Chronique Livre :
LA BÊTE EN CAGE de Nicolas Leclerc

Publié par Psycho-Pat le 29/01/2021
Quatre Sans Quatrième… de couv…
Samuel, éleveur laitier du Jura, accumule les dettes. Sa seule échappatoire : s'associer avec son oncle et son cousin qui font passer de la drogue de la Suisse à la France pour le compte d'un réseau de trafiquants kosovars.
Mais le soir d'une importante livraison, rien ne se passe comme prévu : le cousin n'arrivera jamais jusqu'à la ferme de Samuel. Lancés à sa recherche dans la montagne enneigée, l'agriculteur et son oncle le découvrent mort au volant de sa voiture précipitée dans un ravin. Et le chargement de drogue s'est volatilisé…
La paisible vallée engourdie par le froid polaire va bientôt s’embraser.
L’extrait
« 21 janvier - 19 h 20
C’est la pire journée de l’année pour Virginie Favrot. Elle est au bout de sa vie. Ça a commencé dès le matin quand il a fallu se lever à 6 heures, nourrir le gosse, puis descendre dans la vallée malgré la neige qui tombe, traverser Dampierre-les-Monts et se taper encore quinze bornes avant d’atteindre le Brico 2000 à Épernans à 7 h 30. Et le patron est de mauvais poil, ronchonne comme tous les jours en fait.
Non, à bien y réfléchir ça a commencé juste après la naissance de Gabriel, comme si une parcelle de bonheur impliquait un tribut. Le licenciement « pour raisons économiques » de Grégoire de la boîte qui livre du mazout alors que les travaux de la maison étaient loin d’être terminés. Et les voilà à vivre sur son unique salaire du Brico, et les allocations de Greg. Là, ça a vraiment commencé à être la merde. Le niveau de vie, déjà pas grandiose, a vrillé du jour au lendemain. Le salaire qui passe dans l’essence pour aller au boulot, pour faire les courses, pour le mioche, les visites chez le médecin, Greg qui doit se taper trente ou quarante bornes pour chercher du taf à Pontarlier, chez Nestlé, ou chez Schrader, pas la porte à côté. Sans compter les rendez-vous réguliers et stériles chez Pôle emploi ou dans les agences d’intérim du secteur, dont aucune ne se trouve dans un rayon de moins de vingt kilomètres. Quelques contrats courts, rien de durable. De la survie.
C’est loin de tout, Hautecombe. Ça paraissait sympa au départ, ce projet de rénovation, et bon marché. Mais maintenant que l’argent sort aussitôt qu’il rentre, ce n’est plus la même histoire. Chaque déplacement leur perce les poches. Et Greg qui reste à la maison toute la journée à contempler le désastre. À tourner en rond, depuis plus de sept mois, avec Gabriel dans les pattes, qui commence à peine à se tenir debout.
Non, franchement, on a connu mieux.
Et voilà qu’en sortant du travail, plus tard que d’habitude, la Citroën C3 s’y met aussi. Virginie, épuisée, met le contact. En vain. Ça hoquète, puis rien. Sur le parking de Brico. La guigne. » (p. 31-32-33)
L’avis de Quatre Sans Quatre
Se lever à 5 h 30, il fait moins quinze dehors, attaquer la traite, livrer le lait, enchaîner sur la journée, rien n’est facile à la ferme de Hautecombe dans le Jura, à la frontière suisse. Samuel, son exploitant, est épuisé. Si encore ce travail de forçat permettait de vivre, mais non ! Il s’endette davantage chaque jour travaillé. Pas sûr qu’il était fait pour ça, mais il a bien fallu prendre une décision lorsque ses parents se sont tués dans un accident de voiture. Il a trouvé des fonds pour ne pas couler à pic, pour essayer de tenir le coup, chez son oncle Claude, celui qui possède une grosse boîte de BTP. Mais rien n’est gratuit, en compensation, il doit rembourser et a dû devenir un maillon de la chaîne du trafic de cocaïne mis en place par Claude. Ce qu’il le supporte de moins en moins, Samuel est honnête, les magouilles de son oncle lui répugne.
Simon, son cousin, travaille en Suisse, et passe la marchandise pour son père. C’est un bon à rien, flambeur, noceur, menteur, vaniteux qui dépense en une journée sa paie d’un mois, ses revenus parallèles lui sont obligatoires. Convoqué par Claude, Samuel apprend qu’une très grosse livraison est prévue pour le soir même, 105 kg, et que Simon la déposera dans sa grange dès la frontière suisse passée comme à l’accoutumée. L’éleveur renâcle, refuse, se laisse convaincre par son oncle qui lui promet que ce sera la dernière cargaison. L’affaire faite, ils arrêtent tout.
Simon est un vaurien, mais il est ponctuel, aussi Samuel s’inquiète-t-il lorsqu’il constate qu’il est très en retard. N’y tenant plus, après avoir attendu deux heures, il appelle son oncle et tous deux partent en pleine nuit à la recherche de la BMW de Simon. Qu’il retrouve accidenté, en bas d’une petite falaise. Le fils de Claude est bien là, en bouillie, mort, mais pas de trace de la came. D’autres ont découvert le chargement avant eux... Ce qui ne va pas du tout plaire aux frères kosovars, Kosta et Marko Zajini, propriétaire de la coke et qui n’ont pas la réputation de plaisanter lorsque leurs intérêts sont menacés ou si quelqu’un essaie de les doubler.
Plus de cent kilos de poudre, ça ne se vend pas en cinq minutes sur le marché, aussi bien les Kosovars que Claude et Samuel le savent pertinemment. Les deux truands, d’une cruauté sans limite vont alors faire pression sur Claude et Samuel afin qu’il retrouve la marchandise. Très vite le cercle des personnes mouillées dans l’affaire va s’élargir, et beaucoup vont souffrir. Tous ceux qui, de près ou de loin, consciemment ou pas, vont entrer dans la danse se retrouvent pris dans un maelström d’une violence inouïe, prêt à tout broyer sur son passage. On meurt beaucoup, et pas de mort naturelle, souvent de façon atroce, à la cupidité vient vite s’ajouter les désirs fous de vengeance.
Nicolas Leclerc possède une écriture très cinématographique, fort agréable à lire. Ses descriptions se limitent à l’essentiel et c’est très bien, il sait poser en quelques phrases un décor et donner une ambiance. Par contre les personnages bénéficient d’un traitement de faveur. Que ce soit les principaux acteurs, déjà nommés, ou Chloé, jeune toxicomane, belle-fille de Samuel, Virginie la malchanceuse ou Greg, tous sont construits, charpentés, dotés d’une personnalité complexe. De la neige, de la poudre et du sang, voilà dans quoi se débattent les protagonistes, la terreur ou la folie meurtrière comme compagne. On rêve de silence et de nature dans ces monts du Jura noyés sous la neige, ce récit n’y amène que tragédie, rebondissements, fausses pistes et courses folles afin d’échapper à l’inéluctable...
Un suspense dingue, une intrigue impitoyable, menée à fond de train dans un paysage hostile et glacé du Jura, du très grand polar sans une seconde de répit !
Notice bio
Né en 1981 à Pontarlier, Nicolas Leclerc travaille pour la télévision. Après Le Manteau de Neige, il revient avec un polar très noir et redoutablement efficace.
La musique du livre
Renaud - P’tite Conne
The Doors - Unhappy Girl
LA BÊTE EN CAGE - Nicolas Leclerc - Éditions du Seuil - 271 p. janvier 2021
photo : Creux du Van - Photosforyou pour Pixabay