir les doigts pour l'obliger à lâcher son père.
Alertée par les hurlements de douleur de Kevin, Mélanie arrive en courant. Elle tire Milo en arrière pour lui faire lâcher prise. Il se retourne et frappe au hasard. Pour tenter de l'apaiser, elle le serre contre elle, l'emprisonnant dans une étreinte qui l'étouffe.
Milo a l'impression d'être son père. Il se met à hurler et à se débattre comme papa l'a fait avec les policiers. Mélanie est surprise lorsqu'il lui met un coup de tête dans le nez. Elle est sonnée, pourtant elle tient bon jusqu'à ce que la crise de Milo ait déchargé son trop-plein d'émotions. Il retombe presque inerte dans les bras de l'animatrice. » (p. 33-34)
L'avis de Quatre Sans Quatre
2004 : Milo, quatre ans, est un charmant bambin, éveillé, joueur, sociable et répond en tous points aux attentes de sa mère, Alexandra. Il voit peu son père, Victor, ancien militaire, absent la plupart du temps du foyer familial pour de nébuleuses obligations professionnelles, celles-ci ne lui permettent de rapporter que très peu d'argent lors de ses courts séjours au domicile. La jeune femme est en quelque sorte mère célibataire et a dû mettre en sourdine ses velléités de promotion dans son travail afin de gérer l'intégralité de sa famille. Cahin-caha, la vie se déroule plutôt bien jusqu'au dernier retour de Victor que son fils adule. Dès la première nuit, les flics déboulent et, après une arrestation musclée, embarque celui-ci, accusé de braquage dans une série de bijouteries. Le gamin assiste à la scène est en est profondément traumatisé.
Au fil de l'instruction, la jeune femme prend conscience de toutes les trahisons de Victor qui ne se limitaient pas à sa vie de malfaiteur. L'enfant, lui, commence à présenter des crises de fureur à la maternelle, il frappe, mord, agresse ses camarades. Le personnel tente de faire face mais est vite dépassé par la multiplication des actes violents et les plaintes des autres parents d'élèves, inquiets, à juste titre, pour leur propre progéniture. Malgré son intelligence vive, le gamin est au ban du système scolaire, conservé dans l'école parce qu'il n'y a pas moyen de faire autrement mais sous haute surveillance, ce qui n'empêche pas de nouveaux dérapages.
Victor est condamné, les accès de rage de Milo ne s'arrangent pas, les autres élèves ne sont pas en reste pour le provoquer ou le rejeter, la vie d'Alexandra se transforme en calvaire. Plus le petit s'en prend aux autres, plus ceux-ci s'en méfient ou se moquent de lui, plus il est mis à l'écart et plus il réagit, spirale infernale parfaite. L'épouse de Victor découvre un monde parallèle dans lequel évoluait son époux, abasourdie, elle refuse de lui rendre visite en prison, ce qui va renforcer la conviction chez Milo qu'elle a abandonné son père et don c, sa rage.
Une pause dans ce marasme : lorsque Victor est libéré, son épouse accepte de reprendre la vie commune après bien des hésitations. Promesses de s'amender, reprise d'un boulot, ponctualité, Victor semble se réinvestir complètement dans sa vie de famille. Leur fils va mieux, sa mère pense que le pire est derrière eux, mais rien n'est moins sûr...
Comme Inexorable est un thriller et que Claire Favan en maîtrise les codes, elle a encore bien des surprises en réserve, et pas des bonnes. Le lecteur suit ainsi la vie de Milo jusqu'en 2018, ses échecs scolaires, sa vie ratée, son vide affectif et sa mère qui n'existe que pour lui et ira jusqu'au bout afin de tenter le protéger, de lui-même et des autres.
Inexorablement, Milo va s'enfoncer et, d'une certaine façon, adhérer du mieux possible au personnage d'être violent qui lui colle à la peau. De mauvaises surprises en effondrements, Alexandra va plonger avec lui, essayer de parer tous les coups. Elle va mentir, trahir, bluffer, et bien pire encore, pour Milo lorsque des jeunes filles sont retrouvées mortes - toutes ayant un lien avec lui - et que le flics ne vont pas chercher plus loin le coupable idéal. Mais ils ne sont que deux, l'empathie des autres a des limites, et deux contre toute la société, c'est bien peu. Loin d'être suffisant pour combattre tous les préjugés et un destin cassé dès le départ.
Claire Favan se laisse aller à une saine colère en pointant du doigt les dysfonctionnement d'un système fait pour formater des enfants, pas pour les accompagner individuellement. Elle-même touchée par le parcours du combattant des parents d'enfant atteint de n'importe quel type de trouble, de la dyslexie légère au handicap physique et tant d'autres, elle décrit parfaitement l'isolement dans lequel se retrouvent ces personnes, l'impression de se heurter à des murs hérissés de barbelés à chaque difficulté. Inséré dans l'aspect thriller du livre, le vécu transparaît, les lassitudes passées, l'incompréhension pour toute réponse à de nombreuses démarches. Ce roman n'est pas qu'inexorable, il est implacable, impitoyable, il semble que les deux innocents que sont Milo et sa mère n'auront jamais fini d'expier les fautes de Victor, que chacun de leur espoir est là pour mieux les faire trébucher au pas suivant.
Bien dans la lignée du Dompteur d'anges, ce nouveau roman reprend le thème des destins d'enfants abimés, déviés par un deus ex machina, criminel ou sociétal, une histoire prenante, émouvante, très bien écrite, au titre tout à fait justifié. Suspense à revendre, fausses pistes, pièges, ce livre contient tout ce qu'il faut pour vous faire frissonner devant la suite d'événements atteignant Alexandra et son fils, une tragédie lente, comme étouffée par un boa constrictor.
Un thriller impitoyable, un mécanisme infernal, hélas réel, qui broie les enfants, cette histoire émouvante, outre la qualité du suspense, ouvre de nombreuses questions sur la prise en charge de nos enfants...
Aparté
Il est un personnage totalement absent et qui, à mon avis, mériterait la première place : les pouvoirs publics, le décisionnaire politique qui définit justement le système dans lequel s'exerce la transmission des savoirs et attribue les moyens nécessaires au bon fonctionnement des établissements scolaires selon leurs besoins et, normalement, selon les besoins des enfants. Au moment où les députés de la majorité viennent, ce mois-ci, de voter le rejet, sans débat, d'une proposition de loi visant à améliorer le statut des personnels aidant ces enfants en difficultés au sein des établissements scolaires, il me semble que le principal responsable de l'abandon des élèves non exactement dans la norme (quelle idée absurde!) n'est pas présent. Ni dans l'intrigue ni dans la colère justifiée d'Alexandra. Les professeurs des écoles, des collèges, des lycées, les proviseurs, ne sont ni orthophonistes, ni éducateurs, ni thérapeutes, ni assistants sociaux, ils ne sont pas formés pour cela et ce n'est pas leur mission. L'augmentation de la misère sociale aidant, des Milo, il y en a parfois plus de dix par classe, pour des centaines de raisons, très dissemblables. Chaque cas réclamerait un travail d'équipe de plusieurs professionnels, du temps de réunion et des prises en charge individuelles ciblées. Comment un ou une prof, quelle que soient sa motivation et son empathie, pourrait faire face à cela, seul, voire même en équipe éducative, tout en maintenant son enseignements aux autres enfants, eux-mêmes engagés dans une compétition délétère afin de trouver une place dans une société qui exige des producteurs normés et non des citoyens pensants ? Comment reprocher aux parents des autres élèves de protéger ses propres enfants alors que le monde est impitoyable et qu'ils le savent ? Ils n'ont pas le droit à l'erreur, la preuve, le pauvre Milo paie cash les errements de son père, pas ceux de ses profs. On peut penser que tant que le système sera conçu pour formater des producteurs interchangeables, une place pour tous les enfants quelles que soient leurs différences ne sera qu'un vœu pieux... On peut rêver, toujours est-il que ce formatage est poussé à l'extrême dorénavant, il suffit de constater que l'orientation même des futures générations est soumis aux aléas d'un algorithme qui a montré ses limites. Alors, oui, dans la déréliction où sont immergés les parents, il est possible de se tromper de cible, de prendre le premier interlocuteur venu pour le seul responsable de son malheur, un des rôles de la littérature n'est-il pas de recadrer les diverses responsabilités ?
Notice bio
Née à Paris en 1976, Claire Favan travaille dans la finance et écrit sur son temps libre. Son premier thriller, Le Tueur intime, a reçu le Prix VSD du Polar 2010, le Prix Sang pour Sang Polar en 2011 et la Plume d'or 2014 catégorie nouvelle plume sur le site Plume Libre. Son second volet, Le Tueur de l'ombre, clôt ce diptyque désormais culte centré sur le tueur en série Will Edwards. Elle a également participé aux recueils de nouvelles du Collectif des auteurs du noir : Santé !, Les Aventures du concierge masqué et Irradié. Après les succès remarqués d'Apnée noire et de Miettes de sang. Vient ensuite Serre-moi fort (2016), puis Le dompteur d'anges (2017) chez Robert Laffont dans la collection La Bête Noire.
La musique du livre
Buena Vista Social Club - De Camino a La Vereda
G-Eazy & Halsey - Him & I
Grace VanderWaal – So Much More than This
Jahyanai X Bamby - Who Mad Again
Fanny Hensel-Mendelssohn – Mélodie Op. 4 – Rina Cellini
INEXORABLE - Claire Favan – Éditions Robert Laffont – collection La Bête Noire – 367 p. octobre 2018
photo : Pixabay