Chronique Livre :
KABOUL EXPRESS de Cédric Bannel

Publié par Psycho-Pat le 30/03/2017
photo : Pixabay
Le pitch
Il a tout prévu, tout calculé.
Ça ne peut pas rater. Zwak, afghan, dix-sept ans et l'air d'en avoir treize, un QI de 160, et la rage au coeur depuis que son père a été une « victime collatérale » des Occidentaux. Devant son ordinateur, il a programmé un jeu d'un genre nouveau. Un jeu pour de vrai, avec la France en ligne de mire. Et là-bas, en Syrie, quelqu'un a entendu son appel...
De Kaboul au désert de la mort, des villes syriennes occupées par les fanatiques de l'État islamique à la Turquie et la Roumanie, la commissaire de la DGSI Nicole Laguna et le qomaandaan Kandar, chef de la Crim de Kaboul, traquent Zwak et ses complices.
Contre ceux qui veulent commettre l'indicible, le temps est compté.
L'extrait
« Des heures plus tard, après de nombreux changements de route, le pick-up entre dans la banlieue de Raqqa, la capitale du califat. Une ville prétendument en attente de libération par la Coalition, où les djihadistes de la secte continuent pourtant à se regrouper. Oui, certains ont fui, d'autres, plus nombreux, ont été tués par la Coalition, mais l'alliance hétéroclite de laïcs, de djihadistes pseudo-modérés, de salafistes, de terroristes d'Al-Qaïda et de nationalistes kurdes qui s'apprête à prendre la ville n'a aucune chance de perdurer. Bientôt, ces vaillants soldats qui se haïssent se feront la guerre et les islamistes de Daesh reprendront le pouvoir. La population le pressent, elle fait ce qu'il faut pour s'épargner de nouveaux tourments en évitant de prendre position. Une bénédiction pour de nombreux affidés de l'État Islamique qui grouillent sous l'apparence de normalité d'une ville qui ne sera jamais libérée qu'en surface : comme le cancer, les métastases de la secte, difficiles à éradiquer, sont là, prêtes à surgir où on ne les attend pas.
Zwak, lui, est émerveillé. Les femmes en sitar, gants noirs et masques intégral, marchent le long des trottoirs, tête baissée, les hommes sont fiers, ils ont la barbe non taillé et des kalachnikovs en bandoulière, ils portent la kamiz et le pantalon retroussé sur les cheville, le chant des muezzins résonne dans la douceur d'un début de printemps syrien plein de promesses... Il est dans le pays merveilleux de Daesh. » (p. 17/18)
L'avis de Quatre Sans Quatre
Les héros de Baad sont de retour pour une enquête tout aussi époustouflante. Le qomaandaan Kandar, en Afghanistan, et Nicole Laguna, nouvellement promue à la tête d'un service de renseignements, à Paris, vont à nouveau unir leurs efforts. Ce n'est plus un tueur en série qui les occupe dans cet opus mais un terroriste surdoué, d'autant plus dangereux qu'il maîtrise les sciences et les techniques et bénéficie de l'appui de Daesh, ravi de l'aubaine de ce recrutement de choix. L'occasion pour Cédric Bannel de passer en revue la géopolitique la plus récente : les combats autour des grandes villes d'Irak et de Syrie, la perméabilité des frontières turques et européennes, et l'exportation du bourbier afghan dans d'autres régions du globe via ses différentes composantes se retrouvant face à face sur divers théâtres d'opérations. Enjeu de l'intrigue ? Empêcher l'attentat le plus abominable jamais projeté conçu par le cerveau excpetionnel d'un gamin traumatisé !
Pour le côté purement thriller du roman, tous les services sont mobilisés dans la traque des cellules internationales de l'état islamique, avec des alliances de circonstances parfois surprenantes, et mènent une course-poursuite hallucinante à travers la Turquie, la Bulgarie, et les autres pays d'Europe à la recherche de camions d'une dangerosité extrême. Espoirs déçus, fausses pistes, pièges, le lot habituel pour les enquêteurs, me direz-vous, sauf qu'ils se heurtent ici à une intelligence supérieure doublée d'une résolution absolue, aidée par une organisation tentaculaire aux moyens financiers puissants. Même si les revers militaires s'accumulent, Daesh détient toujours une partie des territoires irakien et syrien ainsi que de solides complicités en Turquie et partout ailleurs, ses militants ayant essaimé depuis longtemps. Des prosélytes travaillent activement jusqu'en Afghanistan, organisant l'acheminement de combattants expérimentés vers le front syrien, c'est cette route qui donne son titre au livre et justifie l'intervention de Kandar dans l'affaire.
Trois points de vue, L'Afghanistan dans toutes ses dimensions, ses dissensions et ses contradictions, ses peuples réduits à la misère ou au trafic d'opium et d'héroïne pour survivre, Paris qui s'attend à un attentat énorme, passe au crible les réseaux identifiés, tente de remonter les pistes fournies par Kandar, et Zwak, le jeune Baloutche de génie poursuivant sa propre croisade au milieu de fous sanguinaires et d'une population totalement désemparée et terrorisée.
Kaboul et le reste du pays, les tirs, tous les soirs, les attentats, tous les jours, les Talibans qui gagnent du terrain grâce à la traditionnelle offensive de printemps, les politiciens corrompus emplissant leurs poches déjà rebondies avant qu'il ne soit trop tard, les cohortes d'infirmes, ceux qui ont fait le combat de trop ou qui ont emmené paître leur troupeau famélique dans un champs de mines laissé là par un camp ou l'autre. Les diverses ethnies se côtoient sans qu'un quelconque sentiment national subsiste, l'Afghanistan est mort d'avoir trop souffert, il n'est plus qu'un champ de ruines fumantes pour lesquelles on s'entretue puisque pousse le pavot, que se vendent les armes et que les idées les plus barbares y prospèrent dans le fumier de la décomposition d'une société.
Paris. La fine fleur des services secrets français traquent les réseaux, tentent d'anticiper les lieux possibles d'attentat. Les interrogatoires ressemblant à s'y méprendre à de la torture se succèdent, la peur monte, les pressions politiques se multiplient. Entre sérieux des analyses des services de sécurité et enjeux des soldes ou des visites de touristes dans la capitale défendus par les édiles, la lutte est rude. On ne peut pas paralyser le pays pour une menace. Il y en a tous les jours, des menaces, des attentats sont déjoués continuellement, la vie doit continuer.
Zwak, lui, va découvrir Raqqa et les autres bastions de Daesh. Il rencontre la peur animale de mourir, les viols, la cruauté et un état entièrement tourné vers la répression et l'anéantissement. Peu lui importe, il a un plan, il a sa vengeance à accomplir, rien ne peut l'arrêter. Loin du monde qui l'entoure, bien cadenassé dans sa tête, la réalité va toutefois s'imposer à lui dans toute son horreur sans pour autant amoindrir sa détermination. Il va en perdre tout de même pas mal d'illusions sur ceux qui se définissent comme « purs ».
Dans une histoire où s'entremêlent les trois récits, la fiction et l'actu la plus récente, Cédric Bannel nous apporte bien des éléments de compréhension sur tous les terrains où se déroule ce roman. Kandar, fidèle à lui-même, fier et courageux, parcourt le pays pour traquer les filières de passage au Sham (Syrie). Il a peur pour Malalai, son épouse, gynécologue féministe, en but aux représailles quotidiennes des barbus. Le flic afghan et la commissaire française sont obligés d'additionner leurs talents et de prendre tous les risques afin de déjouer le plan machiavélique de très haute technologie mis au point par le jeune génie.
Une excellente lecture pour un peu mieux comprendre les drames de ces pays où la population ne se demandent plus si elle va mourir mais par qui elle va être assassinée, entre les bombes de la Coalition, les djihadistes, l'armée syrienne ou les multiples combattants étrangers présents dans chaque camps, et une intrigue au suspense intenable.
Notice bio
Il existe un autre Afghanistan que celui décrit par les médias et Cédric Bannel, écrivain aux multiples vies né en 1966, le pratique depuis des années, des banlieues poussiéreuses de Kaboul aux montagnes impénétrables du Badakhchan. Aux éditions Robert Laffont, Cédric Bannel a publié Le Huitième Fléau (1999), La Menace Mercure (2000), Élixir (2004) et L'Homme de Kaboul (2011), puis, en 2016, Baad dans la nouvelle collection La Bête Noire. Ses romans sont traduits dans de nombreux pays.
La musique du livre
le qomaandaan Kandar a la surprise d'entendre du rock iranien alors qu'il se trouve en territoire baloutche, dans le désert de la Mort, un des pires endroits du monde.
Zwak, lui, écoute du Miles Davis malgré l'interdit religieux touchant la musique, il a bien raison, à mon avis...
Iranian Rock Band – Karma
Master Of Persia - Mazda Huu
Miles Davis - Burn