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Chronique Livre :
JE T'AIME de Barbara Abel

Chronique Livre : JE T'AIME de Barbara Abel sur Quatre Sans Quatre

L’auteure

Barbara Abel est une auteure belge qui a été remarquée dès son premier roman, l’Instinct maternel, qui a reçu le prix du roman policier du festival de Cognac en 2002. Elle n’a cessé depuis lors d’écrire et plusieurs de ses romans ont fait l’objet d’adaptations à la télévision et au cinéma. Après Je sais pas, chroniqué ici même par mézigue, voici son dernier opus, Je t’aime.


De quoi ça parle ?

Maude, peintre en passe de devenir en vogue, se reconstruit après un divorce éprouvant dans le bonheur de vivre avec son grand amour, Simon, qu’elle a rencontré quatre ans auparavant.

Ils ont mis longtemps avant de vivre ensemble, tous les cinq, puisque Maude a deux enfants et Simon une grande fille de 18 ans.
La cohabitation se passe plutôt sereinement, même si c’est difficile pour Alice, dont la mère est morte, d’accepter la présence de Maude. Mais patience et amour opèrent petit à petit et Maude ne s’est jamais sentie aussi heureuse.

Un jour, parce qu’elle rentre chez elle plus tôt que prévu, elle découvre Alice en train de fumer un joint à la fenêtre. D’abord choquée et prête à la dénoncer à son père, Maude finit par se rendre aux supplications d’Alice, voyant là l’occasion d’apaiser par cette complicité, les tensions qui subsistent entre elles. Alice jure d’arrêter bien sûr et Maude veut y croire… mais six mois plus tard, tragiquement, elle se rend compte que la paix achetée d’un mensonge est encore plus dévastatrice que l’affrontement redouté.


Un extrait :

« En coupant la communication, Maude reste songeuse quelques instants. Simon est un vrai papa poule, plus inquiet qu’une mère, plus protecteur qu’un chien de garde. Apprendre qu’Alice n’est pas allée en cours alors qu’elle est censée y avoir passé la journée, voilà bien le genre de nouvelle qui doit le mettre dans tous ses états. D’autant qu’il nourrit pour sa fille une adoration indissociable des angoisses ordinaires afférentes à la fonction paternelle. Devenir parent modifie à jamais deux émotions : l’amour et la peur. Si le décès de Jeanne a doublé le capital affectif de Simon envers Alice, il a également multiplié les craintes d’un père désormais seul à veiller sur son enfant. Maude l’a très bien compris et n’a jamais cherché à détourner cet attachement, encore moins à l’étouffer. Elle a eu l’intelligence de ne pas se poser en rivale d’un amour qui ne la concernait pas.
En respectant ce lien indéfectible, elle a su trouver sa place dans le coeur et la vie de Simon. Et, d’une certaine manière, imposer à Alice une règle toute simple : «  Je n’interfère pas dans ta relation avec ton père, tu n’interfères pas dans la nôtre. »
Ce qu’Alice a traduit par : « Si tu ne m’emmerdes pas, je ne t’emmerderai pas. »
Maude a tenu sa promesse et n’a rien dit à Simon au sujet de « l’affaire du joint ». De son côté, celle-ci semble également avoir rempli sa part du marché, du moins Maude ne l’a-t-elle plus jamais surprise en train de s’adonner à cette pratique répréhensible. Avec le recul, elle se félicite même d’avoir pris cette décision : depuis l’incident, elles ont trouvé un terrain d’entente qui semble les satisfaire toutes les deux. Alice ne considère plus sa belle-mère comme l’ennemie à abattre, ce qui fait toute la différence. Mieux encore : il leur arrive de connaître une complicité à peine concevable un an plus tôt. L’ambiance de la maison a lentement évolué vers une cohabitation empreinte de sérénité.
Si Simon ignore tout de la véritable raison qui a rapproché sa fille et sa compagne, il s’est néanmoins réjoui de cette amélioration manifeste de leur relation, inespérée il y a quelques mois encore.
« Je savais qu’Alice finirait par t’aimer, se plaît-il à fanfaronner quand il évoque le changement d’attitude de sa fille. Mais je ne me doutais pas que tu réussirais à l’apprivoiser si vite. Tu es merveilleuse ! » » (p. 45 et 46)


Ce que j’en dis :

Maude est heureuse, elle gagne enfin un peu d’argent avec sa peinture, commence à être reconnue en tant qu’artiste. Elle partage un atelier avec deux autres peintres, elle peut enfin travailler ailleurs qu’à la maison, certes uniquement pendant que les enfants sont à l’école mais malgré tout, c’est un bonheur immense de ne plus avoir à endurer des emplois alimentaires et d’obtenir une reconnaissance professionnelle. Et puis elle est heureuse. Simon, c’est l’amour de sa vie, celui qui lui a redonné envie d’y croire, après ses déboires avec son ex mari Bertrand qui lui a pourri la vie.

Ses deux enfants, Arthur 15 ans et Suzie 11 ans, se sont bien adaptés à la vie avec Simon et Alice, ils habitent tous les cinq dans la grande demeure familiale de Maude, chacun y a trouvé son équilibre. Il n’y a qu’avec Alice que les choses ne se passent pas très bien mais Maude met ça sur le compte de son âge et du fait qu’elle a perdu sa maman. Chacun des adultes est bien décidé à y mettre du sien et la vie est, somme toute, très agréable et douce.

Il faut dire qu’elle revient de loin, Maude. Elle a divorcé d’avec Bernard qui lui en a fait voir de toutes les couleurs pendant leur mariage, elle en reste amère et le voit le moins possible. Il habite suffisamment loin pour ne pas avoir les enfants souvent, c’est aussi bien comme ça. D’ailleurs ils ne réclament pas leur père et se contentent de l’arrangement trouvé par leurs parents.

Simon, lui, est chirurgien. C’est un homme droit, consciencieux, perfectionniste et extrêmement amoureux de Maude. Il a dû compenser longtemps seul après la mort de sa femme, et il garde une relation particulière avec Alice, très proche et un peu protecteur de sa grande fille qui pourtant fait tout ce qu’elle peut pour se donner un genre hyper cool et détaché, rebelle et blasé. Piercings, maquillage panda et fringues super cool, elle joue les rebelles, fume des joints et sèche le lycée pour passer des après-midis torrides avec son mec, Bruno, un étudiant tendre et très amoureux.

Prise en flagrant délit de sèche et de fumette par sa belle-mère, elle réussit à la convaincre de ne rien dire à Simon, en échange d’une alliance qu’elle sait désirée par Maude et de la promesse de ne plus toucher à l’herbe.

Autant Maude est consciente de trahir Simon, autant elle est heureuse d’apaiser les relations entre Alice et elle. Alors, à tout prendre, elle préfère mentir que de tout dire à Simon, ce qui déclenchera une tempête, c’est évident. Elle ne se sent pas très à l’aise avec cette décision, mais ne pas dire, est-ce mentir ? Maude cherche tout ce qui peut la déculpabiliser et la tranquilliser d’autant plus que, effectivement, la vie à cinq se passe de mieux en mieux.
Et l’incident est oublié.

Et puis, bien sûr, la catastrophe surgit.
Après une après-midi passée à faire l’amour et fumer des joints avec Bruno, alternative plutôt sympa au lycée, Alice est d’abord confrontée à la mère de Bruno, Nicole, genre collet monté et pas très fun, greffière dans un tribunal et mère célibataire depuis toujours. Dire que la rencontre entre la jeune femme dévêtue et envappée et une Nicole persuadée d’avoir affaire à une traînée qui dévergonde son fils se passe mal est bien en dessous de la vérité, et Bruno, bien défoncé mais soucieux d’éviter que la dispute entre les deux furies ne s’envenime, se dépêche de ramener Alice chez elle.

Il en profite pour lui faire la déclaration d’amour qu’il retient depuis plusieurs jours mais n’obtient pas la réaction espérée car Alice vient de se rendre compte que son père est là à l’attendre et que ça va barder…

Et pour barder, ça barde, Simon est terriblement en colère et déçu du comportement de sa fille qui sèche les cours et répond à son père. Seulement voilà, il ne soupçonne même pas qu’elle consomme. Oh l’aveuglement paternel !

Mais la catastrophe, ce n’est pas ça. C’est l’accident que provoque Bruno en rentrant chez lui, au cours duquel meurt un petit garçon de sept ans qui prenait tranquillement le bus pour rentrer chez lui et la sienne, encastré sous le tableau de bord.

La police enquête et se rend compte que Bruno était stone, elle remonte jusqu’à Alice, dénoncée par une Nicole vengeresse comme pourvoyeuse de cannabis, bientôt embarquée et placée en garde à vue… Le monde de Simon s’écroule, sa fille qu’il croyait si bien connaître ! Il ne peut croire à sa culpabilité, et pourtant, si c’était vrai ? Maude se sent de plus en plus coupable de lui avoir caché l’addiction d’Alice, et d’avoir cru en sa parole. Elle hésite à lui avouer la vérité… Cet aveu sera-t-il fatal à leur amour ? Et comment vivre dans le mensonge ? Attention twist final… salto arrière et double vrille ! Vous n’êtes pas au bout de vos surprises.

Roman sur le deuil impossible mais aussi analyse de l’alchimie du couple, ce très fragile équilibre entre désirs et compromis, acceptations et renoncements, mensonge et vérité qui fait le tissu d’une relation durable. Révélateur du moi profond, la tragédie fait exploser les repères et les constructions patiemment assemblées par Maude et Simon dont la vie bascule irrémédiablement. La haine, on le sait, est bien proche de l’amour, et bien plus destructrice...


Musique :

Irene Cara - What a Feeling

a-Ha - Stay On These Roads

Depeche Mode - Never Let Me Down Again

Peter Gabriel - Big Time

Frankie Goes To Hollywood - Relax


JE T'AIME - Barbara Abel – Éditions Belfond - 460 p. avril 2018

photo : Pixabay

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