Chronique Livre :
L'AFFAIRE ISOBEL VINE de Tony Cavanaugh

Publié par Psycho-Pat le 02/05/2017
photo : Melbourne (Pixabay)
Le pitch
Pour n’importe quel passant, les rues, les places, les jardins de Melbourne possèdent un charme certain. Pour Darian Richards, chacun de ces lieux évoque une planque, un trafic de drogue, un drame, un suicide, un meurtre. Lassé de voir son existence ainsi définie par le crime, et uniquement par le crime, il a décidé, après seize ans à la tête de la brigade des homicides, de passer à autre chose. Une vie solitaire, plus contemplative.
Il accepte néanmoins de sortir de sa retraite par amitié pour le chef de la police qui lui demande de disculper son futur successeur, en proie à des rumeurs relatives à une ancienne affaire : en 1990, après une fête donnée chez elle, on a retrouvé le corps sans vie de la jeune Isobel Vine. Suicide, accident, meurtre ? L’enquête fut d’autant plus délicate que quatre jeunes flics participaient à cette soirée. Elle fut classée sans suite, mais le doute persiste sur ce qui s’est réellement passé.
Reprendre des investigations vingt-cinq ans après les faits n’est jamais une partie de plaisir, surtout quand l’affaire concerne de près la police. Les obstacles ne manquent pas. C’est sans compter sur le caractère obstiné, rebelle et indiscipliné de Darian Richards et sur sa fâcheuse habitude à porter davantage d’attention et de respect aux morts qu’aux vivants. L’enquête rythmée de nombreux rebondissements va peu à peu l’amener aux frontières du bien et du mal, de la vérité et du mensonge, et Richards y perdra peut-être ses dernières illusions.
L'extrait
« Pendant quatre ans, depuis que j'avais quitté le QG de la police à Melbourne, j'étais resté près de la rivière Noosa, tentant avec un certain succès de mener une vie saine et tranquille. Regardant la rivière, lisant dans le hamac, nourrissant mes pélicans, cuisinant et écoutant le fracas de l'océan et les remous de la rivière, le chant des oiseaux et les cris enjoués des touristes, autant d'activités qui étaient devenues les nouveaux piliers de mon existence. Melbourne, que j'avais fuie et où je n'étais retourné qu'une fois, brièvement, tandis que je traquais le Tueur du Train, était, pour moi, une ville définie par le meurtre. Vous savez, quand vous entendez une chanson et qu'elle vous rappelle un premier baiser ou peut-être une rupture, ou quand vous sentez un parfum et revivez un moment du passé, quand ces perceptions sensorielles laissent place à des souvenirs lointains, joyeux ou non... Le plan en damier de la ville, les banlieues, les rues, les plages et les parcs avaient tous pour moi une histoire et une culture de violence et de sang. De cadavres éparpillés à travers le paysage. Une ville de meurtres. C'était ça, Melbourne. Et c'était là que Copeland voulait que je retourne. » (p. 21-22)
L'avis de Quatre Sans Quatre
Un cold case, un vrai. Du vingt-cinq ans d'âge ! Avec pas n'importe quel suspect de base : le probable futur chef de la police, Nick Racine. Lui et ses trois copains de promo, tous flics émérites, se sont trouvés au mauvais endroit au mauvais moment, dans le meilleur des scénarios, l'appartement d'une jeune fille, Isobel Vine, retrouvée pendue derrière la porte de sa chambre, dans le pire des scénarios, ils sont responsables. Asphyxie autoérotique ? Assassinat ? L'enquête a été bâclée à l'époque et n'a pas su faire cesser les rumeurs, ni décourager le père de la victime protestant tous les ans à la date anniversaire devant le siège de la criminelle de Melbourne. Nick Racine doit être nommé prochainement, il est temps de faire toute la lumière.
Une ville aux multiples climats, pouvant passer du chaud au froid en quelques minutes, comme les certitudes de Darian Richards et son adjointe Maria Chastain. Une bourrasque de vent polaire chasse la tiédeur d'un soir, un crachin glacial remplace le joli soleil en quelques secondes, c'est Melbourne, et l'atmosphère de l'enquête sera identique. Aussitôt un assassin supposé émerge qu'un autre, tout aussi légitime, se présente au portillon. Le crime est si ancien que les témoignages sont fragiles, entachés de doutes, la mémoire recréé souvent le passé, Darian le sait et la solidarité entre flics n'aide pas.
Cette importante affaire – il s'agit tout de même de donner les clefs de la police à un possible assassin -, c'est Copeland, le chef incontestable de la police, l'âge de la retraite largement dépassé, qui l'a voulue. Il a pour cela été chercher Richards qui avait abandonné son insigne après son échec à appréhender le Tueur du Train et vivait en reclus près d'une rivière, c'est le seul qui ira jusqu'au bout, quels que soient les résultats. Il méprise tellement les egos surdimensionnés qu'on peut lui faire confiance pour ne ménager personne. Il constitue son équipe en prenant Maria, une jeune flique mise au placard dans la police routière depuis qu'elle a collaboré avec lui, et un geek, Isosceles, capable de dénicher n'importe quel citoyen du moment qu'il ait laissé une trace sur le web.
Les meurtriers potentiels ne manquent pas, outre les quatre jeunes policiers de l'époque, il y a le petit ami de la victime, son prof amant, un importateur de cocaïne, Dominic Stone, qui avait poussé Isobel à en ramener quelques grammes d'un voyage en Bolivie, mais la belle avait été arrêtée à l'aéroport et était harcelée par les Stups pour qu'elle donne son contact, sans compter que l'option accident lors d'un jeu érotique ou suicide pur et simple n'est pas du tout écartée. Bref, il y a presque la queue à l'entrée des suspects et thèses et les deux enquêteurs vont devoir jouer sans cesse avec la ligne jaune de la procédure afin de démêler le vrai du faux, les apparences fabriquées des faits avérés.
Ça sent le Harry Bosch à plein nez, parfois même le Harry Hole, ces chiens fous furieux dès qu'il se présente une piste, ceux pour qui la victime compte toujours plus que la politique, s'asseyant gaillardement sur la hiérarchie pour peu qu'elle les freine et n'économisant pas leurs coups ou les prises de risques devant un coupable aussi haut placé fut-il. Le vieux flic dur au cuir tanné qui en a vu plus que sa part et ne s'en laisserra pas conter par des illusions, aussi séduisantes soient-elles. Tout le roman est imprégné des arcanes du fonctionnement de la police, des routines d'enquête, des procédures, des pas de côtés quand celle-ci est inhumaine. Particulièrement bien écrit, et remarquablement traduit pas Fabrice Pointeau, L'affaire Isobel Vine propulse directement Tony Cavanaught dans le cercle fermé des très grands du roman policier, de ceux dont on attend le prochain avec impatience. Un anti-héros misanthrope et acharné, toujours au bord de la violence, une assistante aussi teigneuse que lui, compagne d'un ex biker n'hésitant pas à venir prêter main forte en cas de menace et un demi-dingue ne levant jamais les yeux de son clavier, les trois évoluant au milieu des sables mouvants de la trahison et du mensonge. Les récits des investigations de Darian et Maria se mêlent aux flashback de cette terrible soirée où Isobel est décédée ou aux relations des principaux personnages vingt-cinq ans plus tôt. Le seul fil rouge, l'obesession des justiciers, la victime et ce qui a bien pu se passer pour en arriver à cette tragédie.
Deux décennies et demi plus tard, les pièces à conviction ont disparues, Isosceles s'arrache les cheveux devant cette période antédiluvienne de la civilisation humaine où les échanges se faisaient sur des feuilles de papier et où les gens n'étalaient pas leur vie sur les réseaux sociaux. Darian et Maria ne sont pas dupes et savent qu'on leur sert une soupe qui largement eu le temps d'être mijotée entre tous ces gens qui se côtoient depuis si longtemps, tantôt fins et rusés, tantôt bulldozers, ils traceront leur chemin à travers cette forêt de fausses apparences jusqu'à un dénouement assez inattendu. Pas de morale à deux balles ou de pathos gnangnan, seule la victime compte, la meute de Darian ira au bout, peu importe la taille du gibier et les pièges posés en travers du chemin. Et c'est ce chemin qui est passionnant, intriguant, dans cette ville si particulière qu'elle en devient un personnage à part entière du roman. L'atmosphère y est changeante comme les déclarations des protagonistes, surprenantes comme les découvertes que font les enquêteurs, secrète comme la soirée au cours de laquelle est morte Isobel Vine.
Cette jeune fille était belle et brillante, elle avait tout pour elle, ce petit accroc de tentative de passage de frontière avec quelques grammes de cocaïne mis à part, rien ne la prédestinait à finir abominablement pendue derrière une porte, rien sauf le destin cruel et Darian est justement un des seuls capables de remonter le temps pour mettre un nom sur l'exécuteur de ce destin.
Sans hésiter, un très grand polar, à découvrir maintenant, Cavanaugh, vous y viendrez tôt ou tard.
Notice bio
Tony Cavanaugh est romancier et scénariste. Il a plus de trente ans d'expérience dans l'industrie du cinéma. Il vit à Melbourne. L’Affaire Isobel Vine est le premier de ses romans policiers publié en France.
La musique du livre
En plus des morceaux ci-dessous, vous trouverez des références à Leonard Cohen, Les Négresses Vertes, Frank Zappa (Hot Rats), The Who (Quadrophenia), Bob Dylan (Oh Mercy)... pas mal de musique donc pour une belle playlist !
Hunters and Collectors – Holy Grail
Machine Gun Fellatio - Girl Of My Dreams
Ben Harper – Welcome To The Cruel World
Bruce Springsteen – Born To Run
Peter, Paul and Mary – Too Much Of Nothing
Roy Orbison – Only The Lonely
L'AFFAIRE ISOBEL VINE – Tony Cavanaugh – Sonatine Éditions – 412 p. avril 2017
Traduit de l'anglais (Australie) par Fabrice Pointeau