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L'ARBRE AUX MORTS de Greg Iles

Chronique Livre : L'ARBRE AUX MORTS de Greg Iles sur Quatre Sans Quatre

Greg Iles est un romancier américain, également guitariste – il a fait partie d’un groupe de rock dans sa jeunesse -. Il a écrit d’autres romans dont un thriller centré sur le criminel nazi Rudolf Hess qui a obtenu un grand succès. Il figure régulièrement dans la New-York Times best-seller list (un genre de 404 Top Ten légèrement amélioré quoi). L’un de ses romans 24 Hours a été adapté au cinéma sous le titre Trapped ( Mauvais Piège). L’Arbre aux morts est la suite de Brasier noir et on attend le troisième volet de la trilogie avec impatience.


«  Forrest Knox sortit une télécommande de sa poche et ouvrit le portail de la Réserve exotique de chasse de Valhalla. Partir de Baton Rouge vers le nord le revigorait toujours, il laissait derrière lui les torches des industries pétrochimiques de Cancer Alley et les champs hantés de la ferme pénitentiaire d’Angola, et grimpait dans les collines vertes et les creux du Sud-Ouest du Mississippi, le paradis du chasseur. Le grand fleuve lui-même reposait à peine à un kilomètre à présent, au-delà de quelques crêtes boisées et du marais où le fleuve coulait quelques siècles plus tôt.
La route d’accès sinueuse menant au camp de chasse s’enroulait à travers des hectares de forêt emplie de caméras surveillant la nature et de points d’alimentation pour le gibier. Après une pente traversant un terrain accidenté, la route abordait un plateau dominant la riche vallée alluviale, entre l’arête la plus occidentale et le fleuve Mississippi. Le pavillon principal se tenait au bord de ce plateau. La voiture de patrouille d’Ozan était déjà garée à l’arrière du bâtiment. Forrest se stationna à côté puis grimpa les marches à toute vitesse jusqu’au pavillon.
Il retrouva Ozan dans la grande salle, un vaste espace bordé de têtes d’animaux exotiques abattus aux quatre coins du monde, bien que plusieurs espèces aient été transplantées ici et élevées derrière les grilles du camp, hautes de plus de trois mètres. Le Redbone était assis dans un fauteuil club en cuir, un verre de bourbon près de lui. Forrest ne se rappelait pas avoir vu cet homme aussi inquiet depuis qu’il le connaissait. 

« Tu veux un verre ? demanda Ozan en s’apprêtant à se lever.
- Plus tard, répondit Forrest qui s’assit sur le canapé face à Ozan et appuya ses bottes sur une ottomane. On doit prendre des décisions rapidement.
- J’ai eu la Black Team au téléphone. Tous sauf Pichot. Il est en Floride, mais il rentre par le premier avion.
- Bien. Parce que Brody nous a mis dans un sacré pétrin cette nuit. Je suis soulagé qu’Henry Sexton soit mort, mais on doit partir du principe qu’il a transmis ce qu’il savait à la fille Masters. Et on doit aussi supposer que Morehouse a répété à Henry tout ce qu’il savait.
- Merde.
- Et la mort de Brody va sacrément secouer les financiers à la Nouvelle-Orléans. »
Ozan entrouvrit les lèvres sans rien dire : cette conséquence ne lui étaot pas encore venue à l’esprit.
« Si j’avais su que tout ça allait se passer, poursuivit Forrest, j’aurais attendu pour m’en prendre à Mackiever, mais l’affaire suit son cours maintenant.
Le Redbone but une gorgée de whisky avant de s’essuyer la bouche. « Si cette fille pose problème, je peux m’en occuper. Je peux être à Natchez dans quarante minutes. Demain midi, elle aura disparu de la surface de la planète. Personne ne pourra la retrouver. Ce sera comme si elle n’avait jamais existé. »
Forrest admira l’initiative d’Ozan, mais cet homme n’avait rien d’un stratège. « Non, ça ne se passera pas comme ça.
- Bien sûr que si. Combien de dealeurs j’ai donné à manger aux alligators ? Je peux faire subir le même traitement au maire Cage, et même à l’agent du FBI s’il faut en arriver là.
- C’est différent. Si des gens en vue comme eux disparaissent, ça ne fera que grossir l’affaire jusqu’à ce qu’elle nous avale. Si on tue le maire de Natche, la directrice du journal ou un agent du FBI, on aura une douzaine de nouveaux agents du FBI qui débarqueront dès le lendemain. On en tue trois et on en récupère cinquante. Et ils nous pourchasseront jusqu’à ce qu’ils nous coincent. Non… Les seules personnes qu’on peut tuer en toute impunité, à ce stade, sont le Dr Cage et le Ranger Garrity. Les autres sont quasiment intouchables. »
Le Redbone remua de manière inconfortable dans son fauteuil. « Quelle alternative on a ? On serre les fesses et on espère que tout se passe au mieux ?
- C’est une option, bien que je déteste l’envisager. L’autre option, de toute évidence, c’est de frapper vite et fort, peu importe les conséquences. Politique de la terre brûlée.
- Mais tu viens de dire qu’ils étaient intouchables.
- J’ai dit « quasiment ». Il existe un moyen de réussir un coup comme ça. Il nous faut un bouc émissaire. Le crime doit être sans ambiguïté, les cadavres visibles par tous, et le tueur tellement évident que tout ce carnage paraîtra inévitable, avec le recul. Les gens passeront ensuite à autre chose sans regarder plus loin que la surface des apparences. Tu comprends ?
« Bien sûr. Comme pour Kennedy, c’est ça ? » » (p. 140 et 141 et 142)


Ce deuxième tome reprend le cours de cette longue et haletante histoire exactement là où elle s’est arrêtée : Tom Cage, le vieux médecin, est toujours dans la nature, blessé, aidé par ses amis de longue date – de moins en moins nombreux hélas – bien décidé à prendre les choses en main pour prouver son innocence et résolu à ne pas aller en prison pour le meurtre de son ancienne infirmière Viola Turner.

Malade du coeur, vieux et blessé, Tom a peu de chances de survie et sa femme, Peggy, restée à la maison, se fait un sang d’encre, d’autant qu’il est dans l’incapacité de donner de ses nouvelles sans se faire repérer. Bien sûr, tout le monde le cherche, et en particulier Forrest Knox. Peggy s’occupe d’Annie, la fille de Penn – maire de Natchez et procureur - dont la femme est morte d’un cancer quelques années auparavant. La menace n’épargne personne, et, seule avec l’enfant, cible facile, Peggy va devoir se montrer aussi courageuse que son mari.

Brody Royal est mort, ainsi qu’Henry Sexton qui s’est sacrifié afin de permettre à Caitlin Masters et à Penn Cage – qui sont sur le point de se marier - d’échapper à leurs tortionnaires. Caitlin, journaliste intrépide qui dirige un journal local, veut publier tout ce qu’elle sait et ce qu’elle a réussi à sauver des carnets d’Henry. Elle s’intéresse aussi aux anciens meurtres raciaux jamais résolus, dont elle sait que les Aigles Bicéphales sont les auteurs, avec les Knox, en particulier, qui se refilent sadisme, racisme, corruption et cruauté de père en fils. Elle veut trouver l’arbre aux morts, auquel ils ont enchaîné, torturé et assassiné des Noirs. On doit pouvoir encore trouver de quoi enfin les incriminer pour de bon.

Elle peut compter sur l’aide d’un agent du FBI, Kaiser qui veut en profiter pour revenir sur les affaires des meurtres des Kennedy et de King. Il est en effet persuadé qu’il y a un complot derrière ces morts, et il entend faire toute la lumière sur ces zones trop longtemps laissées dans l’ombre.

Penn, quant à lui, n’a qu’une idée en tête : savoir si oui ou non son père est coupable du meurtre de Viola, et comprendre son degré d’implication, s’il y en a un, avec certains membres de la mafia – dont Carlos Marcello, le super boss de la mafia en Louisiane - et des Aigles Bicéphales. Prêt à tout, y compris à mentir, louvoyer, commettre des délits et mettre tout le monde en danger, Penn avance chaotiquement dans son enquête, confiant trop souvent son sort à son instinct et à la chance. Tour à tour aidé et repoussé par Lincoln Turner, le fils de Viola qui pense être le fils de Tom Cage, Penn a du mal à recomposer le portrait de son père dont il avait fait jusque là un parangon de vertu.

Bien sûr, et bien que ce roman soit le pénultième de la série et qu’il ne puisse donc contenir la résolution des énigmes et la fin des luttes entre le clan Cage – Masters et le clan des Aigles Bicéphales, les confrontations sont nombreuses, les jeux tactiques, les fausses pistes aussi. Comme dans le premier tome, la violence est partout parce que la corruption est reine, parce que le racisme n’a jamais disparu, parce que les puissants ne le sont que parce qu’ils inspirent la peur, quitte à tuer les leurs soupçonnés d’avoir parlé ou d’avoir pensé le faire. Au racisme d’hier s’ajoutent les problématiques modernes : la drogue, le terrorisme et les guerres qui en découlent, les médias auxquels on ne soustrait plus grand-chose mais qu’on infiltre aisément et par lesquels on répand fake news et harcèlement. Politiciens et entrepreneurs – pas forcément d’affaires très licites – s’entendent depuis des lustres pour régner en maîtres et c’est cette entente-là qui pourrait bien être ébranlée.

Le mystère ne réside pas seulement dans des meurtres vieux de dizaines d’années – et tout cet aspect du roman est extrêmement émouvant et sonne fort juste ; on voit à quel point le Mississippi est encore prisonnier de ses démons raciaux renforcés par la pauvreté et le dénuement d’une partie de la population que Katrina a rendu encore plus misérable ou a chassé, tout simplement – mais il est aussi à chercher dans l’histoire des parents de Penn Cage, en particulier dans le passé de son père. l’histoire intime, familiale des Cage s’entremêle à l’histoire du Mississippi, et chercher la vérité brûle et les coupables et les innocents d’une même flamme.


L'ARBRE AUX MORTS - Greg Iles - Éditions Actes Sud - collection Actes Noirs - 976 p. janvier 2019
Traduit de l’anglais (E.U.) par Aurélie Tronchet

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