Quatre Sans Quatre

Chroniques Des Polars et des Notes Fiction Top 10 Recherche

Chronique Livre :
JADIS, ROMINA WAGNER de Naïri Nahapétian

Chronique Livre : JADIS, ROMINA WAGNER de Naïri Nahapétian sur Quatre Sans Quatre

photo : Pixabay


Le pitch

Romina Wagner a toujours fait l’objet de rumeurs plus ou moins farfelues. Aussi, quand elle évoque auprès de son psychanalyste une drôle d’ambiance sur son lieu de ­travail, celui-ci n’y prête que peu d’attention. « Qui ­pourrait en vouloir à cette belle femme d’origine roumaine, ­ingénieure au sein de Microreva, une entreprise de haute techno­logie ? » se dit Moïni, un Iranien qui pratique des thérapies alternatives pour la clientèle huppée du quartier de la Butte-aux-Cailles, à Paris. Jusqu’à ce que l’étrange Parviz lui dérobe le dossier de sa patiente.

Romina, bientôt accusée d’espionnage industriel pour le compte de puissances étrangères, plonge dans un cauchemar ­paranoïaque et ne peut plus faire confiance à personne, et surtout pas à son mari…

C’est Florence Nakash, de la DGSE, qui a pour mission de tirer cette affaire au clair.


L'extrait

« Jadis, Romina Wagner avait trouvé un homme mort sur le palier. C’était en novembre, elle revenait de l’école, l’esprit encombré d’échos, de cris, de rires et de formules mathématiques. Romina avait le coeur léger, une certaine Pénélope l’avait invitée chez elle le lendemain après les cours.
Aussi, une étrange confusion s’était emparée d’elle en voyant ce corps devant sa porte : n’avaient-elles pas précisément quitté la
Roumanie pour éviter de se retrouver nez à nez avec des morts ?
L’homme était allongé sur le flanc, une main sur la poitrine.
Fallait-il l’enjamber pour rentrer chez elle ou bien lui faire du bouche-à-bouche ? Beurk, avait-elle songé en observant son visage crispé par la douleur. Inutile de tenter de le ranimer, il s’agissait bel et bien d’un cadavre : la posture de ses jambes n’avait rien de naturel, de même que son teint jaune. Romina avait hésité quelques instants avant de prendre ses jambes à son cou, trouvant refuge auprès de l’épicier au coin de la rue. C’est lui qui avait appelé les secours. Puis elle avait attendu sa mère, assise sagement dans la boutique, étonnée de ne ressentir ni peur ni tristesse. Car elle connaissait le mort. Quelques jours auparavant, il plaisantait avec elle dans le salon… » (p. 9)


L'avis de Quatre Sans Quatre

Romina Wagner a toujours eu une propension à la paranoïa. Une prédisposition familiale dans la lignée venant du grand-père, réfugié en France après avoir échappé à la securitate de Nicolae Ceaușescu, le tyran roumain. Sa mère a suivi le même chemin, son père, resté en Roumanie, est mort des suites des mauvais traitements reçus dans les camps de prisonniers. Ceci explique en partie cela, mais pas uniquement. Elle est suivie pour ces idées de persécution par un analyste iranien, Moïni, un étrange personnage comptant parmi ses patients un certain Parviz, que ceux qui ont déjà lu Naïri Nahapétian connaissent bien, un agent de la CIA, officiellement, travaillant plus ou moins en free lance. L'univers à peu près tranquille de Romina bascule au début de ce polar et son esprit va vaciller de plus en plus.

Son environnement professionnel bruisse soudain des rumeur sur son compte, une partie de ses travaux est publiée par un site de lanceurs d'alerte (Highlands) sans qu'elle ait la moindre idée de la façon dont ses équations ont été dévoilées. Il faut dire que Romina est une mathématicienne de talent, chercheuse pour une entreprise de pointe, Microreva, qui travaille entre autre sur un algorithme de reconnaissance pouvant intéressé des pays désireux de contrôler sa population, comme l'Iran, et bien d'autres. Greg, son époux, s'absente sans raison, ne suivant pas, pou rune fois son agenda, et lui ment. Elle soupçonne un adultère quand elle découvre qu'il est parti avec une collègue, Jeanne Vigarelli. Un peu plus tard, celle-ci est assassinée. Romina et Greg, syndicaliste virulent, sont mis à pied par le directeur de Microreva pour suspicion de non-respect de la clause de confidentialité. Rien ne va plus pour la jeune femme qui ne comprend pas d'où viennent les coups qui frappent son couple.

Le domaine de recherche de Romina est sensible, bien évidemment dans l'orbite de la défense nationale, et c'est Florence Nakash de la DGSE qui va hériter du dossier. Pourtant ce ne sont pas réellement les enquêteurs que Naïri Nahapétian met en avant tout au long du récit, Romina et Greg vont mener leurs propres investigations... et, par là-même, s'enfoncer un peu plus dans la conspiration. Le no man's land entre le délire de persécution ressenti depuis toute jeune par Romina et les faits, bien réels, auxquels elle est confrontée, sert de terrain de jeu à l'auteure. Parviz survole cette intrigue, on sent sa présence, il traverse tel un spectre (la légende a longtemps dit qu'il était mort à Téhéran) les événements, influence, est à la fois toujours là quand il le faut et perpétuellement insaisissable. Florence Nakash a un rôle plus concret, elle intervient dans la résolution, chargée de l'enquête, elle fouine, fouille, oriente, déniche des renseignements qui vont aider à comprendre ce qu'il s'est réellement passé, mais les deux espions sont à l'évidence moins présents que dans les autres opus de la série, leurs interventions restent ponctuelles, le combat de Romina et de Greg accapare le devant de la scène. Et il s'en passe des choses !

Quelques éléments tangibles, quelques vagues rumeurs, quelques renseignements troubles, l'esprit angoissé de Romina a du grain à moudre. Le lecteur suit ses doutes, retrace avec elle les anecdotes singulières qui ont jalonné ses dernières semaines, celles qui ont perturbé son adolescence qu'elle va revisiter avec son amie de toujours, Pénélope. L'ensemble donne un scénario captivant aux intrigues mêlées, peuplé de personnages énigmatiques aux motivations mystérieuses. Vol de secrets industriels, complot contre Romina, affaires sentimentales ? Une chose est sûre, il n'y a absolument rien d'anodin lorsqu'on entre dans le monde de Parviz et de Nakash, dans le cercle très fermé des agents de renseignements et de la lutte que se livrent les états.

Grâce à une écriture toute en finesse, Naïri Nahapétian permet au lecteur de se glisser sans peine dans les arcanes de son récit. Les différentes pièces du puzzle se dévoilent peu à peu, lentement, comme à regret, mais on colle tellement au personnage de Romina que c'est sans peine que nous suivons son chemin, ses raisonnements, ses surprises, ses doutes, ses craintes et parvenons à comprendre à son rythme ce qui se trame aujourd'hui et les causes de son trouble lors de son adolescence. Ce volume est sans aucun doute le plus intimiste de la série consacrée à Parviz, et, pour moi, le plus abouti.

Jadis, Romina Wagner débute comme un conte, une manière d'il était une fois, un conte terrible et raffiné, élégant et habile qui, malgré qu'il se passe à Paris et en Normandie, n'en a pas moins de capiteux parfums d'Orient par ses subtilités.


Notice bio

Naïri Nahapétian est née en 1970 dans une famille arménienne à Téhéran, ville qu'elle a quittée en 1980 après la révolution islamique sans pouvoir y retourner durant quinze ans. Elle a ensuite fait de nombreux reportages en Iran (Politis, Charlie-Hebdo, Arabies...) avant de commencer à travailler il y a dix ans comme journaliste au sein de la rédaction d'Alternatives économiques. Elle est l'auteure de six ouvrages dont quatre polars, Qui a tué l'ayatollah Kanuni ? (Liana Levi 2009), Dernier refrain à Ispahan (Liana Levi, 2012), traduit en plusieurs langues et repris en Point-Policier et Un agent nommé Parviz (éditions de l'aube 2015), Le mage de l'hôtel Royal (éditions de l'aube 2016) auxquels vient s'ajouter Jadis, Romina Wagner.


La musique du livre

Un seul titre, et, pour une fois, pas moyen de le dégoter, c'est pas de chance. Dans le roman, c'est Éric La Blanche, Mon Ennemi, sur l'autoradio, bien en phase avec ce que vivent Romina et Greg...
On écoute, du même artiste, Je Veux te Revoir


JADIS, ROMINA WAGNER – Naïri Nahapétian – éditions de l'aube – collection L'aube Noire – 194 mai 2017

Chronique Livre : LA RÉPUBLIQUE DES FAIBLES de Gwenaël Bulteau Chronique Livre : UNE DÎNER CHEZ MIN de Qiu Xiaolong Chronique Livre : LA BÊTE EN CAGE de Nicolas Leclerc