Chronique Livre :
LA FILLE DU TRAIN de Paula Hawkins

Publié par Psycho-Pat le 14/05/2015
photo : aiguillages (Wikipédia)
L'extrait
« Évidemment, je ne la vois pas. Je ne sais pas si elle peint, ou si Jason a un rire contagieux, ou si Jess a des pommettes saillantes. Je ne peux pas voir son visage d'ici et je n'ai jamais entendu la voix de Jason. Je ne les ai jamais vu de près, ils ne vivaient pas dans cette maison quand j'habitais plus bas dans la rue. Ils ont emménagé après mon départ, il y a deux ans, je ne sais pas quand exactement. Je crois que j'ai commencé à les remarquer au cours de l'année dernière et, peu à peu, les mois ont passé et ils sont devenus importants pour moi.
Je ne sais pas non plus comment ils s'appellent, alors j'ai dû les baptiser moi-même. Jason, parce qu'il est beau comme une star de cinéma britannique, pas un Johnny Depp ou un Brad Pitt, mais un Colin Firth ou un Jason Isaacs. Et Jess, ça va bien avec Jason, et ça va bien avec elle. C'est parfait pour elle, jolie et insouciante. Ils vont ensemble, ils sont faits l'un pour l'autre. Et ça se voit qu'ils sont heureux. Ils sont comme moi avant, comme Tom et moi il y a cinq ans. Ils sont tout ce que j'ai perdu, tout ce que je voudrais être. »
Le pitch
Rachel Watson prend chaque jour un train de banlieue qui la conduit à son travail à Londres. Le 8h04 à l'aller et le 17h56 au retour. Sur son trajet un ralentissement quotidien lui permet d'observer un couple dans une maison proche de celle où elle habitait avec son ex-mari Tom. Elle idéalise totalement ce couple, donne un nom à chacun, Jason et Jess, et une vie fantasmée correspondant à ce qu'elle a toujours rêvé pour elle et Tom qui vit toujours à leur ancienne adresse et qui vient d'avoir une petite fille avec sa nouvelle épouse Anna.
Rien d'extraordinaire jusqu'à ce jour où Rachel voit Jess dans le jardin avec un autre homme, Jess trompe peut-être Jason! Sa construction fantasmatique risque de s'écrouler et de fissurer les certitudes rassurantes de sa vie par procuration. La Une des journaux foudroient Rachel peu de temps après, Jess a mystérieusement disparue, son vrai nom est Megan Hipwell et la réalité va se révéler bien loin des supputations de Rachel.
Alcoolo, déprimée, vide, Rachel va s'engouffrer dans cette affaire parce qu'on lui a brisé son rêve, parce qu'il faut bien un jour ou l'autre faire face aux vérités même si elles peuvent aussi sûrement vous détruire que les mensonges...
L'avis de Quatre Sans Quatre
La Fille du Train est une petite merveille de subtilité. Loin d'une quelconque paranoïa ou de quelque autre pathologie mentale, ce roman est avant-tout l'histoire d'une femme qui a enfoui sa douleur, ses espoirs et sa vie dans un carcan inconfortable. Son existence présente est un mensonge, son passé un brouillard, son seul repère : un train de banlieue, sa seule joie : un couple de poupées Barbie qu'elle peut animer à sa guise.
D'un côté la mémoire défaillante de Rachel qui noie ses neurones sous des flots d'alcool, de l'autre une vraie disparition. Entre les deux, la brume du peut-être, l'horrible sensation de doute permanent et la culpabilité de la jeune femme qui s'en veut de son addiction et s'accuse de tous les pêchés du monde. C'est à la lueur tremblotante d'une bougie que Paula Hawkins va guider son lecteur dans ce labyrinthe aux murs ornés de miroirs déformants et révéler détail par détail un formidable scénario.
Les questionnements de Rachel, qui deviennent vite obsessionnels et vitaux, bâtissent cette histoire qui sera sa catharsis. Elle doit choisir de traverser sa honte et sa culpabilité pour enfin aller se chercher derrière les rideaux de fumée qu'elle a savamment placés entre le réel et elle-même pour éviter de trop souffrir. Jusqu'à son nom qui est celui de son mari et qui est aujourd'hui porté par Anna, une autre, Rachel n'existe plus, verre après verre, elle s'efface.
Au travers les regards de trois femmes, Rachel, Anna et Megan, l'auteur va tricoter son récit, maille par maille, implacablement. Mêlant vapeurs d'ivresse, faits bruts et manipulations habiles, gueules de bois honteuses, elle construit un thriller addictif sur le rythme hypnotique bi-quotidien du train, aller-retour entre un passé traumatique et un présent effrayant. Une mécanique de précision qui tourne superbement bien. Sans tapage la plupart du temps, il se passe toujours quelques chose, à chaque ligne son morceau de puzzle, à chaque paragraphe un nouvel élément.
Aucun personnage n'est monolithique, ils sont tous multiples, changeants, intimement décrits avec leurs hésitations, leurs désirs, humains et vivants en somme. Comme le train de banlieue, l'histoire progresse station par station sur les rails d'une belle écriture, parfaitement maitrisée et efficace, dans une intrigue passionnante d'où vous ne pourrez pas vous extraire d'un suspense qui ne cesse de croître.
Notice bio
Paula Hawkins a vécu en France, en Belgique et au Zimbabwe. Elle est journaliste à Londres et La fille du train est son premier roman.
La musique du livre
Peu de musique dans ce polar, l'obsession a ceci de particulier d’anesthésier les sens qui ne sont pas accaparés par son unique objet. Tout de même de quoi faire une mini playlist avec les Arctic Monkeys, cités en préambule par l'auteur, Do I Wanna Know ? me semble convenir exactement au bouquin.
Rachel tente de se remémorer une soirée particulièrement agréable avec Tom, celle-ci s'est mal terminée mais ils ont écouté The Killers, Read My Mind, et The Kings of Leon, Sex on Fire.
La fille du train – Paula Hawkins – Sonatine Éditions – 379 p. mai 2015
Traduit de l'anglais par Corinne Daniellot