Chronique Livre :
L'ENFANT DE FÉVRIER de Alan Parks

Publié par Psycho-Pat le 24/02/2020
Quatre Sans... Quatrième de couv...
À Glasgow, le 10 février 1973, le corps mutilé de Charlie Jackson, étoile montante du football professionnel, est retrouvé sur le toit d’un immeuble en construction. En outre, on peut lire « Bye bye » sur son torse. L’œuvre d’un dingue ?
Pourquoi pas, mais la balle qui lui a traversé le crâne fait penser à une exécution. Le jeune homme devait épouser Elaine, la fille de Jake Scobie, un gros bonnet du trafic de drogue. Et le meurtre a peut-être pour mobile la jalousie, car le bras droit du caïd en pinçait pour Elaine.
Dans une Glasgow pluvieuse et plus noire que jamais, l’inspecteur Harry McCoy et son adjoint Wattie vont avoir fort à faire pour atteindre une vérité qui semble sans cesse se dérober.
L'extrait
« McCoy s'arrêta un instant. Il n'en pouvait plus. Penché en avant, les mains sur le genoux, il tenta de reprendre son souffle. Il sentait la sueur couler le long de son dos, sa chemise collait à sa peau sous le pull et son manteau. Il leva les yeux vers l'agent qui le devançait. Encore un des rugbymen de Murray. Bâti comme une armoire à glace et sans doute con comme un balai. Ils se ressemblaient tous.
- On est à quel étage, là ? Lui demanda-t-il.
Cet enfoiré n'était même pas essoufflé. Il le regardait, imperturbable. Des gouttes de pluie brillaient sur son uniforme en laine.
- Au dixième, inspecteur. Encore quatre.
- Putain ! C'est une blague ? Je vais crever, moi.
Ils gravissaient un escalier temporaire. Des cordes tendues entre les poteaux d'échafaudage faisant office de garde-corps, les marches elles-mêmes étant constituées de plaques de béton grossier qui grimpaient, grimpaient jusqu'au sommet de l'immeuble de bureaux en construction.
Prêt, inspecteur ?
McCoy hocha la tête à contrecoeur, et il reprirent leur ascension. Ils s'en seraient peut-être mieux sortis s'il ne venait de s'envoyer deux canettes de Pale Ale et de fumer la moitié d'un joint au moment où ce gros abruti était venu le chercher.
Susan et lui riaient et dansaient comme des dingues en écoutant les Stones à la radio quand le type avait frappé à la porte, son énorme silhouette dressée derrière la vitre en verre dépoli. Ç'avait été la panique. Susan s'était dépêchée d'ouvrir les fenêtres et de brasser l'air à l'aide d'un torchon pour chasser l'odeur d'herbe pendant que McCoy retenait le type à la porte. Heureusement qu'ils avaient renoncé à se partager le buvard qu'il avait trouvé dans son porte-feuille.
Ils gravirent quelques volées de marches supplémentaires, tournèrent, et le ciel nocturne apparut enfin au-dessus de leurs têtes. Un ciel gris et couvert, où la lune perçait de temps en temps au milieu des nuages et de la pluie. McCoy se reposa quelques secondes en contemplant la vue. Glasgow s'étendait devant lui, ses immeubles noirs et crasseux, ses rues mouillées. Il s'approcha du bord, mais pas trop. En guise de garde-corps, il n'y avait là-aussi que des cordes. Le dôme de la Mitchell Library était situé face à lui. Plus loin, derrière, il apercevait le clocher de l'université. Il devait donc regarder vers l'ouest. À ses pieds, coupant ce qui restait de Charing Cross, le chantier de la nouvelle autoroute formait une large rivière de boue brune entre ses parois de béton. Il entendit un bruit de pas derrière lui. Il se retourna.
L'inspecteur en chef Murray lui présenta sa main.
Désolé de vous faire reprendre un jour plus tôt, mais Thomson est absent jusqu'au lundi et il fallait que je mette quelqu'un là-dessus au plus vite. » (p. 15-16)
L'avis de Quatre Sans Quatre
Écarté depuis quelque temps des services de police, Harry McCoy avait encore devant lui vingt-quatre heures de tranquillité qu'il avait commencé à fêter avec sa copine. Un peu de bière, quelques joints, tout allait pour le mieux lorsqu'un appel de son supérieur, Murray, le tire de sa tanière pour le faire venir au sommet, sans ascenseur, d'un immeuble en construction. Histoire de contempler le cadavre furieusement mutilé de Charlie Jackson, la star montante du football à Glasgow. Petit détail, McCoy ne supporte pas la vue du sang qui lui cause nausées et vertiges. En ce froid et maussade jour de février écossais, le spectacle sur le toit du bâtiment inachevé est particulièrement gratiné côté hémoglobine, il y en a partout. En plus de porter le message Bye Bye gravé sur son torse dénudé, la victime a été émasculée et égorgée. De quoi faire vaciller Harry.
Affaire hautement délicate, d'une part parce que le foot est sacré et que le champion était un atout pour le Celtic, d'autre part parce que Charlie était le petit ami officiel d'Elaine Scobie, la fille du parrain local. Pour des raisons de paix civile, la police craint de bousculer le fragile équilibre entre les différents clans de Glasgow et Murray prie McCoy d'y aller avec toute la diplomatie dont il est capable pour fouiner chez le caïd. Pourtant il faudra tout de même bien livrer le nom d'un coupable à la presse, les supporters ne tolèreraient pas que ce crime reste impuni. Murray, McCoy et Watson, alias Wattie, son adjoint, ne tardent pas à être sur la piste de Connolly, homme de main de Scobie, qui semble amoureux fou d'Elaine, la jalousie étant toujours un puissant mobile de meurtre.
Bien entendu, dans le clan Scobie, tout le monde ment, ou refuse de répondre et de coopérer, surtout que McCoy et ses collègues se heurtent au mur infranchissable de Lomax, le meilleur avocat de la ville, prompt à empêcher les interrogatoires et mes perquisitions. Que Connolly soit devenu dingue ne fait guère de doute, mais Harry sent qu'e la famille, Elaine principalement, lui cache de nombreux éléments propres à l'aider dans sa recherche de la vérité.
Parallèlement, McCoy s'intéresse de près à un autre drame, celui d'un pauvre homme retrouvé pendu dans une église. Le suicide ne fait aucun doute, mais on a découvert sur lui un article de journal fort signifiant pour l'inspecteur. Enfant abandonné, Harry a connu une longue liste de foyers d'accueil et le cortège des maltraitances et viols qui vont avec. En compagnie de son ami, Stevie Cooper, un autre caïd de la ville, ils se sont lancés dans une croisade discrète afin de faire payer ceux qui les ont martyrisés et qui, semble-t-il, s'en sont pris aussi au suicidé...
Si tout n'est pas noir de suie dans L'enfant de février, il s'en faut de peu, les éclaircies sont rarissimes et de courtes durées. McCoy navigue en eaux troubles, des deux côtés du chenal de la loi, traînant son enfance de misère comme un boulet, accablé par ses névroses, coincé entre son rôle de flic émérite et ses actes illégaux liés à sa vengeance. Connolly ne se contentera pas du footballeur, les cadavres vont se succéder, la pression sur l'enquête croître aussi bien du côté de la presse que de ses supérieurs. Le flic a, par instant, tout du rat dans un labyrinthe en quête d'une issue introuvable. L'impétuosité du jeune Wattie complète à merveille la prudence rusée de son chef, qui se la joue un peu mentor en initiant le bleu aux arcanes des bas-fonds. Murray, à la fois supérieur hiérarchique et figure paternelle pour McCoy, secoue et protège, selon les besoins, un Harry parfois perdu entre ses différentes facettes.
Incontestablement, McCoy est un personnage d'exception, aussi grand par ses failles que par ses qualités de policier. S'il fallait une analogie, je pense que c'est vers John Rebus qu'il faudrait se tourner, un Écossais lui aussi, toujours assis entre deux chaises. Sans compter qu'Alan Parks n'a rien à envier à Ian Rankin pour ce qui est de savoir mener un scénario machiavélique et un suspense terrible jusqu'à l'ultime chapitre. L'enfant de février est le deuxième volet de ses aventures, sa première enquête, Janvier Noir, vient de paraître en format poche chez Rivages/Noir. Les deux épisodes peuvent être lus dans n'importe quel ordre, si vous en essayez un, il y a fort à parier que vous lirez l'autre de toute façon.
Autre personnage du roman : le Glasgow des seventies. Ses gangs, sa météo déprimante, ses immeubles gris, ses pubs à l'atmosphère lourde, son déclin. La ville pèse de tout son poids sur le récit, noyée dans le froid, la pluie, quelques flocons et une possible guerres entre bandes rivales que McCoy veut à tout prix empêcher. Un décor parfait pour abriter la corruption, les réseaux occultes, toutes les manipulations et trafics possibles.
Un très grand polar, à l'atmosphère oppressante, noire, habité par une violence omniprésente, superbement écrit et traduit. Une des meilleures parutions de ce début d'année !
Notice bio
Alan Parks est né en Écosse et a fait ses études à l’université de Glasgow. Après avoir travaillé dans l’univers de la musique à Londres, où il s’est occupé de promotion artistique et de la direction d’un label, il se tourne vers l’écriture. Passionné par le roman noir et influencé par William McIlvanney, il s’est fixé pour but de dépeindre la ville de Glasgow dans les années 1970 à travers une série dont le héros est l’inspecteur Harry McCoy dont les lecteurs avaient fait la connaissance dans Janvier noir.
La musique du livre
Outre la sélection ci-dessous, sont évoqués : Frank Sinatra - Three Coins In The Fountain, Shirley Basset – Goldfinger, The Rolling Stone – Brown Sugar, Elton Jones...
George Harrison – My Sweet Lord
New Seekers - I'd Like To Teach The World To Sing
The Rolling Stone – Moonlight Mile
Rod Stewart – Sailing (album : Atlantic Crossing)
David Bowie - The Jean Genie
Roxy Music - Virginia Plain
L'ENFANT DE FÉVRIER - Alan Parks – Éditions Payot & Rivages – collection Rivages Noir – 411 p. février 2020
Traduit de l'anglais (Écosse) par Olivier Deparis.
photo : Glasgow par Jim Nix pour Visual Hunt.