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Chronique Livre :
L'AFFAIRE MIRAGE LIFE de Pascal Framont

Chronique Livre : L'AFFAIRE MIRAGE LIFE de Pascal Framont sur Quatre Sans Quatre

Le pitch

La vie de Luisa Portero bascule un soir quand son mari est assassiné sous ses yeux.

Brillante conseillère au ministère de l'Économie du Montelagos, elle ne croit pas à un crime crapuleux et soupçonne la Police politique de vouloir étouffer l'affaire. Ses recherches vont l'amener à enquêter sur sa famille comme sur les arcanes du régime pour lequel elle a dévoué sa carrière.

Elle va ainsi remettre en question toutes ses certitudes, à commencer par la devise nationale : la fin justifie les moyens.


L'extrait

« Le lendemain matin, lorsque Luisa ouvrit la porte de la maison, il était huit heures. Elle était dans les temps. David grommelait et Mélissa traînait les pieds. Elle se dirigea ensuite vers sa voiture qu’elle déverrouilla à distance. Au moment où les enfants grimpaient l’intérieur, elle balaya la rue d’un regard circulaire. Le monospace beige était là. Un frisson lui parcourut tout le corps. Était-elle surveillée ? Par qui ? En ce cas, pourquoi utiliser un véhicule si peu discret ? Elle se mit rapidement au volant, démarra et scruta immédiatement son rétroviseur. Le monospace ne la suivait pas. Elle expira profondément et tenta de se concentrer sur la route.
Après avoir déposer les enfants à l’école, Luisa se dirigea vers les bureaux de la Police politique de son quartier. Son estomac ne s’était pas dénoué depuis la veille. Le ciel gris qui avait recouvert Solmar comme une chape de plomb et l’atmosphère à la fois humide et lourde l’oppressaient. Elle avait toujours considéré la Police politique comme un outil indispensable au régime, châtiant ceux qui entravaient son action. Mais aujourd’hui qu’elle était convoquée, elle ne pouvait évacuer de son esprit cette rengaine qui circulait secrètement dans toutes les têtes depuis vingt-cinq ans : « Même si tu penses n’avoir aucun tort, la Police politique se chargera de t’en trouver. » » (p. 35)


L'avis de Quatre Sans Quatre

Solmar, capitale du Montelagos : Gustavo Portero est un employé modèle, un cadre de l’entreprise Mirage Life, une société qui a inventé le concept de ville thématique, des cités où vous vivez vos passions à longueur de temps. Échecs, mathématiques, musique, littérature… Une priorité nationale ainsi que l’a définie le président Damiano qui a fort besoin des devises que rapportent les touristes attirés dans ce pays dictatorial par cette curiosité. Le pays est au ban des nations mais cette entreprise est en train, petit à petit, de faire revenir les voyageurs curieux. Pourtant, des tracasseries administratives innombrables compliquent son essor et suscitent des doutes au sein de la direction. Il a deux enfants et une épouse à la carrière exceptionnelle. Un soir ordinaire, des hommes cagoulés entrent à son domicile, assomment sa femme, réclament son argent et les bijoux avant de le tuer.

« Tout l'art de Damiano a été de donner une respectabilité à son régime, de se faire passer pour un despote éclairé et de rouler dans la farine même ceux qui la fabrique. »

Haute fonctionnaire, conseillère du puissant ministre de l'Économie du régime damianiste, fille de commandant de la Police politique, Luisa Portero ne s’est jamais trop posée de questions. Tant que les foudres de la répression s’abattaient sur la racaille incapable de voir les bienfaits du système, les névrosés, les fainéants, les riens, elle ne rechignait pas même à user de son poste pour protéger les entreprises nationales des scandales, peu lui importait le sort des avocats ou lanceurs d’alerte qu’elle désignait aux énigmatiques fonctionnaires chargés d’éliminer toute contestation. La faute suprême au Montelagos, c'est de porter atteinte au Contrat de Solidarité nationale, un enfumage pour dissimuler toute remise en cause du bien-fondé des prérogatives de la clique au pouvoir. Pas de tribunal ou de jugement, une seule peine ou presque : la mort à plus ou moins brève échéance.

Là, par contre, c’est le mari de Luisa qui est assassiné et l’enquête bâclée de la police judiciaire lui fait soupçonner une machination bien plus complexe que le simple cambriolage qui aurait mal tourné, conclusion du flic peu empressé chargé de l’affaire.

« Je lutte contre l'hystérie matérialiste dans laquelle le régime a jeté le pays. Encore quelques années et le Montelagos ne sera plus qu'un rassemblement de marionnettes décérébrées et incapables de réfléchir plus loin que l'épaisseur de leur portefeuille. »

Que je vous explique depuis le début, sinon on se perd vite dans cette histoire incroyable. Les habitants du Montelagos ont fait, vingt-cinq ans auparavant, le choix pour le moins curieux d’abandonner toute liberté individuelle, toute démocratie, et de laisser Damiano, son président, gouverner le pays comme on gère une entreprise. Un système un peu fou, deux ou trois poids lourds politiques, le reste de la cour composé de seconds, voire troisième couteaux sans valeur, remplaçables à tout moment et une Police politique omniprésente et toute puissante. Le niveau de vie de la population a effectivement augmenté, la stabilité du régime paie, mais l’absence d’opposition ne permet aucun contrôle de la manne financière générée par le boom économique. Les geôles regorgent de détenus politiques, sans procès ni défenseur, la résistance tente vaille que vaille de blesser le régime mais elle est rongée par un manque chronique de vision politique et divisée en multiples factions, parfois antagonistes, quand elle n’est pas infiltrée purement et simplement par le régime et ses barbouzes.

« Au début, il ne s'agissait que de contrôler la Police politique. À sa création, elle était truffée de cadres de l'ancien régime qui avaient préféré sauter dans le train du damianisme plutôt que de se faire écraser par lui. Damiano a été obligé de faire appel à eux, car les partisans qui l'avaient amené au pouvoir étaient, pour la plupart, sans éducation. »

L’enquête est vite réglée : cambriolage. Mais la Police politique semble s’intéresser de près à des prétendues mémoires que Gustavo aurait rédigées dont elle n’a jamais entendu parler. Que d'autres morts de cadres de Mirage Life suivent ou ont précédé celle de Gustavo n'y change rien, les flics conseillent fortement à Luisa de laisser tomber. Cette biographie semble dangereuse pour les institutions puisqu’elles attirent de biens douteux personnages qui ne vont pas manquer de signaler à l'attention de la veuve. Luisa a du tempérament, on n'occupe pas son très haut poste au ministère de l’Économie par hasard. La jeune femme va donc mener sa propre enquête, accepter au fur et à mesure de remettre en cause toutes ses certitudes, se frayer un chemin dans les coulisse sombres et glauques du pouvoir damianiste, côtoyer la résistance au mépris de sa propre sécurité.

Cette quête de vérité va s’avérer un parcours initiatique à rebours de toutes les contre-vérités dont elle a été nourrie depuis l’enfance par la propagande damianiste. Elle sera contrainte de confronter sa vision éthérée de cette société fascisante avec le quotidien de répression, de mensonges, de trahisons, obligée de visiter les dessous sales de ce régime qu’elle pensait parfait sans réellement se poser de questions tant tout cela était présenté comme évident. Un peu comme une marcheur prenant petit à petit conscience que le MEDEF n’est pas une oeuvre caritative, c’est vous dire le choc. Cela ne se fera pas sans risques, sans hésitations, sans doutes, sans résistances, ce sont tout de même les croyances d’une vie qui s’écroulent et la culpabilité relative à sa complicité avec ce pouvoir qui en découle.

L’intrigue allie suspense et fine analyse politique d’une dictature de l'argent qui ne veut pas vraiment dire son nom, une « démocrature ». Elle est alimentée par de belles scènes d’action, de redoutables complots, des mystifications et des rebondissements étourdissants. La morale implacable en est peut-être qu’un salaud trouve toujours plus salaud que lui, mais, pour cela, il en faut des sacrifices de pions, des éliminations de “riens”, puisque, selon la devise du damianisme, “La fin justifie les moyens”, tout est bon pour la prospérité de la start-up nation Montelagos. La pauvre Luisa ira de surprise en surprise, de déceptions en stupéfaction devant l’ignominie des humains aimant le pouvoir et l’argent. Un très beau personnage, complexe, riche, étudié sur toutes ses facettes, une femme de caractère capable de remettre en cause ses convictions et d’autocritique lorsqu’il s’avère qu’elle s’est laissée mystifier par le discours dominant.

« Vous êtes prête à tous les sacrifices dans la mesure où ce sont les autres qui les consentent. »

Un dénouement assez bluffant conclut cet ouvrage et les dernières lignes laissent fortement penser qu'une suite est déjà prévue : tant mieux !

L’affaire Mirage Life est un superbe thriller politique, une analyse fine des mécanismes d’une dictature de l’entreprise sur l’individu, une histoire captivante et une réflexion intelligente, que du bon !


Notice bio

Sa carrière dans une entreprise internationale a amené Pascal Framont à vivre en allemagne, au Mexique et en Chine. Amateur d'histoire et de cinéma, il pratique les échecs et les jeux mathématiques en compétition. Avec L'affaire Mirage Life, il mêle ces passions à son goût du thriller.


L'AFFAIRE MIRAGE LIFE – Pascal Framont – Éditions du Lamantin – 402 p. juin 2018

photo : Pixabay

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