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Chronique Livre :
La ballade des misérables de Anibal Malvar

Chronique Livre : La ballade des misérables de Anibal Malvar sur Quatre Sans Quatre

illustration : La gitane endormie du Douanier Rousseau (Détail) - Wikipédia

L'extrait

« Il sonna au portail du 71 rue Abrojo, et celui-ci, comme toujours, céda en silence à l'abracadabra. C'était mercredi, la routine, il était là, sans horaire fixe. Une réminiscence des premiers pot-au-feu de l'hiver filtrait à travers les portes expugnables des petits appartements, toutes ornées de plaques de mauvais alliage destinées à dorer les tristes blazes d'une classe ouvrière grisâtre, vaincue et vieillie, poisseuse de routine et d'humeurs qui jamais ne brûlèrent glorieusement, ni sous le franquisme ni depuis. Et dont les derniers représentants, après avoir trimé comme des mules dans d'obscurs bureaux verdâtres jusqu'à soixante-cinq ans, ne disposaient même pas d'un ascenseur. »


Le pitch

Madrid, de nos jours, El Poblao un bidonville où s'entassent tous les damnés de la terre : gitans, roms, roumains, immigrés sans papiers, junkies, putes abîmées et toute la faune qui n'a pas et n'aura jamais sa place dans la bonne société madrilène. Des enfants gitans disparaissent depuis quelques temps et c'est au tour d'Alma, la petite-fille de Perro chef de la communauté.

Des indices trouvés sur les lieux de sa disparition désignent Calcao, un simple d'esprit voleur à la tire, abattu illico par Perro qui se retrouve en prison pour meurtre, le pauvra Calcao n'étant évidemment pour rien dans l'affaire. Deux inspecteurs, O'Hara et Ramos flanqué de leur perroquet, commencent une enquête difficile dans un milieu où personne ne voit jamais rien sauf la lune mais « elle ne vous dira pas ce qu'elle a vu car sa voix sort de ce que vous appelez sa face cachée. » Ils seront aidés dans cette tâche par Ximena, journaliste et amante de O'Hara, jeune femme issue d'un milieu plus qu'aisé qui a choisi de vivre dans cette banlieue minable.

Parallèlement, Perro charge Tirao, un gitan taiseux ancien toxico, de fouiner de son côté parceq u'il n'a aucune confiance dans les gadjos et que les affaires de famille doivent rester dans le clan. Là commence un voyage hallucinant dans les bas-fonds de Madrid, dans les oubliettes des hommes...


L'avis de Quatre Sans Quatre

La ballade des misérables laisse son lecteur sans voix, médusé, abasourdi par ses charmes ! L'originalité de la narration déjà, subjugue. Roman choral, tous les éléments de l'histoire livrent, chapitre après chapitre, leur vision parcellaire du récit : la ville, la lune, le perroquet, la plaque de police, le soleil et même la bite d'un des personnages racontent ce qu'ils ont vu, en plus des différents protagonistes, vivants ou morts. Impossible d'avoir meilleure vue d'ensemble.

Une poésie pure, vraie, drue, forte imprègne la saga du Poblao. Surgie du sordide absolu, de l'indicible misère qui fait commettre tant d'horreurs, que la mort, même d'un enfant, n'en devient qu'aléa ordinaire, voire bonne affaire en devenir. Nos pires cauchemars sont le quotidien de ce peuple de l'ombre à l'âmes emplie d'arcanes et de symboles admirablement peints par Anibal Malvar. Prêt à tout pour une dose, un beau coup ou une arnaque bénéfique, calculateur, sale, violent, machiste, menteur, affamé, rusé mais humain avant et après tout.

La forme est sublime, le fond est superbe ! Malvar oppose les petites et grandes rapacités des hommes, le seul dénominateur commun entre la belle société et les exclus. Les plus miséreux trouvent toujours plus faibles qu'eux à exploiter et les plus riches ont parfois désespérément besoin de ce que le plus petit et le plus humble possède. Pas de manichéisme de bazar ni de misérabilisme dans ce roman extrêmement noir aux personnages riches de gris, d'infinies nuances, d'avanies et de rédemption mêlées.

Un conte cruel, cynique, beau, esthétique même. Les deux mains dans la merde, l'auteur n'en cueille que de plus belles fleurs. Il dit le vrai, le glauque, sans fard ni ellipse mais le transcende pour en faire un récit qui résonne longtemps encore après la dernière page tournée. Du très grand art ! Et la traduction est à la hauteur, impeccable, dans une langue riche et juste, agrémentée de notes explicatives pertinentes.

Un des mes grands coups de cœur de cette année, La ballade des misérables sort du cadre classique du polar ou du thriller. Il est, un peu comme Après la guerre de Hervé Le Corre, à ranger parmi les beaux ouvrages de la littérature, de ceux qui éclaire l'esprit d'une nouvelle petite lumière.


Notice bio

Anibal Malvar est né en 1964 en Galice. Journaliste de profession, il traite dans ses articles de l'ETA, d'immigration et de trafic de drogue. Naturel donc que tous ces sujets se retrouvent dans La Ballade des Misérables. Il est aussi romancier et écrit en galicien et en castillan.


La musique du livre

Comme pour « Prague, faubourg est » de Timothée Demeillers, Asphalte éditions a bien fait les choses avec une superbe playlist d'une dizaine de titres choisis par l'auteur, tous en relation avec le récit.

Loquillo débute avec En las calles de Madrid, ensuite Heroina du groupe Los Callis, Ayatollah des punks de Siniestro Total et, enfin, Barricada, Esta es una noche de rock & roll. Du punk, évidemment, No Futur oblige...

La ballade des misérables – Anibal Malvar – Asphalte éditions – 364 p. septembre 2014
Traduit de l'espagnol par Hélène Serrano

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