Chronique Livre :
LA FILLE DANS LE BROUILLARD de Donato Carrisi

Publié par Psycho-Pat le 26/10/2017
Le pitch
Anna Lou est une jeune fille exemplaire. Alors pourquoi aurait-elle fugué la veille de Noël ? Ou serait-ce un kidnapping ? Mais qui lui voudrait du mal dans son paisible village des Alpes ?
Le commandant Vogel, star de la police, est envoyé sur place. Entouré de sa horde de caméras, il piétine. Aucune piste, aucun indice ne s'offre à lui.
Devant ses fans, il ne peut pas perdre la face. Vogel résistera-t-il à la pression de son public qui réclame un coupable ?
L'extrait
« Le psychiatre se pencha vers lui.
- Alors expliquez-moi une chose… Si vous êtes indemne, à qui appartient le sang sur vos vêtements ?
Soudain, Vogel ne sut plus quoi dire. La rage s’évapora et ses yeux se posèrent sur le miroir que Flores avait placé devant lui.
Il les vit.
Des petites taches rouges sur les poignets de sa chemise blanches. Deux ou trois plus grosses sur l’abdomen. Certaines, plus foncées, se confondaient avec la couleur de son costume et de son manteau, mais on les devinait à leur consistance plus épaisse. Ce fut comme si le commandant les découvrait. Pourtant, une partie de lui savait qu’elles étaient là. Flores le comprit immédiatement. De même, il ne nia pas tout de suite connaître la raison de leur présence.
Un lueur nouvelle apparut dans ses yeux et son état de confusion se dissipa, comme cela arrive au brouillard. Pourtant, celui-ci pesait sur le monde, derrière la fenêtre du cabinet, restait immobile.
La nuit où tout changea pour toujours venait de commencer. Vogel regarda Flores droit dans les yeux, soudain lucide.
- Vous avez raison, dit-il, je crois que je vous dois une explication. » (p. 17)
L'avis de Quatre Sans Quatre
Attention, La fille dans le brouillard sent très très fort le chef d’oeuvre manipulatoire, le thriller construit minutieusement et parfaitement qui, sans grands effets spéciaux, sans flots d’hémoglobine ni psychopathe machiavélique, effraie par son étonnante crédibilité et ravit par la qualité de son écriture.
Donato Carrisi s’attaque ici au cirque médiatique, à son utilisation par des individus assez malins pour se servir de la rapacité, et du manque de recul, des chaînes d’infos en continue pour parvenir à imposer des vérités frelatées. Ce stratagème est l’alphabet du commandant Vogel, flic célèbre, dandy dédaigneux, qui, mise à part une malheureuse affaire où celui qu’il avait désigné à la vindicte du public était innocent, a toujours su tirer parti de ses relations dans la presse pour faire mousser ses géniales déductions. Il organise la vérité comme on organise un show, programme les arrestations, les fuites et distille le soupçon aux journalistes s’empressant de relayer à peu près n’importe quoi pour faire de l’audience.
L’affaire qui l’amène à Avechot, petit village perdu des Alpes, noyé dans le brouillard et le froid, est liée à la disparition inexplicable d’Anna Lou, une jeune fille d’une sagesse inhabituelle pour une adolescente, sans histoire, sans vice, sans petit copain, apparemment heureuse de sa vie. Fille d’un couple très pieux, membres d’une sorte de secte protestante locale, la Confrérie, elle a disparu entre son domicile et l’église où elle devait donner son cours de catéchisme aux enfants.
Dépêché sur place, Vogel, assisté de Borghi, un adjoint qui servira de fusible en cas d’erreur - le commandant en a toujours un -, commence à mettre en place un jeu particulièrement trouble avec les correspondants des journaux télés envoyés pour couvrir ce possible crime. L’hypothèse d’une fugue est peu probable, Anna Lou était une modèle de simplicité et de rectitude, l’absence de corps complique la classification en meurtre et laisse la porte ouverte à tous les fantasmes et toutes les accusations.
Au début du roman, Vogel, apparemment en pleine confusion suite à un accident de voiture, est examiné, à la demande de la procureure Rebecca Mayer, par le docteur Flores, le psychiatre local. Le psy et son patient vont remonter lentement les chemins de la mémoire et des faux-semblants pour rebâtir les faits tels qu’ils se sont déroulés. L’enquête est close depuis quelques temps déjà et rien n’explique la présence du flic aux abords du village.
Le reste de l’histoire, il faut le découvrir très lentement, en étant particulièrement attentif aux détails et aux grandes manoeuvres médiatiques du policier. L’affaire Anna Lou Kastner est de celles qui font ou défont une réputation et tous les moyens sont bons pour donner un nom en pâture aux médias et, donc, au public. Surtout que trois autres disparitions de jeunes filles, toutes aussi rousses qu’Anna Lou, se sont déjà produites dans la région, trente ans auparavant. L’atmosphère devient très vite électrique, ça sent le lynchage pour ceux que Vogel pointent du doigt et il sait magistralement mettre en scène ses conférences de presse et petites confidences à ses amis reporters. il possède un sens aigu du suspense et de ce qui est bénéfique à sa réputation, mais il est moins pointu en ce qui concerne la vérité et la résolution d’une énigme. L’essentiel étant que le résultat obtenu lui profite, que les chaînes télé aient de l’audience et le bon peuple un coupable sur lequel reporté sa colère.
Flores va amener le policier à reprendre tout le récit de ses investigations, habilement, il va démonter ses artifices et comprendre finalement pourquoi et comment Anna Lou a disparu et ce que fait Vogel cette nuit-là dans les environs.
Un suspense formidable, noyé comme il se doit dans le brouillard hivernal d’un village où l’on ne se livre pas, recroquevillé sur ses croyances arriérées, isolé du monde qui l’entoure qui donne un huis-clos magnifique au dénouement absolument époustouflant. Le jeu entre les différents protagonistes est disséqué minutieusement par Donato Carrisi qui montre une maîtrise fabuleuse dans la construction de son roman. Manipulation par l'image, par les mots, par tous les moyens, ce roman démonte les rouages de ce qui nous est donné à avaler quotidiennement.
La fille dans le brouillard est un thriller hors norme, tant par le thème du mécanisme des manipulations médiatiques que par l’intrigue et sa résolution, un épilogue en forme de bouquet final de feu d'artifice laisse absolument sans voix.
Notice bio
Donato Carrisi est né en 1973. Juriste de formation, spécialisé en criminologie et sciences du comportement, il délaisse la pratique du droit pour se tourner vers l’écriture de scénarios. Le Chuchoteur, son premier roman, a remporté de nombreux prix littéraires et a été traduit dans vingt pays. Il est l’auteur italien de thrillers le plus lu dans le monde.
LA FILLE DANS LE BROUILLARD – Donato Carrisi – Le Livre de Poche – 344 p. octobre 2017
Traduit de l'italien par Anaïs Bouteille-Bokobza