Quatre Sans Quatre

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Chronique Livre :
JE VIS JE MEURS de Philippe Hauret

Chronique Livre : JE VIS JE MEURS de Philippe Hauret sur Quatre Sans Quatre

photo : poker, un des vices de Mattis (Pixabay)


Le pitch

Serge, la soixantaine triste et solitaire, picole tranquillement en jouant aux échecs dans un troquet de son quartier. C'est là qu'il remarque Janis, la serveuse, elle brille comme un sou neuf dans les yeux délavés du sexagénaire. Elle a pourtant du malheur, un homme qui la cogne et l'avenir pas reluisant. Serge va se la jouer saint-bernard et venir en aide à la jolie barmaid, ravi qu'elle ait besoin d'un chevalier servant. Pour le meilleur et surtout pour le pire, ils vont se rapprocher plus que sérieusement...

Le lieutenant de police Franck Mattis, lui, va mal. Il déconne sévère depuis son divorce. Entre la picole, la schnouf et le poker perdant, il cumule gaillardement les raisons de mourir jeune avec beaucoup d'emmerdes avant de lâcher la rampe. Ses dettes de jeux grossissent bien plus vite que ses rentrées d'argent et ses créanciers ne sont pas de genre à s'embarrasser de procédures contradictoires.

Son rendement au boulot s'en ressent et il est dans le collimateur, son équipier Rémi doit lui sauver la mise de plus en plus souvent. Sur la piste d'un réseau de dealers, il tombe sur un certain José, petit ami frappeur de Janis et frère du ponte du trafic.

Les ingrédients de base sont réunis pour une sacrée foire à l'embrouille : flingues, cavale, came, fric, violence et états d'âme...


L'extrait

« Serge détestait que le sujet d'une conversation glisse sur lui, il n'avait rien à dire, respirer était son niveau maximum d'activité. Mais en face de Janis, il en allait autrement, il y avait chez cette fille un appétit de vivre communicatif, une candeur déconcertante... Avec elle, il se sentait comme un vieux moteur poussiéreux reprenant miraculeusement vie après un tour de manivelle/
- J'accomplis tout ce que le travail m'empêchait de faire avant, je me cultive, je me promène, je lis, je rêvasse...
Serge avait omis de préciser qu'il s'emmerdait beaucoup aussi, mais il avait jugé inopportun d'en faire état. À son âge, il pouvait bien se permettre de broder un peu : les jeunes s'imaginaient qu'avec le temps les vieux acquéraient une certaine forme de sagesse, alors qu'en réalité la plupart devenaient plutôt aigris et conservateurs.
- C'est bien d'avoir du temps.
- À condition de savoir le remplir.
D'ailleurs certains retraités étaient passés maître en la matière, se retint-il d'ajouter. Il fallait les voir créer de micro-embouteillages dans les files d'attente des commerces, à force de bavarder avec la caissière ou la boulangère, sous l'oeil exaspéré des autres clients. Car tout était prétexte à ces petites discussions informelles qu'ils s'efforçaient de faire durer le plus longtemps possible, sous peine de se retrouver trop tôt chez eux, à ne plus savoir quoi faire... Leurs journées étaient un trou sans fin qu'il fallait absolument combler, en attendant d'y loger pour de bon... »


L'avis de Quatre Sans Quatre

Les vieux, c'est tout ce qu'on veut mais quand ça aime, c'est pas à moitié ! Comme Serge, abattu d'un formidable ennui par sa cessation d'activité salariée, qui retrouve l'attrait de la vie sous le charme de Janis. Allez savoir pourquoi ? Bien sûr, elle est jolie, et puis elle a besoin de son aide, tout ça lui remonte l'ego mieux qu'une paire de bretelles.

Depuis sa retraite, à part ses parties d'échecs trop facile contre Hamid, il se traîne une misère pas possible. L'occasion fait le larron, la belle prend des gnons, Serge va lui servir de sauveur pour pas un rond. Vieille France, gentleman et tout le toutim, il abrite le poussin blessé sous son aile. Et une aile avec un calibre, ça inspire tout de suite plus le respect. Ces deux-là vont vivre une cavale atypique avec aux trousses une bande de tarés en quête de respectabilité, au rythme d'une écriture sans détours, directe mais particulièrement adaptée au sujet.

Carlos et Sammy, délinquants pur jus, plus vrais que vrais, tentent de coller à l'image idéale du caïd et de son fidèle lieutenant. Ils veulent la peau des tourtereaux insolites et ne vont pas lésiner sur les moyens, c'est ce qui est prévu par le code immanent de la pègre, celui qu'ils ont intégré du moins. Comme toutes les caricatures, ils forcent involontairement le trait et prête à rire tout en donnant le doux frissons de la trouille par une brutalité débridée.

Philippe Hauret va précipiter tout son monde dans une course-poursuite aléatoire, perturbée par Mattis, le flic à la ramasse, qui essaie lui aussi d'échapper aux conséquences de ses dérives. Les deux dealers travaillent à se donner un vernis, aimeraient paraître, donner l'illusion d'une éducation afin, le moment venu, d'entrer dans le monde des affaires, le lieutenant veut retrouver un peu d'estime de lui-même et renouer avec son fils. Chacun cherche son chat,

Le lecteur est, d'entrée de jeu, dans l'intimité des personnages. Des gens qu'on a toujours connus, qui font partie de notre paysage. L'auteur nous en parle comme d'amis communs dont il aurait eu des nouvelles, une touche d'humour grinçante de temps en temps, du comique involontaire de ceux qui veulent faire comme si mais qui n'en ont pas les moyens. Ça ne traîne pas en longueur, l'intrigue est livrée cash et traitée de même. Pas le temps de réfléchir, sauf pour Janis qui est bien la seule à se poser des questions, Serge avance, abat les obstacles, n'a plus rien à perdre, Mattis a tout à gagner à abandonner ses habitudes mortifères, Janis traverse tout le récit, compte les points et constate les dégâts.

Je Vis Je Meurs ou le bonheur de se mettre dans les embrouilles, joie paradoxale de quitter la route toute tracée pour en suivre une bien plus surprenante, le sentier caillouteux et semé d'embûches de la rédemption qui n'a jamais la forme que l'on imagine. À part Janis, les protagonistes de ce polar ne sont pas satisfaits du chemin qu'ils sont en train de prendre et prennent petit à petit la tangente. Aussi ambivalent que le sonnet de Louise Labbé dont le titre a sans doute été tiré :

« Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J'ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ai grands ennuis entremêlés de joie. »


Notice bio

Bien que né en 1963 à Chamalières, Philippe Hauret passe sa tendre enfance sur la Côte d’Azur, entre Nice et Saint-Tropez, avant de remonter progressivement, suite aux divers aléas de la vie parentale, vers les brumes d’une banlieue parisienne… Études chaotiques, errements divers, voyages et autres expédients, puis arrive une série de petits boulots – tous plus anachroniques et enrichissants les uns que les autres – à même de forger le caractère et l’expérience d’un futur auteur de polars ! Ayant depuis réussi à canaliser cette folle énergie, il travaille désormais pour la bibliothèque d’une université. Niveau hobbies, il adore la guitare – ses voisins un peu moins –, la littérature classique puis américaine, le cinéma et les séries, américaines toujours…


La musique du livre

Une belle playlist dans ce roman, de quoi se faire plaisir avec Aretha Franklin qui interprète Respect, c'est le fond musical choisi par Serge pour le première visite de Janis chez lui. La même Janis qui dansera plus tard sur We No Speak Americano de Yolenda Be Cool au cours d'une fête.

Janis repense à ce concert de Jacques Higelin auquel elle avait assisté avec son père, quand l'artiste avait attaqué Champagne au piano.

Seven Nation Army des The White Stripes est la sonnerie du smartphone de Franck Mattis.

Ring My Bell de Anita Ward identifié par Sammy au plus mauvais moment, ce qui lui vaut une sévère remontée de bretelles de Carlos, son boss.

 

JE VIS JE MEURS – Philippe Hauret – Jigal Polar – 227 p. mai 2016

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