Quatre Sans Quatre

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Chronique Livre :
L'AFFAIRE SUISSE de Jean-François Paillard

Chronique Livre : L'AFFAIRE SUISSE de Jean-François Paillard sur Quatre Sans Quatre

Quatre Sans... Quatrième de couv...

Narval revient d’un boulot compliqué à Marseille et retrouve sans enthousiasme ses collègues porte-flingues. Rapidement, leur supérieur, le parrain Pépé Bartoli, lui confie une nouvelle tâche : aller récupérer un magot en Suisse, le butin d’un casse effectué quinze ans auparavant par Bartoli lui-même. Mais ce dernier se montre très méfiant envers son homme de main.

Se douterait-il que Narval, en réalité, est un agent infiltré de la Centrale ?

Auquel cas cette mission à Lausanne pourrait bien être un traquenard…


L'extrait

« Ça commence par une douleur terrible dans les reins.
Pas seulement parce que je reviens de Marseille cassé en deux.
Je suis à plat ventre sur mon tapis berbère et j'ai un fou furieux qui fait du rodéo sur mes lombaires avec un colt M1911 à la main.
J'ai nommé Angelo Campanella : petite frappe survitaminée de vingt-deux ans, à chemise ajustée sur des pecs bodybuildés, coupe Clarck Kent, barbe Ducktail huilée, sneakers Yeezy Boost, jean déchiré et des insultes plein la bouche ?
Je vous épargne l'odeur de cocotte.
Le boss l'a emprunté il y a six mois au clan Campanella.
Le boss, c'est Pépé Bartoli, l'ex-roi des salles de jeu parisiennes.
« Eh, oh, vas-y mollo Angelo », homophone Christian Baldo, un géant placide à la paupière tombante, au nez aplati et à la mise un peu trop négligée pour moi (polo rayé estampillé Racing Métro 92, pantalon beigeasse et pompes bateau défraîchies).
Celui-là est censé parfaire l'éducation d'Angelo. Entre nous, c'est pas un mauvais bougre, Chris. Ça fait douze ans qu'on partage les mêmes soucis, qu'on traverse les mêmes galères et qu'on exécute les mêmes basses besognes, le plus souvent à distance l'un de l'autre, même s'il nous arrive de travailler en binôme. On n'en est pas à échanger nos sangs, mais ça finit quand même par créer des liens.
« Ta gueule ! lui jette Angelo au visage. Pépé a dit qu'il fallait le fumer, oui ou merde ? »
Cette petite gouape fait référence à l'écart de conduite dont je me serais rendu coupable vis-à-vis du boss. Rien de méchant, pourtant : j'ai juste voulu me barrer de Paris. Je pensais naïvement que je pouvais quitter sans casse le milieu dans lequel je croupis depuis trop longtemps. C'est Ange Giorgi, un ancien pote de régiment, qui m'avait filé le tuyau. Il s'agissait d'assurer la protection rapprochée du maire de Marseille. « Du gâteau », m'avait-il bavé tandis que j'acceptais le job les yeux fermés. Résultat des courses : Ange Giorgi était mort, un dénommé César Luciani avait voulu me faire porter le chapeau d'un meurtre et je revenais at home le bras en écharpe, un œil au beurre noir et un wagon d'emmerdes sur le paletot. Sans compter cette pleine valise de biftons qui m'était passée sous le nez...
Empapaouté dans les grandes largeurs, en somme. » (p.13-14)


L'avis de Quatre Sans Quatre

L'avenir ne se présente pas sous les meilleurs auspices pour l'ami Narval après sa délicate mission à Marseille, celle qu'il nous a relatée dans Le Parisien (Asphalte Éditions - 2018). Blessé, moralement atteint, l'agent double est assez mal accueilli par les gorilles de son boss, Pépé Bartoli. Un passage à tabac plus tard, celui-ci, bon gars finalement, accepte de passer l'éponge sur le fiasco marseillais, à condition que Narval fasse un petit voyage en Suisse afin de récupérer, auprès d'un truand de ses amis, la coquette somme de vingt-cinq millions de francs suisses. Une vieille dette de près de vingt ans, une partie du butin d'un casse que ledit ami, Francis Serra, aurait omis de payer à Pépé, son complice. Quelque chose lui dit que ce ne sera pas une promenade de santé...

D'autant plus que Narval est aussi mis sous pression par Edgar, son supérieur et ami au sein de la Centrale, service de renseignement militaire français, de quitter son poste d'infiltré chez Pépé Bartoli. D'ordinaire, ce type d'opération dure deux mois, Narval termine sa douzième année, ce n'est plus possible. Pourtant, Edgar Montereau s'intéresse à ce voyage à Lausanne et devant l'insistance de Narval, accepte qu'il y participe. À condition d'être tenu régulièrement au courant de la situation.

Flanqué de Dany, un ex de l'élite financière de la place de Paris, tombé dans les pattes de Pépé à cause de dettes de jeu, de poudre et autres plaisirs savoureux, Narval part donc pour Lausanne récupérer le pognon. Compagnon de route agréable, Dany ronfle sur tout le parcours, ne s'accordant que de brèves pauses afin de picoler. Il ne sait pas trop pourquoi, mais Narval ne la sent pas trop bien cette escapade chez les Helvètes décrite par Pépé. Débarquer chez un célèbre caïd, lui demander poliment 25 millions afin de renflouer son ancien pote puis repartir aussitôt, vite fait bien fait, lui semble un peu optimiste.

Bien entendu, Francis n'aura pas la somme dans sa poche, fallait pas rêver. Mais plein de bonne volonté, il les branche sur un casse immanquable, plus de trente millions de francs suisses en bijoux, d'autant plus facile à réaliser qu'il n'y aura pas d'effraction, des complices étant dans la place. Vous vous en doutez bien, rien ne se déroulera comme prévu et la suite va être un festival de manipulations, mensonges, trahisons, filatures, bagarres et coups de flingues à foison.

Aventures dans le gratin de la finance suisse et internationale, avec apparition d'une princesse qatari, d'une secte pas piquée des hannetons (L'Ordre des Chevaliers de Saint-Jean) et d'une (évidemment) très belle jeune femme, Mady, escort girl et militante d'une ONG suisse, The Eye. Un œil surveillant les malversations des élites suisses, particulièrement le commerce des minerais et diamants de sang d'Afrique, ces richesses que les guerres civiles, entretenues par les multinationales et les gouvernements des pays industrialisés, permettent de piller. Il faudra donc ajouter à la galerie de personnages un ministre congolais, des hommes de différents services de sécurité et un troupeau de barbouzes.

Malgré les ordres de repli d'Edgar, Narval va n'en faire qu'à sa tête, comme d'habitude. Il a un côté 007 du pauvre, ce type. Il prend des coups et en souffre, au lieu de sauter su quinzième étage pour atterrir au bar et commander un Dom Pérignon millésimé, humain quoi. L'intrigue, farcie de coups tordus, de faux-semblants, de menteurs patentés, ne se suit justement pas le petit doigt en l'air, le pauvre Narval n'a pas une minute pour souffler, le lecteur non plus, et une bonne dose d'humour, semée tout au long par Jean-François Paillard, fait allègrement passer le tout. Bien malin qui ne s'égare pas à un moment ou un autre dans ce dédale d'agents doubles, voire triples, de pièges raffinés et même simplement entre les différentes identités et appartenances des protagonistes. Un vrai bon roman d'espionnage.

Narval, pris entre le marteau Pépé et l'enclume Edgar, se démène comme un diable dans un bénitier, risque cent fois sa peau, mais ne renonce jamais à aller au bout de ses intuitions. Au milieu des Ferrari, Bentley, Mercedes Maybach et des palaces, l'infiltré va tout faire pour mener à bien sa mission pour la Centrale, puisqu'il doit désormais renoncer à sa couverture au sein de l'organisation de Bartoli, et ça ne va pas être une mince affaire.

Survolté, ce polar dynamique aux multiples énigmes, déménage, et l'humour bien présent ne gêne en rien une bonne dose de réflexion sérieuse sur le pillage de l'Afrique et l'impunité des corrompus et des corrupteurs.

La fin, cliffhanger de compétition, annonce une suite, et c'est une bonne nouvelle !


Notice bio

De nationalité suisse et française, Jean-François Paillard est né à Paris en 1961. Il a grandi en grande banlieue parisienne et aux États-Unis, et vit actuellement à Marseille. Journaliste et vidéaste, il est également écrivain, actif dans plusieurs genres : essai, théâtre, récits, poésie, romans (Le Rouergue). Le Parisien, son premier polar, est paru chez Asphalte en mai 2018. Il ressort au format poche chez Folio Policier en octobre 2019, en même temps que son nouveau polar, L’Affaire suisse, chez Asphalte.


La musique du livre

Outre la sélection ci-dessous, sont évoqués : DJ Pepe, Maître Gims, Claptone, RK, Début de Soirée, Bassjackers, Vini Vici, El Mundo, Mili Vanilli, Ludwig Van Beethoven – La Symphonie Patorale...

Les Négresses Vertes – Voilà l'Été

Koffi Olomide – Loi

Dadju - Compliqué

Michel Bühler – Rasez les Alpes


L'AFFAIRE SUISSE – Jean-François Paillard – Asphalte Éditions – 220 p. octobre 2019

photo : Pixabay

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