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Chronique Livre :
LA CHANCE DU PERDANT de Christophe Guillaumot

Chronique Livre : LA CHANCE DU PERDANT de Christophe Guillaumot sur Quatre Sans Quatre

Le pitch

Renato Donatelli, dit le Kanak, a quitté la Nouvelle Calédonie il y a des années pour le SRPJ de Toulouse. Un mètre quatre-vingt-dix-neuf, tout en muscles et gentillesse, ce gardien de la paix donne du «gros chameau» à ceux qu’il aime et des «gifles amicales» à ceux qui lui barrent le chemin.

Il vient d’être mis au placard à la section des courses et jeux en compagnie du jeune lieutenant Cussac, mais tous deux prennent très à coeur leurs nouvelles missions. La mort d’un homme dans un compacteur à déchets inaugure une série de disparitions frappant des accros aux jeux d’argent. Tous les cadavres sont retrouvés porteurs d’une énigmatique dame de pique.

Alors que le Kanak plonge dans l’univers des cercles clandestins et des paris truqués, il aimerait bien éclaircir une autre énigme : pourquoi sa vieille amie et compatriote, Diamant Noir, s’est-elle autrefois éloignée de son grand-père, le roi de l’île de Pins? Hélas, il est plus facile de se retrouver dans les méandres des tripots que dans ceux de l’âme humaine.


L'extrait

« Combien de mètres ? Dix ? Douze, tout au plus ? Rien d’impossible. Il n’est pas sportif mais l’épreuve est à sa portée. Il manque d’abdominaux, son ventre est flasque, il a pris du poids ces dernières années, mais ses cuisses sont encore musclées. Il jouera de ses larges épaules pour se tailler un chemin. C’est l’unique solution. Celle qui le sortira du gouffre. Il n’a qu’à foncer. Quelle est la profondeur ? Un mètre ? Peut-être deux ? Pourra-t-il respirer ? Il n’a pas droit à l’erreur. Il a déconné. Il s’est laissé emporter au risque de compromettre la survie de sa famille. Maintenant, il est au pied du mur. Il ne peut plus mentir ni se dérober. Il ne peut plus fuir.
Devant lui, il y a la fosse. Il va devoir se jeter dedans comme on plonge dans une piscine en plein été. Sauf que des milliers de bouteilles en plastique font office d’eau chlorée. Combien y en a-t-il ? Difficile à dire. C’est bizarre, cette manie de quantifier les choses. Peut-être est-ce à cause de sa mère, professeur de mathématiques ? Il a besoin de poser des nombres sur tout, d’être rassuré. Pas d’approximation.
Il regarde sa montre : plus que deux minutes avant de devoir abaisser la manette. Être son propre bourreau. Respecter les consignes, déclencher le compacteur et se jeter dans le gouffre. » (p.9)


L'avis de Quatre Sans Quatre

Un peu de poésie dans ce monde de brutes, enfin ! Quel beau personnage que Renato, il est singulier, drôle, attachant, une crème d’homme. Bien qu’il soit d’une taille gigantesque et d’une carrure impressionnante, il sait être tout à fait délicat et manier l’émotion avec doigté. Faut juste pas lui chatouiller les narines de trop près. Sinon le risque est grand de prendre une “claque amicale” qui ressemble à s’y méprendre à un coup de gourdin. Sinon il vous appelle ‘gros chameau” et tout va bien.

Ah oui, évidemment, vous ne savez pas de qui je parle. Surtout que ce n’est pas une star, Renato Donatelli, juste un brigadier, mal vu de ses supérieurs de surcroît. Un flic de base qui ne s’embarrasse pas vraiment de ronds de jambe pour faire ce qu’il estime juste et accomplir ce qu’il pense être sa mission. Il est kanak mais a dû venir en métropole, pour devenir policier. Exilé à Toulouse, il loge dans un manoir extravagant en compagnie de l’ex maîtresse de son grand-père, le Diamant noir. Aujourd’hui aveugle et semi-démente, il veille sur elle avec amour et constance malgré son métier difficile. Comme il a tendance à dépasser toutes les bornes, il est, au début de ce roman, relégué dans un placard administratif, la section des courses et jeux, en compagnie du lieutenant Jérôme Cussac, surnommé Six, un autre mis au ban par la hiérarchie.

Tout commence bien mal. Les deux tricards, loin de se tenir à carreau, abattent une vache - enfin, c’est Renato qui tient le fusil - qui participait à une activité ludique champêtre, anodine, mais tout à fait illégale. Pour le Kanak, la loi, c’est la loi, on ne transige pas. Le ruminant et son propriétaire vont l’apprendre à leurs dépens. Ire de la hiérarchie qui ne sait plus que faire de l’encombrant duo et lui conseille sérieusement de se faire oublier. On ne leur demande pas de résultats, juste de ne pas faire parler d’eux et ce n’est pas en abattant du bétail, même en infraction, qu’ils y parviendront.

Incapables de tenir en place, les deux compères vont se pencher sur les cercles de jeux de Toulouse, les parties de poker très illicites et clandestines de l’héritier de la mafia locale, Samuel Gotthi. Complétant auparavant leur groupe, un peu faiblard côté effectif, par deux intervenants extérieurs, un illusionniste et un spécialiste en statistiques de haut niveau, recrutés par des biais pour le moins singuliers, ils se mettent en chasse. Enquête d’autant plus difficile que certains dans la police ne semblent pas apprécier que la brigade des jeux s’intéresse à Gotthi et la sulfureuse Fang, sa compagne.

Comme s’ils n’étaient pas assez occupés avec ce cercle illégal, la mort énigmatique d’un homme dans un compacteur de déchets recyclables va ouvrir la voie à une suite de décès tout aussi mystérieux. Point commun ? Toutes les victimes ont une dame de pique sur elles. De là à faire un rapprochement avec ce qui se rapporte au jeu, il n’y a qu’un pas. Un portrait tagué sur une façade d’immeuble va mettre un brin d’art et de poésie dans tout ce mic-mac et propulser Renato sur une piste prometteuse en la personne de May, une peintre de talent, employée à la déchetterie.

May ne souhaite pas voir son art enfermé dans des galeries, elle décore la grisaille de la ville, les recoins minables, de ses fresques qui lui permettent de remettre de l'humain au cœur des surface de béton. La jeune femme recycle le laid, le transforme en poésie et en émotions. Elle va savoir toucher Renato et participera bien involontairement, à sa façon, à cette affaire. Un très beau personnage féminin qui apporte de la poésie au milieu de la tourmente.

Parallèlement, Renato tente de comprendre pourquoi le Diamant noir a quitté son grand-père, le roi de l’île des Pins en Nouvelle-Calédonie. Ils s’aimaient tant qu’il imagine mal qu’ils se soient quittés pour des broutilles. Mais la vieille femme n’est pas très diserte sur le sujet et il ne veut surtout pas la brusquer, elle semble si fragile et si dépendante…

Christophe Guilaumot, flic de terrain, nous raconte une histoire foisonnante, alternant les passages tendres et des réalités sordides, une plongée dans l’enfer des addicts aux jeux et des exploiteurs du désespoir. Un excellent polar où Renato tient la baraque de la tête et des épaules, mais il est taillé pour et ne peine aucunement à occuper ce rôle. Émouvant, bien sûr, puisque ce personnage est une sorte d’hommage à un collègue, disparu tragiquement, de l’auteur.

La patte du flic de terrain est là, les situations sont toutes crédibles, l’intrigue tient de bout en bout, sans temps mort, l’énigme de la fuite du Diamant noir et ses rapports très tendres avec le Kanak apportant sa part de romance à cette histoire originale. Ce n’est pas la Crim’ mais il s’en passe de drôles et sévères à la section des courses et jeux !


Notice bio

Christophe Guillaumot, né à Annecy en 1970, est capitaine de police au SRPJ de Toulouse, responsable de la section «courses et jeux». En 2009, il obtient le prix du Quai des orfèvres pour Chasses à l’homme. Avec Abattez les grands arbres (éditions Cairn, 2015) et La Chance du perdant, il impose une série mettant en scène le personnage de Renato Donatelli, dit le Kanak, librement inspiré d’un collègue aujourd’hui décédé. Depuis 2010, Christophe Guillaumot est membre de l’organisation du festival Toulouse Polars du Sud.


La musique du livre

Cake – I Will Survive

Naive New Beater & Izia - Heal Tomorrow

Iggy Pop – The Passenger

Johnny Cash – 25 minutes to Go


LA CHANCE DU PERDANT – Christophe Guillaumot – Liana Levi – 332 p. octobre 2017

photo : Pixabay

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