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Chronique Livre :
LA DERNIÈRE COUVERTURE de Matthieu Dixon

Chronique Livre : LA DERNIÈRE COUVERTURE de Matthieu Dixon sur Quatre Sans Quatre

Le pitch

Voir une de ses photos en première page d’un magazine, affichée sur tous les kiosques, pour Raphaël, jeune reporter, c’est le graal.

Mais en travaillant avec Bernard, célèbre photographe devenu son mentor, il comprend très vite que les choses ne sont jamais aussi simples et que les apparences sont parfois trompeuses.

En enquêtant sur la mort de celui-ci, tragiquement disparu dans le crash de son hélicoptère, Raphaël va se retrouver seul, en première ligne, à devoir jongler entre rumeurs, paranoïa, bizness, corruption, hommes de l’ombre et affaires d’État.

Seul aussi à devoir slalomer entre intégrité et vérité…


L'extrait

« C’est à ce moment que Lise Schoeller fait son entrée. Seule. Présentatrice du JT de France 2 depuis bientôt deux ans, elle fait partie de la génération montante, de ces beautiful people, ces happy few beaux et intelligents. Je l’ai déjà mise en boîte à plusieurs reprise. C’est une fille très sympa. Pas de doute, c’est elle qu’on attend. Et elle, elle attend « quelqu’un ».
On l’installe juste en face de moi. L’adrénaline pulse en paquets lourds explosant au sommet de ma nuque. Ce soir elle est bien trop apprêtée, trop séduisante pour que ce soit un simple entretien professionnel. Il s’agit d’une « date », d’un rendez-vous galant, d’un amant. Mais qui ? Les prétendants se bousculent dans mon crâne et je m’arrête assez rapidement sur l’histoire la plus crédible, les liaisons dangereuses entre journalistes et politiques. Une tradition bien française.
L’histoire est écrite, rejouée mille fois dans une distribution sans cesse changeante. Le public en redemande et prend ses billets pour la prochaine séance. Ils se sont « affrontés » sur un plateau télé. Il a été séduit par son tempérament insoumis, elle était sous le charme de son éloquence, lui trouvait un charisme fou. Ils ne se sont plus quittés, secrètement bercés par par l’excitation de l’interdit, la transgression morale. Pour elle, l’éthique journalistique, réserve et distance professionnelle. Pour lui, le danger de réussir à préserver ses secrets d’État jusque dans le lit de l’ennemi. J’avoue, et je n’en suis pas fier, ça m’amuse beaucoup. Tout le monde veut savoir qui couche avec qui. Je préfèrerais les scandales d’État sulfureux, du Watergate, du Clearstream, mais en attendant, ça fait l’affaire… »  (p.12-13)


L'avis de Quatre Sans Quatre

Une soirée ordinaire dans la vie de paparazzi : une planque devant un restaurant chic de la capitale, le Maskirovka, à espérer la photo croustillante, le cliché-choc qui va se vendre cher et faire la une des magazines. Voilà ce que préparent Bernard et Raphaël. Bernard, ancien militaire de carrière, blessé au combat, amoureux fou de photographie, est bien connu dans le milieu du scoop pour ses nombreux succès depuis plus de vingts ans. Raphaël n’a pas son ancienneté, mais il a également servi dans l’armée et est prometteur. Il suit les conseils de son mentor ce soir-là et n’a pas à s’en plaindre. Le jeune reporter réussit à saisir une rendez-vous galant entre une célèbre journaliste de télé et un ministre en vue. Jackpot !

Sûr, il tient là de quoi être affiché dans les kiosques, du scandale en barre qui va agiter le petit monde politico-médiatique. Même s’il ne comprend pas très bien pourquoi Bernard lui a offert le meilleur angle, ils sont amis mais tout de même, son expérimenté confrère semble lui avoir fait comme un cadeau en se plaçant à l’opposé de là où se déroulait le plus intéressant de la soirée.

Drame le lendemain : Raphaël apprend la mort de Bernard dans un tragique accident d’hélicoptère alors qu’il devait rencontrer une de ses connaissances dans le sud de la France. Raphaël est anéanti. Les circonstances du crash sont peu claires et le jeune homme, déjà un peu désemparé par la grossesse de sa compagne, Eva, une magistrate obstinée, va chercher à comprendre les tenants et aboutissants de cette tragédie. Biens des zones d’ombre dans la vie de Bernard, de pirouettes alors qu’il lui posait des questions toute simples le conduisent à penser qu’il n’a pas affaire là à un banal incident technique. Sans compter cette enveloppe de cash que son ami lui a confié le soir après la séance au restaurant et qu’il doit remettre dans une banque un peu particulière, peu regardante sur l’origine de ce liquide. Tout cela sent fort la corruption ou, du moins, le commerce souterrain de photos et renseignements.

Derrière le rideau de fumée de l’info grand public, Raphaël découvre les services de renseignement à l’oeuvre, la patte d’un général qu’il a connu jadis lorsqu’il était militaire. Par là même, il entre dans un monde de manipulations, de mensonges, d’illusions savamment entretenues. Bien vite, l’officier fait appel, outre à son patriotisme, son sens du devoir, à ses talents afin d’éclaircir les circonstances de la mort de Bernard.

Très vite également, le reporter se heurte aux limites de l’éthique journalistique, entre dans les univers parallèles, ô combien dangereux, de l’espionnage et de ses agents doubles, triples, maîtres de l’illusion. Raphaël, photographe-acteur de sa vie, peu à peu, acceptera de devenir un pion dans une partie qui le dépasse totalement. Un jeu sans règle, où tout le monde triche et ment, dans lequel la confiance ne peut jamais exister, mais où l’on risque de tout perdre à chaque instant.

Des nos jours tout a changé, ce qui devait plus que tout être tu, les secrets absolus de jadis, est savamment exposé au moment opportun pour cacher plus gros, faire passer inaperçue une info plus sensible encore. Le public est noyé sous une avalanche d’actus tombant en continu jusqu’à suffocation. Dans ce fatras de nouvelles, ce chaos permanent, se dissimulent bien plus efficacement que dans le plus costaud des coffres ce qui devrait l’alerter, mais nul n’est plus en mesure de faire le tri. Il n’y a plus de temps mort, de temps de recul afin de réfléchir et discerner l’essentiel du futile. Matthieu Dixon reprend là très habilement un des thèmes de Pukhtu de DOA (Série Noire) ou de 19500 dollars la tonne de Jean-Hugues Oppel (La Manufacture de Livres). Tout est dit mais nous ne savons plus regarder.

Le récit est palpitant, Raphaël pressé de toutes parts se démène comme un diable dans un bénitier entre DGSE, MI6, divers clans au sein de ceux-ci, conscience professionnelle, devoir de futur père, amitié pour le défunt et découvertes déconcertantes au point d’en perdre de vue son identité et ce qui est réellement important pour lui. En dehors du parcours tragique de cet homme, c’est toute la machinerie de manipulation de masse qui est mis à jour, les techniques pour monter en épingle telle “nouvelle” afin de passer à la trappe telle autre, l’excitation de l’instinct du voyeur au détriment de l’information du citoyen, tout cela pour permettre aux agences gouvernementales et aux marchands d’armes de continuer leurs trafics en toute impunité.

Matthieu Dixon écrit sur le fil du rasoir, sait suivre les hésitations, les désillusions et les surprises de son personnages principal qui fouille autant dans sa propre personnalité que dans les sombres affaires de son ami décédé. Un suspense bien bâti, qui va crescendo vers un dénouement tout à fait surprenant.

La dernière couverture est un roman d’espionnage qui va plus loin que la simple enquête sur une mort tragique en s’attaquant aux méandres de la manipulation des médias et du public par les services de renseignements.

Un excellent polar sur les reporters photographes qui évitent les clichés et touche un véritable problème de société !


Notice bio

Matthieu Dixon est né en 1977. Après un bac scientifique, il déménage à Paris pour des études d’audiovisuelles pendant lesquelles il découvre le fameux Manufacturing Consent de Noam Chomsky et Edward Herman. Cette œuvre va profondément le marquer et ouvrir son esprit sur les stratégies de manipulation des masses. Dès lors il va porter un regard particulièrement circonspect sur le monde des médias dans lequel il va travailler. Alternativement, chargé de production, producteur, réalisateur, monteur, il exerce son regard critique sur l’Image et la fascination qu’elle exerce. En 2009, il prend un tournant en se consacrant plus directement à ce qui le passionne : l’écriture. Il participe ainsi à l’écriture de séries pour enfants, de mélodrame et de comédie romantique en tant que scénariste. Depuis longtemps, Matthieu Dixon se passionne pour les histoires politiques et les scandales d’état. Il était donc naturel que sa plume vienne rencontrer quelques célèbres cadavres de la République. Il partage actuellement sa vie entre la France et l’Angleterre.


LA DERNIÈRE COUVERTURE – Matthieu Dixon – Éditions Jigal Polar – 206 p. mai 2018

photo : Pixabay

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