Chronique Livre ; L'inciseur de Sebastian Fitzek et Michael Tsokos

Publié par Psycho-Pat le 04/04/2015
Photo : ïle d'Helgoland (Allemagne), un des "personnages" du roman
L'extrait
« - Décrivez-moi, je vous prie, tout ce que vous voyez, réclama Herztfeld.
Linda fut heureuse qu'il ne lui ait pas demandé de décrire l'odeur du cadavre, car ç'aurait été beaucoup plus difficile. De toutes les odeurs répugnantes qu'elle avait senties, celle-ci était la pire. La puanteur n'était pourtant pas aussi intense et accablante que, par exemple, celle de WC publics bouchés en plein été. Mais elle était omniprésente et...et douceâtre ? L'odeur était constituée de deux éléments qui ne s'accordaient pas : comme un désodorisant bon marché dans les toilettes très fréquentées d'une station-service.
Linda essaye de respirer par la bouche, mais ne put éviter que son estomac se révulse. Elle commença à livrer avec des hésitations ses premières impressions. »
Le pitch
Paul Herzfeld dirige le service de médecine légale de la BKA (la police criminelle de Berlin) et s'occupe principalement des cas difficiles. Alors qu'il effectue l'autopsie d'une jeune femme, il découvre dans son crâne une capsule renfermant un morceau de papier où est inscrit un numéro de téléphone et le prénom de sa fille de 17 ans, Hannah. Il appelle immédiatement et comprend qu'il est réellement le destinataire de cet énigmatique message, que sa fille a été enlevée et qu'elle va mourir s'il mêle la police à l'affaire.
Paul s'aperçoit rapidement que le ou les tueurs sèment des indices dans différents cadavres et que ce macabre jeu de piste n'est pas un canular. Linda, une jeune dessinatrice de BD, cachée et bloquée par la tempête sur l'île de Helgoland, lui téléphone parce qu'elle a trouvé son numéro de portable sur un cadavre qu'elle a découvert au bord d'une rivière. Paul fait appel à Ender, le concierge turc de l'hôpital local pour lui venir en aide et la guide afin de pratiquer un examen angoissant du corps...
Il va débuter alors une terrifiante course contre la mort, accompagné par un stagiaire maladroit, Ingolf von Appen, fils de sénateur et geek fortuné, qui lui prête main forte au volant de sa Porsche Cayenne qui jouera un rôle non négligeable dans l'histoire. Reste pour lui à trouver qui le hait assez pour mettre sur pied un scénario aussi complexe et comment sauver sa fille sans rameuter les autorités...
L'avis de Quatre Sans Quatre
Fitzek et Tsokos ont trouvé un complice formidable avec cette tempête empêchant les transports aériens et mettant une ambiance de fin du monde sur l'île d'Helgoland. D'un côté, la quête précipitée d'indices et de mobile de Herzfeld, de l'autre Linda confronté à la mort, obligée de l'examiner, de profaner pour tenter de sauver une vie, hanté par son ancien harceleur. Les deux ne pouvant se rejoindre, isolés par les intempéries.
Une angoisse crescendo provoquée par un ennemi invisible à la logique implacable mais mystérieuse. Un rythme de fou ! Les enchainements entre les péripéties de l'île, l'histoire de Linda, la course éperdue de Paul et son drôle d’acolyte ne laissent pas une seconde de repos. Une écriture ultra-efficace, fluide, claire qui entraine le lecteur dans le sillage du héros avec la même panique aux trousses et une avidité de sens qui ne se dévoile qu'après d'âpres luttes au fil des pages. En cette période de chaase aux oeufs de Pâques, la base de l'intrigue est un peu du même tonneau, sauf qu'il s'agit de trouver des cadavres et d'y dénicher des indices exploitables...macabre...
Paul Hertzfeld croit en l'éthique, à la rigueur qui sied à tout médecin-légiste qui se respecte. Ce piège infâme va tout remettre en cause, bousculer ses certitudes, le déstabiliser. L'urgence de la situation l'oblige à ne réfléchir que brièvement, instinctivement. Il suit la piste, semble à la manœuvre mais, chaque fois, se heurte inévitablement à un des murs de l 'énigme qui le guide sûrement là où l'a décidé le kidnappeur.
Ce thriller met le doigt sur la fragilité des croyances dès qu'un événement touche au plus près celui qui les défend. La colère n'est jamais juste ou impartiale, la victime n'est pas apte à rendre justice, c'est ce que l'on nomme civilisation. Les aboyeurs du droit à l'auto-défense, au non-respect des procédures au prétexte qu'elles servent les criminels n'en sont que plus dangereux, c'est ce que vous découvrirez au cours de ce récit épique et tourmenté. Personne n'est plus malléable que la personne fragilisée par le deuil, le remord ou la peur.
Un roman à cent à l'heure, vif, plaisant, retors, multipliant les surprises et les rebondissements inattendus avec une intrigue originale et glauquissime. La mort sous toute ses formes, la disparition d'un enfant, le risque qu'il meurt et d'en être peut-être responsable, comment ne pas ressentir une profonde empathie pour Paul et Linda, être horrifié avec eux ?
Un très bon thriller écrit par un duo qui manifestement fonctionne parfaitement. La précision du légiste, les envolées imaginatives de l'écrivain se marient à merveille.
Notice bio
Sebastian Fitzek est né en 1971 à Berlin. Il est journaliste et écrivain. Son premier roman Thérapie (2006) a connu un succès immédiat, il devient rapidement le plus connu des auteurs de thrillers allemand. Il est également l'auteur, entre autres, de Tu ne te souviendras pas (2008), Le voleur de regard (2010) et Le chasseur de regard (2011).
Michael Tsokos est médecin-légiste, il dirige depuis 2007 l'institut médicolégal de la Charité à Berlin.
La musique du livre
Herzfeld se moque d'une série télé où un légiste, lui ressemblant étrangement, écoute du Depeche Mode en pratiquant ses autopsies, leur titre Broken me semble bien correspondre à ce roman. Linda et son compère Ender, obligés d'aider Paul en effectuant un examen de cadavre, mettent du son en pensant également à cette série, mais ils tombent à la radio sur Lady Gaga, ce qui fait dire à Herzfeld qui les entend au téléphone : « Et, à ce que j'entends, c'est Lady Gaga qui chante et ce n'est pas de la musique. », Applause, tout de même, il n'y a pas tant de titres que cela dans le livre...
Pour finir, la sonnerie de portable du richissime stagiaire Ingolf qui fait résonner le Concerto pour piano N°1 de Piotr Ilitch Tchaïkovski.
L'inciseur – Sebastian Fitzek & Michael Tsokos – L'Archipel – 345 p. mars 2015
Traduit de l'allemand par Jean-Marie Argelès