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Chronique Livre :
L’ENFANT PARFAITE de Vanessa Bamberger

Chronique Livre : L’ENFANT PARFAITE de Vanessa Bamberger sur Quatre Sans Quatre

Quatre Sans Quatrième… de couv…

Le syndrome de l’enfant parfait ? Roxane a intégré depuis toujours les exigences de ses parents. L’excellence et la performance lui sont des impératifs naturels.

Pourtant, depuis la rentrée en classe de première, rien ne va plus, ni les notes, ni l’amitié, ni les amours, ni l’apparence physique.

Pour soigner l’acné qui enflamme son visage, elle n’a d’autre recours que de solliciter un ancien ami de son père, François, devenu médecin. Avec son verbe franc, direct, slamé, elle raconte la pression scolaire, la perte de confiance en soi, la peur de décrocher et l’incompréhension des adultes. Autour d’elle, personne ne voit venir le drame.

De ce qui est arrivé à Roxane, François devra répondre devant le Conseil de l’ordre des médecins. Désespérément, il cherchera à maîtriser l’enchaînement des choses et à ne pas se laisser emporter par ce qui mine aujourd’hui l’exercice de la médecine : la crainte de l’erreur médicale et de ses conséquences judiciaires.


L’extrait

« Rose se jette sur moi. Je la regarde et je la trouve fraîche. J’aime sa dégaine. Bien qu’elle soit blanche et blonde, elle a tressé ses cheveux à l’africaine. Une coiffure qui, si je devais y soumettre ma fine chevelure châtain, me défigurerait, vu la taille de mon nez. Je suis grande, ni belle ni moche, physique basique classique.
Aujourd’hui je porte un T-shirt blanc et un jean slim, rien d’extravagant. Un peu de mascara, deux bracelets dorés qui tintent doucement. Rose a revêtu sa carapace, petit haut court et bas de jogging, banane en bandoulière, créoles en or, grosses baskets Adidas. Résultat, on crève toutes les deux de chaud mais, comme dit Rose, pas question qu’on montre nos jambes aux frérots.
Rose s’habille et parle comme une fille de la tess, sauf qu’elle habite un duplex sur le parc Monceau avec son père banquier et sa mère qui travaille chez BP. Elle méprise ses parents, en particulier Delphine, sa mère, qui s’habille comme une cagole, mange des steaks et jette ses mégots par la vitre de sa Mini Cooper. Rose a déjà essayé le sexe avec une fille, le plan à trois, la cons’, l’alcool défonce. Demandez-moi la liste de mes exploits, je ne vous donnerai pas la réponse.
Lyna nous rejoint avec son joli visage brun, ses cheveux frisés, sa nonchalance séduisante, son aisance. Je l’observe tournoyer les bras levés dans sa robe d’été à petits pois bleutés. Elle est fine et c’est une vraie fille, Lyna. La plus girly de nous trois. Elle vit à Montmartre, son père est réalisateur et sa mère prof de yoga, tellement flippé que Lyna se fait géolocaliser quand elle prend un Uber en rentrant de soirée. Si sa mère savait comment on les passe, nos soirées.
Vous vous interrogez peut-être sur ce qui nous réunit, Rose, Lyna et moi. Nous étions dans la même classe en seconde, à Sully, et sommes toutes les trois très, mais vraiment très bonnes élèves. Nous partageons nos centres d’intérêt, nos rêves. Petite, je dépensais mon argent de poche en dictionnaires et livres scolaires supplémentaires. À dix ans, j’ai lu Les Misérables et ma mère l’a raconté à toutes ses amies. Du coup, je me suis sentie obligée de lire Le Comte de Monte-Cristo, L’Assommoir et Le Père Goriot. Ça avait l’air de lui faire tellement plaisir. Aujourd’hui Mélanie me chante sans cesse la même rengaine, ma chérie tu ne me poses aucun problème, ma vie est déjà si difficile, ta solidité me fait tenir. C’est vrai, je ne pose aucun problème, c’est pour ça qu’on m’aime. » (p. 20-21)


L’avis de Quatre Sans Quatre

Septembre 2017, Paris : Roxane est une perle, intelligente, raisonnable, travailleuse, jolie - si ce n’est ce nez qu’elle trouve un peu long -, sympathique, la fille dont rêve bien des parents. Elle rentre en première S3 au lycée Sully, un de ceux de l’élite parisienne. Ses parents, divorcés, lui ont fait quitter son précédent établissement afin qu’elle bénéficie du meilleur enseignement. Le tremplin idéal pour entrer dans les plus prestigieuses classes préparatoires, et intégrer, désir de son père, Polytechnique.

Sa mère, Mélanie, est altiste, c’est-à-dire qu’elle joue du violon alto dans un quatuor de seconde zone. C’est une laborieuse de l’archet, une forçat de la triple croche, partageant son temps entre de lassantes répétitions à domicile, que Roxane ne doit pas perturber, et des absences justifiées par des tournées entre Trifouillis-les-Oies et Nullepart-sur-Pagrandchose. Plutôt que d’accompagner sa fille à cette période difficile de son développement, elle passe son temps à lui seriner que Roxane est son pilier, celui sur lequel elle peut s’appuyer. Ben voyons...

Cyril, le père, cadre dirigeant chez IBM, vit à Sète avec Marion, sa nouvelle compagne, professeure de français, et sa fille Claire. Ils accueillent Roxanne un week-end tous les quinze jours. Pour Cyril, la vie est simple : quand on veut, on peut. Quitte à se débrouiller de façon pas forcément orthodoxe. Son leitmotiv, en ce qui concerne sa fille, est sans conteste un fardeau incroyable à porter pour une adolescente : « Je t’ai faite parfaite, tu ne vas pas tout gâcher. » Aussi simple que cela. Si quelque chose dérape, c’est forcément de ta faute, moi, j’ai déjà fait le maximum. Il n’est pas méchant, grande gueule, oui, hâbleur, certes, et inconséquent sûrement. Marion tente bien de désamorcer parfois ce poids terrible sur les épaules de Roxane, mais elle n’est pas sa mère.

« On nous dit, choisissez votre avenir et on nous dit, vous n’avez pas d’avenir, la planète va collapser, et on nous dit plus rien n’est assuré, l’horizon est bouché, c’est la précarité, et on nous dit, si tu bavardes c’est foutu pour toi, une mauvaise appréciation sur le bulletin et c’est la fin. Alors faut montrer qu’on en a sous le pied, qu’on a bien bossé, qu’on peut continuer. À bloc toute la journée. »

Roxane avait déjà beaucoup souffert du divorce, elle avait dû être suivie par une thérapeute, avant de pouvoir poursuivre sa vie tant bien que mal, épaulée par ses copines, Rose et Lyna, son grand ami, Ferdinand, et son petit ami, Théo, qui apparaît plus comme un accessoire social que comme le grand amour. La débandade débute par les maths. La prof est là pour les formater, les préparer à subir le pire dans les sélections impitoyables qui vont suivre, Roxane dévisse un peu, n’est plus la meilleure, se plante même lors d’un contrôle... Cata, début des mensonges, début de l’isolement. Puis vient l’acné. Elle occulte tout, Roxane ne voit plus qu’elle, devient obsessionnelle. Terrible. Boutons rouges, blancs, joues grumeleuses, la peau de pêche de l’enfance ravagée par les traîtres hormones. Mélanie prend rendez-vous chez le dermato, premier acte d’un formidable fiasco...

Janvier 2019, Bois d’Arcy. François Hanner est cardiologue. Après avoir longtemps hésité à suivre le chemin de son père, dermatologue. Humanitaire au Tchad durant des années, il a d’ailleurs soigné là-bas de nombreuses dermatoses. Il ne connaît pas Roxane, mais est l’ami d’enfance de Cyril. Une amitié indéfectible, même si, ces dernières années, ils ne se voient plus que lors des anniversaires de Cyril, une complicité scellée autour de leur passion commune pour les héros de bande dessinée Blake et Mortimer. Il risque aujourd’hui de perdre son droit d’exercer, de tout perdre, parce qu’il a fait confiance à Cyril, lui qui jamais n’a franchi aucune ligne blanche, qui est d’une probité et d’une rigueur exemplaires. Il se remet en cause, se justifie, se questionne : est-il réellement responsable de ce qui est arrivé à Roxane ? Alors qu’il n’a fait que répondre aux demandes pressantes de son vieil ami, non sans avoir vérifié l’indispensable ?

Après l’Aubrac et le monde agricole, la dureté des destins paysans dans des contrées difficiles, racontés dans Alto Braco, Vanessa Bamberger s’attelle à l’adolescence, à la pression sociale, parentale, aux standards inhumains imposés aux enfants, au formatage morbide dont ils sont victimes. Deux mondes, deux styles, mais un même talent, rare. Elle fait partie de ses autrices dont on attend le prochain roman afin d’une nouvelle fois s’extasier sur sa plume et savourer ses personnages tirés au cordeau, ses intrigues construites à la perfection. Baignée de musique, imprégnée de rap, l’écriture est ici rythmée tel un slam lorsque c’est Roxane qui s’exprime, nul besoin de chercher la rime. Découpée en cinq mouvements, cette symphonie tragique où l’alto de Mélanie peine à suivre la direction d’orchestre de son ex-mari, malmène la fragile harmonie de Roxane. La fine fleur du rap variété français servira de choeur à cette tragédie, à grands renforts de citations définitives, parce qu'à cet âge-là, rien n'est anodin.

Roxane assume sans se leurrer : soutien de sa mère, responsable de la conservation de cette foutue perfection, léguée par son père, Roxane bien seule face à des adultes-enfants qui en font un accessoire de leurs fantasmes de lignée, Roxane victime de la bêtise, d’un système qui proclame « marche ou crève », mais soit belle, aussi, lisse, transparente. Roxane, héroïne tragique de l’indifférence ordinaire.

Quel formidable et émouvant roman ! Féroce, acide, vrai, utile. Un monde d’adultes absents, dévots du culte de la perfection par procuration, celle de leur progéniture, incapables d’assumer leurs manquements...


Notice bio

Vanessa Bamberger est née en 1972 et vit à Paris. Après des études à Sciences-Po Paris, elle travaille dans le domaine audiovisuel à Londres pendant cinq ans et à New-York. À son retour en France, elle devient journaliste indépendante pour différents magazines. Elle se consacre désormais à l’écriture. Après un premier roman, très réussi, en 2017, Principe de Suspension (Liana Levi), vient le magnifique Alto Braco (Liana Levi - 2019), énorme succès de librairie, couronné par cinq prix littéraires.


La musique du livre

Amusez-vous, la playlist de ce roman doit être suffisante pour lire toute la rentrée littéraire de janvier. Outre la très courte sélection ci-dessous, sont évoqués : Johann Pachelbel, Cassius, Air Justice, St-Germain, Sofiane, Kalash Criminel, Oxmo Puccino, Booba, Tyler the Creator, The Internet, Abba, Dalida, David Guetta, Franz Liszt, Alexandre Borodine, Piotr Tchaïkovski, Maurice Ravel, Damso (Macarena - Je Nous Mens - Autotune - Jean Reno - Vie - Humain - Feu de Bois), Franz Schubert (Sonate Arpegione - La Jeune Fille et la Mort), Ratatat (Seventeen Years), PNL (Au DD), Lord Esperanza (Demain), Ludwig van Beethoven (Cinquième Symphonie), Nekfeu (Égérie - Takotsubo - 1er Rôle), Orelsan (Quand Ton Père t’Engueule), Diam’s (La Boulette), Claude Debussy (Suite Bergamasque), Phuture (Acid Tracks), Jean-Sébastien Bach (Variations Goldberg), Grand Corps Malade (Espoir Adapté), Air (Moon Safari), Isaac Albéniz (Asturias), Georg Friedrich Haendel (Concerti Grossi Opus 6 et 1), Columbine (Adieu Bientôt), Pharrell Williams (Because I’m Happy), Lomepal (Trop Beau), Béla Bartók (Concerto pour alto), Roméo Elvis (Malade), Casseurs Flowters (Le Mal Est Fait - Inachevés), Joseph Haydn (Alouette), SCH (Hold Up), Vald (Ce Monde est Cruel), Dmitri Chostakovitch (Opus 147), Camille Saint-Saëns (Requiem), Alberto Ginastera (Danse Argentine), Suprême NTM (Laisse pas Traîner ton Fils), Gringe (Enfant Lune), Casey (Mourir Con), Georgio (On Rêvait Tous de s’Envoler), Pomme (À Peu Près), Lana del Rey (Lust For Life), Soso Maness (Je Rentre Tôt), Lonepsi (Étincelle), Lomepal feat Roméo Elvis (1 000°C), Némir (Ailleurs), Nekfeu feat Vanessa Paradis (Dans L’Univers)...

Nick Cave & The Bad Seeds - Girl in Amber

Damso - Amnésie

Wolfgang-Amadeus Mozart - Introitus - Requiem - Symphonie N°25

Nekfeu - De Mon Mieux

Orelsan - Suicide Social

Kendrick Lamar - Feel


L’ENFANT PARFAITE - Vanessa Bamberger - Éditions Liana Levi - 250 p. janvier 2021

photo : début d'acbé - Kjerstin_Michaela pour Pixabay

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